Matricule « 45 578 » à Auschwitz

Roger Gaudry le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Raymond Gaudry : né 1897 à Sennely (Loiret); domicilié à Orléans (Loiret) au moment de son arrestation ; marié, deux enfants ; communiste, secrétaire du syndicat unitaire (CGTU) des cheminots du réseau d'Orléans ; candidat du PC aux municipales et cantonales ; arrêté le 18 octobre 1941, interné à Compiègne, déporté et mort à Auschwitz  le 5 décembre 1942. 

Raymond Gaudry est né le 4 mai 1897 à Sennely (Loiret). Il habite au 16 bisrue Landreloup à Orléans (Loiret) au moment de son arrestation. Il est le fils de Philomène, Félicité, Chausseron, 21 ans, sans profession et de Jules, François Gaudry, 29 ans, jardinier, son époux.

Son registre matricule militaire indique qu’il habite à Vannes-sur-Cosson, où il travaille comme domestique agricole au moment du conseil de révision.
Il mesure 1m 54, a les cheveux châtain clair et les yeux gris, le front et le nez moyens, le visage ovale.
Conscrit de la classe 1917, Raymond Gaudry devance l’appel et s’engage le 22 mars 1915 à la mairie d’Orléans.
Affecté au 143è régiment d’infanterie, cantonné à Aix-Noulette (Pas-de-Calais), où il effectue des travaux offensifs en face de Carency. Il arrive au corps le 23 mars. Après deux mois de classes, il est affecté au 176ème régiment d’infanterie. Six jours plus tard, son unité embarque en renfort de l’Armée d’Orient engagée aux côtés des
anglais aux Dardanelles à Sedd-Ul-Bahr (pointe de la presqu’île de Gallipoli, côte européenne de Turquie). Le débarquement a lieu le 15 mai. Le 176è y restera jusqu’au 30 septembre. Le 6 juillet suivant, il est évacué pour maladie sur l’hôpital n° 2 de Mondou (S9/410). Il rejoint son unité le 23 juillet.
Le 24 octobre 1915, il est « blessé par balle à la jambe droite » (fracture du fémur) lors de l’offensive de Dobropolje contre l’armée bulgare, à Rabrovo (aux environs du village de Piravo sur la cote 510). Il est alors évacué sur l’ambulance n° 4 de Stroumitza (23/224). Le 9 novembre 1916, il est évacué sur Salonique où il entre à l’hôpital chirurgical flottant le « Charles Roux », un navire de la Compagnie Générale Transatlantique transformé en hôpital en 1915 et arrivé à Salonique le 2 novembre.

Médailles d’Orient, Dardanelles, Serbie

Le 12 novembre, il est admis à terre à l’ambulance n° 2 de Gurgueli. Le 21 janvier 1916 Raymond Gaudry embarque sur le navire-hôpital « Sphinx » à destination de la France, où il débarque le 25 janvier à Nice (Alpes-Maritimes). Il est admis à l’hôpital temporaire n° 14, installé dans le « Grand Hôtel » au 10 avenue Félix (550 lits). Le 11 juillet 1916, il est classé « service auxiliaire » par la commission de réforme de Nice. Le 12 juillet il a une permission d’un mois. Pendant cette permission, il est changé de régiment le 4 août et est affecté au dépôt du 121è régiment territorial d’infanterie. Il rentre au dépôt à Béziers le 13 août 1916. Le 5 juillet 1917, peu avant la dissolution des 3 bataillons du 121è RTI terriblement réduits par les combats, Raymond Gaudry est dirigé à nouveau sur l’armée d’Orient « en passant par l’Italie » (le détachement du 121è est chargé de la garde de la ligne Vintimille-Trente). Le 15 août 1917, il passe au 15è escadron du Train, puis est rattaché au 16ème escadron du Train le 4 novembre. Le 16è Train basé à Vélusina (Serbie) assure pendant un an le transport du combustible et de la farine à la boulangerie de Monastir
(Macédoine). La commission de réforme de Salonique du 11 novembre 1918 le maintient « service auxiliaire ».
Raymond Gaudry est rapatrié le 25 avril 1919.

Le 17 mai 1919, Raymond Gaudry épouse à Sète (Hérault), Marguerite Niquet
(née à Sète le 9 mars 1895), sans profession. Ils ont deux garçons : René, qui naît le 3 août 1920 et Lucien né le 25 septembre 1921 (ils ont 20 et 21 ans en 1941).
En juin 1919, le jeune couple habite au 44, rue de la Charpenterie à Orléans. Raymond Gaudry est mis officiellement en congé illimité de démobilisation le 28 mai 1919 (il reçoit la médaille de la première guerre mondiale, la croix de guerre avec palme et 3 étoiles.
En 1931 il reçoit les médailles d’Orient et des Dardanelles. Il reçoit la médaille Serbe en 1932).
Le 7 juillet 1919, Raymond Gaudry est embauché par la Compagnie du chemin de fer d’Orléans (le Paris-Orléans / P.O.) et à ce titre l’armée le classe dans la réserve de l’armée de terre comme « affecté spécial » comme employé permanent du P.O.
Le 20 octobre 1919, le couple a déménagé au 19, place du vieux marché à Orléans.
Le 30 avril 1924 la commission de réforme d’Orléans le propose pour une pension de 30 % pour « amyotrophie de 3 cm à la cuisse suite fracture du fémur par balle, raideur du genou limitant la flexion à 90 %, raideur du coup de pied.  Elimination de trois
petites séquelles
 en février 1924».

16 bis, rue Landreloup à Orléans un pavillon qu’il a construit

En 1924, il est secrétaire du syndicat unitaire (CGTU) des cheminots du réseau d’Orléans.
À partir de mars 1930 la famille habite un petit pavillon mitoyen au 16 bis rue Landreloup, pavillon qu’il avait lui-même construit selon son arrière petit-fils. La famille y demeure jusqu’au moment de l’arrestation de Raymond Gaudry.
Il est alors brigadier de manutention (1) à la gare des Aubrais-Orléans (son numéro d’agent SNCF est le « 40636 »).

Raymond Gaudry est candidat aux élections municipales du 6 mai 1935 à Orléans sur la liste du Bloc Ouvrier et Paysan (BOP) avec Cyprien Depardieu (1318 voix) et René Boulay (1284 voix). Ils seront déportés avec lui à Auschwitz.

Liste du Bloc Ouvrier et Paysan Le journal du Loiret 6 mai 1935

On notera la présence en fin de liste de 4 femmes (non électrices et non éligibles), Paule Nicot (1228 voix), Marguerite Weigant (1215 voix) Gabrielle Doitteau (1216 voix) et Louise Catrais (1218 voix).

Le 27 décembre 1935, la commission de réforme d’Orléans lui accorde une pension militaire de 40 % pour « reliquats de fracture du fémur par balle, raideur du genou et légère raideur tibio-tarsienne ».
En 1936, il est trésorier du Comité antifasciste de Saint-Jean-de-La-Ruelle.

L’Humanité du 5 juin 1937 : les candidats pour les cantonales du 10 octobre 1937

Raymond Gaudry est candidat du Parti communiste au conseil général dans le canton d’Orléans, secteur ouest, en octobre 1937.

Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.

Orléans après les bombardements de juin 1940

Le 16 juin Orléans est occupé après de violents bombardements. La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Raymond Gaudry est arrêté à cause de ses activités politiques antérieures le 18 octobre 1941 (dans le dossier « De Brinon » on trouve la mention « résistant, activités politiques ») dans la même période (les 18 et 19 octobre) que 41 de ses camarades : 7 d’entre eux seront déportés  à Auschwitz : Marcel BoubouCyprien Depardieu, Marcel CouillonHenri Ferchaud, Joseph LhorensAndré Lioret  et Lucien Vannier .

Il est conduit à la prison rue Eugène Vignat à Orléans. Puis il est remis aux autorités allemandes à leur demande. <Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu (le Frontstalag 122) à Compiègne le 24 octobre 1941.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Lettre manuscrite de Raymond Gaudry recopiée par Henri Bouission

Depuis le train, le 6 juillet 1942, il jette une lettre sur le ballast par les volets du wagon. Cette lettre manuscrite a été recopiée à la machine à écrire par Henri Bouission, correspondant du « Patriote Résistant » pour le Loiret et envoyée à Roger Arnould en 1972 (reproduction ci-après). On notera qu’il évoque la Haute-Silésie (où se trouve Auschwitz) comme destination possible à leur convoi.
Il est un des seuls déportés du convoi à avoir annoncé cette destination.

Depuis le camp de Compiègne, Raymond Gaudry est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.  

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 578 » selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire le récit de leur premier jour à Auschwitz :
L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale

Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Compte tenu de son métier d’ajusteur, il est vraisemblablement ramené au camp principal.

D’après les archives d’Auschwitz emportées par les armées soviétiques, on sait qu’il est admis à l’infirmerie le 30 septembre 1942 (en même temps qu’André Girard) et qu’il en sort le 9 octobre 1942.

Dessin de Franz Reisz

Raymond Gaudry meurt le 5 décembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page336).

Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Toutefois, l‘arrêté paru au J.O. du 9 septembre 1992 qui porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur son acte de décès, n’a retenu que « décédé en 1942 à Auschwitz » ce qui correspond à son état civil établi après guerre. Il serait souhaitable que le ministère corrige ces dates fictives qui furent apposées dans les années d’après guerre sur les état civils, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Cette démarche est rendue possible depuis la parution de l’ouvrage « Death Books from Auschwitz » publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site
Les dates de décès à Auschwitz.

Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué (le titre de «Déporté résistant» a été refusé le 7 janvier 1954).
Il a été déclaré « Mort pour la France »

Son nom a été donné à une rue de Saint-Jean-La-Ruelle (Loiret).

  • Note 1 : Ouvrier chargé de coordonner et de surveiller le travail d’une équipe de manutentionnaires, tout en participant lui-même aux travaux.
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Copie de sa lettre du 6 juillet 1942 recopiée à la machine à écrire par Henri Bouission, correspondant du « Patriote Résistant » pour le Loiret et envoyée à Roger Arnould en 1972.
  • « Ceux du groupe Chanzy« . André Chène (Librairie Nouvelle, Orléans 1964, brochure éditée par la Fédération du Loiret du Parti communiste.
  • © Etat civil et Registres matricules militaires du Loiret. Journal de marche du 176ème régiment d’infanterie (in © Le souvenir français) et journaux de marche des 15ème et 6ème escadrons du Train
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel). Janvier et juin 1992, octobre 1993, Caen
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 29, page 193.
  • « Livre des déportés ayant reçu des médicaments à l’infirmerie de Birkenau, kommando d’Auschwitz » (n° d’ordre, date, matricule, chambre, nom, nature du médicament) du 1.11.1942 au 150.7.1943.
  • Courriel de son arrière petit-fils P. Moreau (janvier 2018).

Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2016, 2018, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé).
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Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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