Matricule « 45 214 » à Auschwitz
Albert Beaure : né en 1887 à Choisy-le-Roi (Seine / Val-de-Marne), où il habite ; courtier d'assurance, magasinier ; communiste ; arrêté par la police française le 4 octobre 1940, interné aux camps d’Aincourt, de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 24 octobre 1942.
Albert Beaure est né le 24 novembre 1887 à Choisy-le-Roi (département de la Seine aujourd’hui Val-de-Marne).
Il habite à Choisy-le-Roi, au 13, voie des Roses, au moment de son arrestation.
Il est le fils de Mélanie, Martine Magdelaine, âgée de 32 ans, blanchisseuse et de Pierre Beaure âgé de 34 ans, mégissier, son époux. Il a un frère aîné, Amédée, né en 1883. Leurs parents habitent au 34, rue de l’Epinette à Choisy-le-Roi.
Son registre militaire (matricule n° 2105 du 3è bureau de la Seine) nous apprend qu’il mesure 1m 65, a les cheveux châtains, les yeux bleus, le front haut et le nez fort, le visage ovale.
Il travaille comme emballeur puis magasinier et habite au 13, Voie des Roses à Choisy (Seine / Val-de-Marne). Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1907, il est appelé au service militaire le 6 octobre 1908 et dirigé sur le 115è Régiment d’Infanterie. Il est musicien (grosse caisse) le 21 mai 1909. Il est envoyé dans la disponibilité le 21 mai 1910, « certificat de bonne conduite accordé » et affecté dans la réserve de l’armée active au 115è RI.
Il épouse Léontine, Virginie Gressier à la mairie de Vitry le 3 juin 1911. Elle est née le 9 décembre 1882 à Auffrique-et-Nogent (Aisne), domiciliée au 37, avenue Rouget-de-l’Isle.
Le 1er août 1914 la mobilisation générale est décrétée. Tous les conscrits de sa classe, la 1907, sont rappelés sous les drapeaux. Il est mobilisé le 2 août 1914 au 115è Régiment d’Infanterie. Il est nommé caporal le 20 septembre 1914.
Blessé de guerre, il est classé « service auxiliaire » (commissions de réforme du camp de Coëtquidan des 1er avril et 13 juillet 1916) pour impotence fonctionnelle du poignet droit, paralysie du radial et plexus radial droit (blessure de guerre), et « passe » au 2è Cuirassier le 1er juillet 1917. Il quitte la « zone des armées » le 22 août 1917, et « passe » au 1er Cuirassier le 28 décembre 1917. Il est alors mis « sur le pied de guerre », affecté à la Compagnie Générale d’électricité rue Alexandre Pillaud à Ivry-sur-Seine jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918.
Il « se retire » au 6 bis ou 13, voie des Roses à Choisy. Il travaille alors comme magasinier. Son épouse décède le 30 janvier 1928.
Devenu veuf, il épouse en deuxièmes noces Germaine Feunot à Choisy-le-Roy le 16 août 1930. Elle est née le 9 août 1889 à Melun (Seine-et-Marne), coloriste en produits métalliques puis marchande ambulante à son compte. Divorcée en 1922, elle a un enfant, Roger Thibault.
Après 1931, le couple s’installe impasse 13, voie des Roses à Choisy.
Albert Beaure travaille comme courtier d’assurances à la Séquanaise, 4, rue Jules Lefebvre, Paris 9è. En 1936, son frère aîné habite avec eux.
Albert Beaure est militant du Parti communiste (source Renseignements généraux).
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Le 4 octobre 1940, il est arrêté par la police française dans la grande rafle organisée, avec l’accord de l’occupant, par le gouvernement de Pétain à l’encontre des principaux responsables communistes d’avant-guerre de l’ancien département de la Seine (élus, cadres du parti et de la CGT).
Il est interné avec ses camarades au camp de « séjour surveillé » d’Aincourt, dans le département de la Seine-et-Oise (aujourd’hui dans le Val d’Oise), près de Mantes, ouvert spécialement, en octobre 1940, pour y enfermer les communistes arrêtés dans la région parisienne par le gouvernement de Vichy.
Lire dans le site : Le camp d’Aincourt
Les internés administratifs à Aincourt en 1940 n’ont pas été condamnés : une révision trimestrielle de leurs dossiers est censée pouvoir les remettre en liberté, s’ils se sont amendés… Lors de la « révision trimestrielle » de son dossier, le commissaire Andrey directeur du camp émet un avis négatif sur une éventuelle libération « suit les directives du Parti communiste » écrit-t-il : Andrey, dont l’anticommunisme est connu, a émis très peu d’avis favorables. Le 5 avril 1941, cinq cent internés d’Aincourt protestent devant le refus du commandant du camp d’accéder à leur demande de recevoir leurs premières visites à l’occasion des vacances de Pâques. La protestation est appuyée par un refus de travail. Cinquante quatre d’entre eux sont placés à l’isolement. Pour protester contre cette mesure disciplinaire, les autres internés font la grève de la faim pendant la journée du 6 avril.
Mais le lendemain 7 avril, les 54 sont transférés à la maison centrale de Poissy, puis au camp de Châteaubriant (Mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin).
Le 6 septembre 1941, Albert Beaure est transféré au camp de Rouillé (1), au sein d’un groupe de 149 internés.
Lire dans le site : le-camp-de-Rouillé
Le 14 octobre 1941, le directeur du camp demande au Préfet de la Seine les dossiers des internés arrivés à Rouillé un mois auparavant, dont celui d’Albert Beauré. Ces dossiers lui sont envoyés par les Renseignements généraux le 28 octobre.
Le 9 février 1942, Albert Beauré fait partie d’un groupe de 52 internés communistes qui sont remis aux autorités allemandes à leur demande, et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Fronstalag 122) dirigé et administré par la Wehrmacht, via Poitiers. 36 d’entre eux seront déportés à Auschwitz avec lui.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Le 6 juillet, à six heures du matin, Albert Beaure est, avec ses camarades, conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le wagon qui les emporte vers Auschwitz, Louis Chevalier de Choisy jette sur la voie un message pour son épouse, dans lequel il écrit « je pars aujourd’hui avec Bourset, Raynal et Beaure, certainement pour l’Allemagne». Il s’agit d’Emile Bourset et d’Adrien Raynal, des camarades d’Orly.
Depuis le camp de Compiègne, Albert Beauré est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Arrivé le 8 juillet à 11 heures à Auschwitz, il est enregistré sous le numéro « 45 214 » au camp central.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
A partir de ce moment, on perd la trace d’Albert Beaure. On ignore s’il faisait partie de la moitié des membres du convoi qui retourne, le 13 juillet 1942, au camp central ou s’il reste à Birkenau, aux conditions d’existence plus précaires et encore plus meurtrières.
D’après les registres d’Auschwitz, il est mort le 24 octobre 1942. A cette date, la moitié des compagnons de déportation avait disparu. Il faut savoir que la mortalité à Auschwitz avait atteint son maximum dans le second semestre de 1942 pour tous ceux qui entraient dans l’espace concentrationnaire d’Auschwitz : 20 % des détenus (« juifs aptes au travail », détenus politiques ou autres), mourraient chaque mois. De quoi est mort Albert Beaure, on l’ignore à ce jour ? On sait que comme ses compagnons de misère, il a dû affronter la sévérité du climat continental, la pesanteur et la longueur du travail forcé, le manque de repos et de nourriture, les brutalités de ses gardiens et l’atmosphère de terreur et d’humiliation imposé par les SS. Les détenus d’Auschwitz mourraient d’épuisement, du typhus, de la malaria, de la tuberculose et d’autres maladies non soignées que favorisaient la dénutrition et l’absence totale d’hygiène et de soins.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
D’autres étaient assassinés par des SS ou par les détenus qui leur servaient d’auxiliaires. Un grand nombre des déportés du convoi du 6 juillet 1942 ont été pris dans les « sélections » qui avaient lieu régulièrement à l’intérieur du camp et qui condamnaient les détenus, qu’ils soient juifs ou non, et parce que jugés «inaptes au travail», à mourir dans un block de l’infirmerie par piqûres de phénol dans le cœur ou dans les chambres à gaz de Birkenau. Des centaines de « 45 000 » sont ainsi morts gazés.
Une mention marginale de l’acte de naissance d’Albert Beaure indiquait encore en 1992 : «décédé à Compiègne le 6 juillet 1942 », ce qui montre qu’au moment de l’établissement de son acte de décès, on ignorait même qu’il avait été déporté.
Albert Beaure est homologué comme Résistant, au titre de la Résistance Intérieure Française (RIF) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 41843.
Son nom est mentionné dans un article du bulletin municipal « Choisy Info » n° 143, (avril 2011), consacré aux déportés de Choisy du convoi du 6 juillet 1942, avec une interview de FernandDevaux.
- Note 1 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus aucamp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverseset du camp des Tourelles. /In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
Sources
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin sur Aincourt.
- Archives en ligne de la Seine, état civil et recrutement militaire.
- Recensements de population à Choisy-le-Roi (1901 à 1936), élections (registres de la Seine)
Notice biographique mise à jour en 2010, 2012, 2015, 2019, 2020 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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