Matricule « 45 750 » à Auschwitz
André Lecompte : né en 1910 à Paris 6è ; domicilié à Gennevilliers (Seine) ; fraiseur ; arrêté pour "activité communiste" le 12 décembre 1940, condamné à 10 mois de prison, puis à 6 mois (purgés à Fresnes et Romainville) peines confondues ; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 25 août 1942.
André Lecompte est né le 20 janvier 1910 à Paris 6è. Il est domicilié 36, rue du Gros Orme à Gennevilliers (Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation. Au camp de Rouillé, cette adresse est rayée pour le 67, rue du Ménil à Asnières (Seine / Hauts-de-Seine) où son épouse a dû déménager.
André Lecompte est le fils de Juliette, Ernestine, Hélène Levillain, 24 ans, ménagère. Il est reconnu par le mariage de sa mère avec René, Victor, Roger Lecompte, cordonnier, le 12 septembre 1912 à Bois-Colombes.
André Lecompte est métallurgiste (fraiseur).
Il a une sœur cadette, Juliette, née le 24 janvier 1925 à Bois-Colombes (domiciliée à Colombes en 1949, c’est elle qui sera destinataire de sa carte de Déporté politique à la Libération).
André Lecompte et sa famille auraient habité en 1931 au 315, avenue d’Argenteuil à Colombes (in Maitron), mais le nom ne figure pas sur le registre de recensement et la numérotation s’arrête au n° 172.
Sportif, il est adhérent de la Fédération Sportive du Travail.
André Lecompte adhère au Parti communiste en 1936.
Il vient habiter après 1936 au 36, rue du Gros Orme, un pavillon où habite également Emile Le Rigoleur, militant communiste (arrêté le 4 décembre 1942, déporté en 1943 au camp de Sachsenhausen. Rescapé), voir plus loin.
André Lecompte épouse Renée, Paule Appel le 2 décembre 1939 à Gennevilliers. Elle est sans profession, 39 ans, née le 1er mars 1900 à Epernay (Marne), divorcée de Pierre Luffay. Elle habite au 36, rue du Gros Orme. Le témoin du marié est Roger Lecompte, tourneur, domicilié à Colombes.
En 1940 André Lecompte est mobilisé au 9è Régiment de Dragon à Epernay. Puis au bout de deux mois, en raison de ses compétences professionnelles, il est détaché en tant qu’« affecté spécial » comme fraiseur chez De Cullant.
Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe. La nuit du 14 au 15 juin, de nombreuses troupes allemandes arrivent à Nanterre et Colombes.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
En décembre 1940, il est au chômage et touche une allocation de 23 francs par jour.
André Lecompte est arrêté le 10 décembre 1940 pour « activité communiste ». « Le 10 décembre 1940 des inspecteurs du commissariat de Puteaux se présentèrent au pavillon où vivaient les familles Lecompte et Le Rigoleur. À la vue des policiers Émile Le Rigoleur s’enfuyait, un inspecteur tira et courut à sa poursuite sans succès. Lors de la perquisition les policiers se rendirent compte que les lieux qui étaient occupés par les deux familles, et qu’il n’y avait aucune séparation entre les pièces occupées par les uns et les autres. Antoinette Le Rigoleur déclara qu’elle n’avait pas vu son mari depuis quelques temps. Un inspecteur lui affirma qu’il venait d’être blessé d’un coup de revolver alors qu’il s’enfuyait. Elle « pâlit » et « sanglota » selon le rapport de police et elle reconnut que s’était bien lui qui venait de prendre la fuite. La perquisition du rez-de-chaussée fut infructueuse. Dans une pièce du premier étage étaient installées deux machines à ronéotyper, des paquets de papier blanc et des tracts. Sur l’une des ronéos, un stencil portant l’en-tête de l’Humanité n° 91 datée du 3 décembre 1940, en titre « La “Révolution nationale” des saltimbanques de Vichy, c’est simplement la réaction antinationale des oligarchies capitalistes. » « Dans tous les pays capitalistes, les peuples sont traités en esclaves. En U.R.S.S. pays du socialisme, règnent le bien être, la liberté et la paix. » « A bas le capitalisme ! » « Vive la République française des Soviets ! » Des paquets contenant les tracts étaient prêts pour la diffusion. (Le Maitron, notice d’Emile Le Rigoleur).
Incarcéré à la Santé le 12 décembre, André Lecompte est condamné le 28 avril 1941 à 10 mois de prison pour infraction au décret du 26 septembre 1939 par la 12è Chambre correctionnelle. Le 18 juillet, il est condamné à 6 mois de prison pour « escroquerie » par la 13è Chambre. Il est transféré à Fresnes le 1 août 1941. Il y reçoit le matricule « 9612 ».
Il semble avoir transité par le camp de Romainville (mention sans date au DAVCC).
A la date d’expiration normale de ses peines d’emprisonnement (confondues), il n’est pas libéré. En effet, début janvier 1942, le Préfet de Police de Paris, François Bard, ordonne l’internement administratif d’André Lecompte, en application de la Loi du 3 septembre 1940 (1).
Il est interné administrativement le 3 janvier 1942 au camp de Rouillé (2).
Lire dans le site : le-camp-de-Rouillé
Il fait partie d’un groupe de 50 internés administratifs (38 internés politiques (RG) et 12 indésirables (PJ) transférés du Dépôt vers le CSS de Rouillé.
Un avis du 31 décembre stipule les conditions de ce transfert : Ils seront conduits en autocars par la rue Sauvage jusqu’à la gare d’Austerlitz, où ils pourront pénétrer jusqu’à la voie 23 au train de voyageurs n° 3. Le chef du convoi disposera d’une voiture avec 10 compartiments. Le départ est fixé à 7 h 55, l’arrivée à Rouillé à 18 h 51, après un arrêt de 45 minutes à Poitiers.
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui
doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (Frontstallag 122).
Le nom d’André Lecompte (n° 110 de la liste) y figure.
Le 22 mai 1942 c’est au sein d’un groupe de 168 internés (3) qu’il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122).
La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, André Lecompte est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 750 ». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
André Lecompte meurt à Auschwitz le 25 août 1942 selon les registres du camp, consultables depuis 1995 dans le livres du « Sterbebücher von Auschwitz », Tome 2, page 702, et désormais sur le site internet du Musée d’Auschwitz.
Son acte de disparition par jugement déclaratif de décès du 13 juillet 1950 indiquait la date du 31 juillet 1942, car dans l’ignorance des dates précises de décès les services d’état civil ont souvent fixé des dates approximatives dans les années qui ont suivi la guerre, afin de permettre aux familles de faire valoir leurs droits.
Et c’est finalement la mention erronée « décédé le 6 juillet 1942 à Compiègne » qui figure toujours sur son acte de naissance.
C’est cette mention et la méconnaissance des mécanismes d’attribution des dates « officielles » de décès après guerre qui a conduit Daniel Grason, auteur, peu avant son décès, de la notice biographique du Maitron, à ne retenir que cette seule date indiquant donc seulement « interné » dans la présentation en tête de la notice et non « déporté » . Puis en fin de notice à écrire : « Il mourut le 6 juillet 1942 le jour où il devait être dans le convoi de 1.160 hommes quasiment tous communistes à destination d’Auschwitz décédé à Compiègne« , formule incompréhensible puisque juste après, il fait figurer la date de décès à Auschwitz d’André Lecompte et son numéro matricule !
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
André Lecompte est homologué (GR 16 P 350281) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
En 1950, sa sœur et son beau-frère donnent Andrée comme deuxième prénom à leur fille, en hommage et souvenir à André Lecompte (mail de Jocelyne, Andrée Lecompte, 2010).
- Note 1 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
- Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. /In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
- Note 3 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
Sources
- Transfert de Rouillé à Compiègne. Archives du CDJC (XLI-42).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Etat civil de Gennevilliers, mariages de 1939.
- Recensements de population, Colombes et Gennevilliers.
Notice biographique (complétée en 2016, 2019, 2021 et 2024), réalisée initialement pour l’exposition sur les «45000» de Gennevilliers 2005, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner les références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Je m'appelle Jocelyne, Andrée LECOMPTE, mes parents m'ont donné ce prénom, il y a 60 ans en hommage et souvenir à leur frère et beau-frère, mais ils n'ont jamais su ce qu'il était advenu de lui après son arrestation. Ils sont aujourd'hui décédés, je viens de découvrir avec stupéfaction sa destination finale grâce à internet et ce gigantesque travail de fourmi réalisé pour rechercher tous ces disparus.
Je vous remercie de tout cœur, c'est enfin une page qui se tourne, je prends conscience aujourd'hui de l'importance de savoir.