Henri Poillot : né à Paris 14è ; domicilié à Dijon (Côte d’Or) ; outilleur de précision ; militant Cgt, communiste ; arrêté comme otage le 11 janvier 1942 ; détenu à la prison de Dijon, interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 21 septembre 1942.
Henri Poillot est né le 29 avril 1901 à Paris 14è.
Il habite au 5, rue de l’Arquebuse à Dijon (Côte d’Or) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Jeanne, Marie Tatre, 22 ans, ouvrière, et de Ferdinand, François Poillot, 26 ans, cocher, son époux.
Ses parents habitent au 24, rue des Fossés Saint-Jacques à Paris 14è. Son père parle allemand et portugais.
Selon sa fiche matricule militaire, Henri Poillot mesure 1 m 64, a les cheveux châtain et les yeux bruns, le front moyen et le nez rectiligne. Il a le visage ovale.
Au moment du conseil de révision, il travaille comme ajusteur mécanicien à Beaune (Côte d’Or) où habitent ses parents au 18, petite rue Nicolas (ou faubourg Saint-Nicolas) Son père est alors surveillant et sa mère couturière.
Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1921, Henri Poillot est « appelé à l’activité » en avril 1921. Il est incorporé au 36è Régiment d’aviation le 29 avril. Il est transféré au 3è groupement d’aviation de Tunisie le 1er janvier 1922. Puis au 4è groupement d’aviation d’Afrique le 1er janvier 1923 (changement de dénomination). Il est envoyé en congé de disponibilité le 1er avril 1923. Il est « maintenu provisoirement sous les drapeaux par l’application de l’article 33 de la Loi du 21 mars 1905 (1). Il s’agit du maintien des appelés sous les drapeaux dans le cadre de l’occupation de la Ruhr. Il est renvoyé dans ses foyers le 24 mai 1923, « certificat de bonne conduite accordé ». Il habite alors à Beaune, au 28, place Madeleine.
Le 6 février 1924 à Beaune, il épouse Alice, Eugénie Girard. Sans profession, elle est née le 15 novembre 1898 à Liernais (Côte d’Or).
Le couple a deux enfants : au moment de l’arrestation de leur père, ses deux filles sont âgées de 19 ans pour Gisèle, Léone (3), employée aux Assurances Sociales, et 16 ans pour Geneviève, Edmonde, apprentie couturière.
En octobre 1926 Henri Poillot habite Nuits-Saint-Georges.
En juin 1927, le couple est domicilié à Malain (à l’ouest de Dijon) à l’usine Branget (fours à chaux).
Un an après ils déménagent à Ornans (Doubs), cité n° 11.
En octobre 1931, Henri Poillot est toujours domicilié dans le Doubs, mais à Montlebon, près de la frontière Suisse, chez Vermot (il s’agit de l’usine Vermot-Gaud, fabrique de couverts).
En 1935, il y travaille encore, mais a déménagé au « hameau sur la Seigne ».
En 1936, il est outilleur de précision à l’usine de décolletage Lipton, à Dijon.
En 1936, il participe activement aux actions du Front populaire et fait appliquer les accords Matignon dans son entreprise.
Henri Poillot est féru de lecture. Il joue du violon. En août 1938, il habite Dijon, au 2, rue des Facultés.
Au moment de la crise des Sudètes (2) Henri Poillot est « rappelé à l’activité » le 24 septembre 1938 (article 45 de la loi du 31 mars 1928) et renvoyé dans ses foyers le 5 octobre.
Les régiments du temps de paix sont dissous et donnent naissance aux régiments de formation.
Membre du Parti communiste, Henri Poillot est « exemplaire« , « un excellent copain » dit de lui Gabriel Lejard.
Avec la signature des accords de Munich, l’alerte cesse et les réservistes sont progressivement libérés au début d’octobre.
Henri Poillot est à nouveau « rappelé à l’activité » le 11 avril 1939 au 102è bataillon de l’air, en application du décret-loi du 20 mars 1939 et « renvoyé dans ses foyers » le 1er mai (Il s’agit de la période qui suit l’annexion de la Tchécoslovaquie par Hitler. Le gouvernement a procédé à une mobilisation partielle de l’armée par rappel de réservistes). Il est « rappelé » le 31 août 1939, à la veille de la déclaration de guerre, au 102è bataillon de l’air à Dijon-Longvic et envoyé « aux armées le dit-jour ». Le 2 septembre, il est affecté au Bataillon de l’air n°105 à Lyon. Le 12 décembre il est affecté au Bataillon de l’air n°103 à Châteauroux et Limoges.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 17 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Dijon et s’y installent. Interdictions, réquisitions, couvre-feu, l’armée allemande contrôle la ville. Dijon est durement touchée par la politique antisémite et les arrestations orchestrées par les troupes allemandes et l’administration de Vichy. L’armistice est signé le 22 juin.Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy surveille les anciens élus, candidats ou militants communistes « notoires », procédé à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire cesser la propagande communiste clandestine.
Henri Poillot est démobilisé (deuxième classe) le 6 août 1940.
Il est toujours un militant actif après l’interdiction du Parti communiste puis l’occupation allemande.
Il est arrêté le 11 janvier 1942 comme otage après l’attentat de la rue de la Pépinière du 10 janvier 1942 (une bombe est lancée par des résistants communistes contre le Soldatenheim (foyer du soldat). Selon l’enquête, la bombe, artisanale, avait été fabriquée dans une usine de la ville.
D’après sa fille Gisèle, « il s’occupait effectivement de sabotage. On a retrouvé dans son atelier des acides ». Eugène Bonnardin, Julien Faradon et Jean Renard sont arrêtés en même temps et pour la même affaire, le même jour.
Le 19 janvier, le Préfet de Côte d’Or est informé par le chef de la Police Judiciaire que sur les 26 ouvriers de l’usine Lipton arrêtés le 11 janvier, 21 ont été remis en liberté. Deux détenus ont avoué leur complicité (Pierre Dubost et Serge Guillerme) et trois autres sont retenus comme en otages en raison de leur affiliation au Parti communiste avant guerre : Julien Faradon, Henri Poillot et André Renard (ils seront tous les trois déportés à Auschwitz). Pierre Dubost condamné à morts est fusillé le 6 juillet 1942 à Dijon.
Il est détenu un mois au secret à la prison de Dijon.
Henri Poillot est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), début février 1942 en vue de sa déportation comme otage. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
En février, son épouse écrit au Préfet de Région afin d’obtenir l’allocation prévue en faveur des familles de prisonniers civils internés par les Autorités allemandes (elle est sans travail et sa fille cadette, alors apprentie, n’a aucun salaire).
A Compiègne, lors d’une visite d’Alice Poillot, son mari lui passe une boite d’allumettes avec des feuilles de papiers à cigarette sur lesquelles il lui donne des renseignements.
Son épouse recevra un colis de ses vêtements et son violon après le départ.
Depuis le camp de Compiègne, Henri Poillot est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu.
Le numéro « 45 994 ?» figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
De plus, la photo du déporté portant ce numéro matricule prise à Auschwitz lors de la séance d’immatriculation le 8 juillet 1942, n’a pas été retrouvée, aucune comparaison avec sa photo d’avant-guerre n’est possible.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date, même si son métier devrait lui avoir valu d’être affecté au camp principal.
Henri Poillot meurt à Auschwitz le 2l septembre 1942 d’après les registres du camp.
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Son registre matricule militaire, qui stipule qu’il est démobilisé en 1940 comme soldat de deuxième classe, fait néanmoins état d’un grade de lieutenant de réserve – sans référence militaire – mais fait état d’activités de Résistance en donnant l’adresse de Gabriel Lejard comme référence. Il est donc tout à fait vraisemblable qu’à la Libération un grade FFI lui ait été attribué (toutefois un tel document n’est pas répertorié au service des archives à Vincennes dossier GR 16 P 483087).
- Note 1 : Le rappel des hommes effectuant leur première année de service dans la réserve est autorisé » dans les cas où les circonstances paraîtraient l’exiger » (art. 33). De manière générale, le rappel est motivé par l’ » agression » ou la » menace d’agression caractérisée par le rassemblement de forces étrangères en armes » (art. 40).
- Note 2 : Hitler annonce qu’il annexera la région des Sudètes (située en Tchécoslovaquie) où existe une forte minorité allemande – 3 millions sur 15 millions -, quoi qu’il arrive, le 1er octobre 1938, sachant parfaitement que cela équivaut à une déclaration de guerre avec la France et le Royaume uni, alliées de la Tchécoslovaquie. La France mobilise alors ses troupes alors que, sur proposition de Mussolini, Hitler décide d’organiser une conférence « de la dernière chance » à Munich. Les accords de Munich sont signés le 30 septembre 1938. Au parlement, seuls les députés communistes et quelques députés de droite et de gauche ont voté contre la ratification. C’est la rupture officielle du Front populaire.
- Note 3 : Sa fille Gisèle, résistante, a été agent de liaison nationale (Dijon-Paris), homologuée FFI. Au Conseil de l’Europe, elle s’est occupée des archives déménagées des camps (2è et 3è bureau De Lattre). Sous le nom d’Alix Bazin, elle a mené une carrière d’artiste peintre, fondatrice de « l’Ecole des Peintres de la réalité», diplômée du Centre d’Etude de l’Académie Internationale Léonard de Vinci de Rome, membre titulaire du Comité international, diplôme d’honneur ; palmes d’or académiques, médaille d’or du Mérite et dévouement français, membre de la Légion violette, membre de la Fondation Michel-Ange, lauréate de grands prix internationaux de peinture.
Sources
- Souvenirs de Gabriel Lejard (cassette audio).
- « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense) n° 32143, n°274).
- Entretien téléphonique avec Gisèle Lejard (Alix Bazin) fille d’Henri Poillot (1991 et 1992).
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Registres matricules militaires.
- Photos de famille, remerciements à M. Jean-Claude Cilly (Henri Poillot était le grand-père maternel de son épouse).
Notice biographique rédigée en février 1992, complétée en 2015, 2016, 2017, 2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Merci pour ce récit qui m'a permis de redécouvrir l'homme courageux qu'avité ét mon arrière grand père.