Matricule « 46 051 » à Auschwitz

Photo de famille, Droits réservés
Auschwitz, le 8 juillet 1942

 

Ernest Repiquet : né en 1896 à Saussey (Côte d'Or) où il habite ; résistant ; arrêté le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 22 août 1942 

Ernest Repiquet est né le 21 novembre 1896 à Saussey (Côte d’Or).
Au moment de son arrestation, il habite son logement de fonction à Saint-Seine-l’Abbaye (il est contrôleur des contributions).
Il est le fils de Marie Bussière, âgée de 29 ans, sans profession et de Jacques Repiquet, 34 ans, maréchal-ferrant, son époux. Il est le dernier d’une fratrie de quatre enfants.
Selon Le Maitron, son père est d’opinions socialistes et sa mère est catholique pratiquante.

Lors du conseil de révision, Ernest Repiquet habite Saussey (Côte-d’Or) et travaille comme cultivateur. Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 57, a les cheveux châtain, les yeux marron, le front moyen et le nez rectiligne, le visage ovale. Il possède un niveau d’instruction n° 3 (possède une instruction primaire développée).
« De condition modeste, Ernest Repiquet intègre cependant l’école des Beaux-Arts de Dijon. Mais sa mobilisation anticipée  le 12 avril 1915 interrompt ses études. Il a perdu son frère ainé Claude Joseph Marius, jeune instituteur, tombé dès le 4 septembre 1914 au lieu-dit le bois des jumeaux, dans les Vosges. « (1).
Conscrit de la classe 1916, il est mobilisé par anticipation le 12 avril 1915, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre, et il est incorporé le lendemain au 56è Régiment d’Infanterie. Il passera ensuite dans deux régiments engagés sur la ligne de front : les 29è et 157è Régiments d’Infanterie.
Il est blessé par balle à l’œil droit le 28 août 1916 et perd la vision, lors des combats dans la tranchée d’Ailly pour le ravin du bois Mullot (dans la forêt d’Apremont, secteur de Saint-Mihiel).

Croix de guerre avec palme

Il reçoit la Médaille militaire et la Croix de guerre avec palme « jeune soldat courageux et dévoué, ayant toujours fait son devoir ». Mutilé de guerre, il est admis à une pension de retraite de 5è catégorie de 634 F (décret du 22 juin 1917).
« Sa mutilation tire un trait définitif sur la possibilité à poursuivre ces études. En 1919 il exerce à des fins alimentaires – son père étant décédé en janvier 1914 – le métier de commis-charcutier à Dôle ; une fonction en attente qui lui a été proposée par le mari de sa sœur, Marie-Félicie. Celui-ci,  Denis Bourgogne, tenait un commerce de salaisons dans cette ville. C’est là qu’ Ernest rencontre sa future épouse, mon arrière-grand-mère »(1).

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Le 29 février 1920 à l’Abergement Saint-Jean (Jura), Ernest Repiquet épouse Léa, Marie, Louise Rabut.
Sans profession, elle est née en 1894.
Le couple a trois enfants : Jacques, né le premier septembre 1920 à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or), Jacqueline née le 29 mars 1923 à Auxerre (Yonne) et Huguette née le 9 décembre 1925 à Auxerre (Yonne). « Puis lui a été proposé un premier poste dans l’administration, au titre d’Invalide de guerre. Par la force des choses, il a continué sa carrière dans l’Administration » (1).

 

Par décrets des 20 octobre 1920 et 6 janvier 1921, Ernest Repiquet est admis à un emploi réservé aux mutilés de guerre, comme préposé de 3è classe, aux contributions indirectes.

Photo de famille, Droits réservés.

« Le jeune couple loge en 1920 à Bligny-sur-Ouche chez Monsieur et Madame Rousseau, cette dernière étant la tante maternelle d’Ernest. Ceux-ci du fait de la guerre ont perdu leurs deux seuls enfants, Joseph dit Emile et François Ernest. On peut dès lors mesurer depuis 1914 l’impact du conflit sur Ernest «  (1)

En 1923, il adhère au Parti communiste et milite à Dijon où il rédige des articles pour Le Travailleur de Bourgogne », hebdomadaire du Parti communiste.

Il participe aux grèves et aux manifestations et complète sa formation politique par la lecture.

Meeting 8 octobre 1937 à Dijon

Il est secrétaire de « rayon », membre du comité de quartier à Chenôve (Côte d’Or).
Le couple habite le 5, rue Nicéphore Niepce à Dijon (Côte-d’Or) à partir de 1929 et conservera ce domicile, même lorsque Ernest Repiquet aura un logement de fonction à Saint-Seine.

En 1936, il est responsable du « Secours Rouge » et organise des soupes populaires, puis s’occupe de l’hébergement de réfugiés espagnols.

En  1937, il est membre du Comité régional du Parti communiste, e trésorier de la Fédération de Côte-d’Or du Parti communiste. il participe aux campagnes pour l’application du Programme du Rassemblement populaire ainsi qu’en témoigne l’encart paru dans la Bourgogne Républicaine du 7 octobre 1937.
« Ernest Repiquetet rompit avec le Parti communiste en 1939, mais entra dans la Résistance à partir d’avril 1941 » (Le Maitron).

Le 17 juin 1940, les troupes de la
Wehrmacht entrent dans Dijon et s’y installent. Interdictions, réquisitions, couvre-feu : l’armée allemande contrôle la ville. Dijon est durement touchée par la politique antisémite et les arrestations orchestrées par les troupes allemandes et l’administration de Vichy. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les syndicalistes, anciens élus ou militants communistes « notoires » et a procédé à des perquisitions et des arrestations

L’engagement d’Ernest Repiquet dans la Résistance est reconnu après guerre, comme en témoigne cette citation pour l’attribution à titre posthume de la Croix de guerre avec étoile de vermeil : « Dès l’Occupation a lutté de toutes ses forces et de tous ses moyens contre l’ennemi. Propagande antiallemande, aide aux prisonniers et aux patriotes pourchassés par l’ennemi. A organisé des groupes, qui par la suite sont devenus des groupes de combat » (5 septembre 1950), document reproduit ci-après.

Ernest Repiquet est arrêté le 22 juin 1941 à son logement de fonction de Saint-Seine-l’Abbaye. Une de ses filles est présente. Elle se souvient que des soldats allemands sont venus arrêter son père, qu’ils lui ont ordonné de faire une valise et l’ont emmené.

Le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom d’Aktion Theoderich, les Allemands arrêtent dans la zone occupée et avec l’aide de la police française, plus de mille communistes ou anciens communistes connus de la police française.
D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (pour ceux de Côte d’or, les prisons de Dijon et de Vesoul), ils sont envoyés à partir du 27 juin 1941 (le 5 juillet 1941 pour ceux de Côte d’Or), au camp allemand (Frontstalag 122) de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, et qui ce jour là devient un camp de détention des ennemis actifs du Reich. Au camp de Compiègne Ernest Repiquet reçoit le matricule « 1108 ».

Selon des rescapés, il y aurait été surnommé Le Percepteur. Si leurs souvenirs sont exacts, il y aurait donc eu deux internés surnommés Le Percepteur, puisque c’est également le surnom de Léon Lecomtecommis principal au Ministère des finances.

Depuis ce camp, Ernest Repiquet va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation
La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Depuis le camp de Compiègne, Ernest Repiquet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Ernest Repiquet est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 051 ». 

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Elle a été identifiée par Gabriel Lejard, lors d’une séance d’identification à la FNDIRP.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Il est désigné à Birkenau pour des kommandos de terrassement extrêmement durs : On grattait la terre avec ses ongles (…) transport de terre sur des « plates » munies de brancards, les «Trage», témoigne Gabriel Lejard qui voit son camarade rapidement épuisé.

Ernest Repiquet meurt à Auschwitz le 22 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1003).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
En août, avait débuté une grande épidémie de typhus au camp principal entraînant la désinfection des blocks, d’importantes sélections vers les chambres à gaz et le transfert du camp des femmes à Birkenau.

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 31 juillet 1997, paru au Journal Officiel du 14 décembre 1997). Mais outre que cet arrêté le fait naitre le 22 novembre (jour de sa déclaration à l’état civil de sa naissance qui a eu lieu la veille) il indique toujours la date fictive décédé le 15 septembre 1944 à Auschwitz (Pologne) : il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les Death books (qui correspond au registre d’état civil d’Auschwitz) et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Le secrétaire d’Etat aux forces armées « Guerre ». Citation

Sur proposition du gouvernement provisoire (le 15 décembre 1945), il reçoit, à titre posthume la Médaille de la Résistance (24 avril 1946) et la Légion d’honneur.

Il est élevé au grade de lieutenant au titre de la Résistance Intérieure Française (le 28 août 1947″.

Il est déclaré Mort pour la France », et est homologué comme Déporté politique le 19 juillet 1954.  Ernest Repiquet est homologué comme Résistant, au titre des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 506405.

Homologation au grade de Lieutenant (au titre des FFI)

Malgré son homologation comme Lieutenant FFI, ses décorations et les certificats qui témoignent de son action dans la Résistance, le titre de Déporté Résistant lui est refusé.

Lire dans le site : La carte de Déporté-Résistant.

Le nom d’Ernest Repiquet est inscrit sur le monument aux morts de Saint-Seine-l’Abbaye.
Sa famille habitait encore 5, rue Nicéphore Niepce à Dijon (Côte-d’Or) après la Libération.
Son fils Jacques décède de tuberculose le 17 avril 1948 à Dijon.  Son épouse, Léa Repiquet, est décédée en 1993.

  • Note 1: témoignages de Jean Emmanuel Casimir, son petit-fils, 2021.

Sources

  • Textes et témoignage enregistré de Gabriel Lejard (1988), qui reconnaît sa photo d’immatriculation, à la FNDIRP.
  • Déclaration de décès pour l’état civil d’Auschwitz (Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen).
  • Archives de Dijon : Mme Degroise, conservateur, lettre sept. 1991.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 40, page 66, article de Pierre Lévêque.
  • Correspondance téléphonique et rencontre avec un de ses arrière-petits-fils (février et avril 2012).
  • Photos de famille, Droits réservés.

Notice biographique rédigée en février 1998 et mise à jour en 2012, 2015, 2017, 2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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