Matricule « 46 237 » à Auschwitz
Maurice Froment : né en 1909 à Auboué (Meurthe-et-Moselle) où il réside ; mineur ; syndicaliste ; communiste ; arrêté le 7 février 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 9 octobre 1942.
Maurice Froment est né le 4 janvier 1909 à Auboué (Meurthe-et-Moselle) où il réside au 66, bis cité du Tunnel, au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Gény, 25 ans, née à Moineville en 1884 et d’Albert Froment, 36 ans, né à Changy en 1873, manœuvre à l’usine d’Auboué, puis mineur, son époux.
Maurice Froment a six sœurs et deux frères : Rose née en 1902, Jeanne Léontine, née en 1904, Henri, Augustin, né en 1905, Marie née en 1911, Marcelle, née en 1913, René, né en 1922, Albertine , née en 1920, Simone, née en 1926 et Roger.
Dès octobre 1914 l’armée allemande occupe quasiment toutes les mines lorraines, dont celles d’Auboué. Plusieurs évacuations des habitants (français et italiens) auront lieu en vagues successives (en 1918, il ne reste plus que 35 % de la population de 1914).
Le 5 décembre 1916, Marie Froment et ses 6 enfants sont évacués sur La Roche-sur-Yon. En 1921, au moment du recensement de population, la famille, avec le chef de famille, est revenue habiter Auboué. Seule la cadette Marcelle n’est pas mentionnée. En 1930, conscrit de la classe 1929, Maurice Froment effectue son service militaire au 94e Régiment d’Infanterie, basé à Bar-le-Duc.
Lors du recensement de1936, la famille Froment habite au n° 179, Cité de Coinville. Leur père est manœuvre, son épouse et 6 enfants habitent avec eux. L’aîné, Henri, est machiniste.
Le 7 novembre 1936 à Auboué, Maurice Froment épouse Marcelle Piacenti. Ils ont une fille, Gisèle.
Il est métallurgiste à l’usine d’Auboué, qui fait partie de la Compagnie Pont-à-Mousson. (mais déclaré « Landwirt », agriculteur, selon l’acte de décès allemand (1). Maurice Froment est membre du Conseil Syndical (Métaux), et sera licencié, le 30 novembre 1938, avec une grande partie du conseil syndical, comme Charles Schneider et Valère Henry. Voir dans la notice de ce dernier la photo d’ensemble.
C’est la vague de répression qui suit l’échec de la grève générale des 29 et 30 novembre 1938 (76 % de grévistes à Auboué, mais seulement 20,6 % de grévistes dans les Métaux, 8 % dans la métallurgie, 20,4 % dans les mines de fer).
Footballeur, il fait partie de l’US Auboué, affiliée à la FSGT (sur la photo il est le huitième debout en partant de la droite) ci-contre, in page 33 de l’ouvrage d’Alfred Rossolini « Résistance, Engagement d’une cité ouvrière« .
Conscrit de la classe 1929, il est certainement mobilisé à la déclaration de guerre.
Le 17 juin 1940 l’armée allemande occupe Auboué. La Kommandantur est installée dans le logement de la directrice d’école, au dessus de la mairie. Puis elle sera installée à Briey.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). L’Alsace Moselle est occupée.
Fin juin 1940, toute la Meurthe-et-Moselle est occupée : elle est avec la Meuse et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté, destinée au « peuplement allemand ». À l’est de la « ligne du Führer », tracée depuis la Somme jusqu’à la frontière suisse, les autorités nazies envisagent une germanisation des territoires suivant différentes orientations. C’est un autre sort que celui de la Moselle et de l’Alsace, annexées par le Reich, du Nord et du Pas-de-Calais, mis sous la tutelle du commandement militaire allemand de Bruxelles, qui attend les territoires situés le long de cette ligne dite du Nord-Est. En tout ou partie, ces départements, et parmi eux les francs-comtois, font l’objet d’une « zone réservée » des Allemands (« En direct », Université de Franche-Comté). Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Plus de 20 000 Allemands, soit l’équivalent de deux divisions, sont stationnés en permanence en Meurthe-et-Moselle. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle collabore sans état d’âme avec les autorités allemandes, il « ne voit aucun inconvénient à donner à la police allemande tous les renseignements sur les communistes, surtout s’ils sont étrangers » (Serge Bonnet in L’homme de fer p.174).
« Mario Tinelli, aidé par Maurice Froment, Roger Henry, Joseph Schneider, Pierre Pederzoli et Gino Parentelli, met en place un réseau de résistance communiste, très bien structuré. Affilié au Front National de Lutte pour l’indépendance de la France créé en Meurthe et Moselle en mai 1941, ce réseau obéit à une règle : cloisonnement de groupes constitués de trois personnes dont un responsable ; trois responsables sont placés à leur tour sous les ordres d’un dirigeant qui est en contact avec la direction locale » Alfred Rossolini in « Résistance, engagement d’une cité ouvrière, Auboué 1936-1945″ p. 21. Alfred Rossolini. Wotan Ed. Nancy 2016.
« En 1941, les groupes communistes inaugurent une action de résistance, inédite jusqu’ici : la commémoration des grandes fêtes patriotiques nationales, bien sur interdites depuis le début de l’occupation. Les manifestations du 14 juillet 1941 sont les premières du genre. La plus spectaculaire s’est déroulée à Auboué (…). Tous les groupes de trois d’Auboué ont été mobilisés pour organiser cette action durant la nuit du 13 au 14 juillet. Les femmes et les jeunes filles communistes avaient confectionné un drapeau tricolore de 4 mètres sur 4 et une multitude de bandelettes de tissus rouges ou tricolores. Dans la nuit du 13 juillet, un groupe de 3 voltigeurs, protégé par un groupe armé, est allé fixer le drapeau tricolore sur un pylône installé non loin du viaduc traversant Auboué. A cet endroit, il est visible de tous les quartiers de la localité. Pendant ce temps, un autre groupe de voltigeurs, lui aussi protégé, s’est attaché à couvrir les murs de la ville, et même les murs d’enceinte de l’usine, d’inscriptions hostiles à Vichy, à l’Allemagne ou appelant à adhérer la Jeunesse Communiste. Enfin, une partie des groupes de trois composée d’adultes jetaient les bandelettes rouges ou tricolores accrochées à des boulons sur des fils électriques de chaque quartier, pendant que d’autres distribuaient des tracts (…). Au matin, toute la localité était pavoisée L’occupant réagit très tôt le matin du 14 en effaçant toute trace de la manifestation : le drapeau tricolore fut descendu de son pylône par la police française, encadrée pour l’occasion par l’armée allemande et toutes les inscriptions effacées sauf celles « adhérer aux J.C. » faites sur le mur extérieur de l’usine. Le 15 juillet, un certain nombre de militants communistes connus avant guerre furent appréhendés pour interrogatoire par la police française, puis libérés dans la journée faute de preuve. Parmi eux, Maurice Froment, et Charles Mary« . In Magrinelli Op. cité p. 234). René Favro est arrêté le 7 février 1942 par des Feldgendarme, en même temps que Louis Bresolin, Arsène Dautréaux, Maurice Froment, Valère Henry, Charles Mary, Jean Pérot, Primo Pasquini (1), Joseph Schneider, Serge Schneider et Emile Tunési.
Militant communiste, Maurice Froment participe à des actions de sabotage et de recrutement de militants. Il est ami avec René Favro et Serge Schneider.
« La résistance communiste, délaissant les incendies de récoltes, impopulaires, effectue (entre 1940 et 1943) plusieurs actes de sabotages à Auboué recensés par la Préfecture : 3 sabotages de voie ferrée, 2 sabotages de lignes téléphoniques et 2 sabotages d’installations industrielles « (in Magrinelli, Op. cité, p. 251). Les deux neveux de Valère Henry, membres des jeunesses communistes, sont les « voltigeurs d’Auboué » selon l’appellation de Camille Thouvenin (responsable régional du PC, arrêté le 23 juillet 1941).
C’est précisément à la suite de l’une d’elles (le 4 février : Lire dans le site : Meurthe et Moselle Le sabotage du transformateur électrique d’Auboué (février 1942) que Speidel à l’Etat major du MBF annonce qu’il y aura 20 otages.
Une importante prime à la délation est annoncée (20.000 F des autorités et 10.000 de la direction de l’usine) : pour comparaison, le salaire horaire moyen d’un ouvrier de l’industrie est à l’époque de 6 F, 30 (in R. Rivet « L’évolution des salaires et traitements depuis 1939 »).
Maurice Froment est arrêté par des Feldgendarmen, le 7 février 1942, en même temps que Louis Bresolin, Arsène Dautréaux, Maurice Froment, Valère Henry, Charles Mary, Jean Pérot, Primo Pasquini (1), Joseph Schneider, Serge Schneider et Emile Tunési.
Serge Schneider est le fils de Joseph Schneider. Jeune communiste, il raconte leur arrestation : « Le premier jour de mon nouvel emploi (c’est à l’usine d’Homécourt que j’ai pu commencer le 5 février 1942), en rentrant à 17 h 00 deux camarades (Maurice Froment et René Favro) m’interpellent pour m’annoncer qu’il y avait eu sabotage du transformateur à l’usine d’Auboué par un groupe de nos camarades. Nous avons discuté quelques minutes puis rapidement, la maison fut cernée par la gendarmerie française et la police secrète. Ils ont envahi notre café (Joseph Scheider, licencié en 1938 de l’usine d’Auboué a dû prendre la gérance d’un café), personne ne devait bouger, perquisition dans toutes les pièces. Malheureusement ils ont trouvé dans ma chambre un paquet de tracts, un camarade n’était pas venu chercher le paquet deux jours avant. Etant encore à table avec mes deux camarades, nous avons été emmenés tous les trois dans la prison de la gendarmerie d’Auboué, puis le lendemain avons été transférés à la prison de Briey ». » Le 7 février un car nous attendait à la porte de la prison de Briey avec 16 camarades, dont mon père qui avaient été arrêté le matin. Une douzaine de «
feldgendarmes » nous entouraient pour nous conduire à la prison de Nancy. Mon père fut mis directement au secret, le reste de la troupe a été séparé en deux groupes pour occuper deux cellules. Encore aujourd’hui je me souviens de ce premier repas en prison, le rationnement avait obligé la femme de Maurice à nous cuisiner du chat« .
Maurice Froment soigne Serge Schneider lorsqu’il revient des interrogatoires : « Une semaine après je fus conduit à la kommandantur, interrogatoire musclé, ils voulaient savoir à qui était destiné le paquet de tracts qui avait été trouvé dans ma chambre, je n’ai jamais parlé, mais je revenais dans la cellule le visage en sang. C’est mon camarade Maurice qui m’avait pris sous son aile et me soignait, et cela à plusieurs reprises ».
L’émotion est grande dans les cités ouvrières d’Auboué, et plusieurs interventions ont lieu en direction des autorités allemandes (le maréchal Keitel écrit au préfet de Meurthe et Moselle, lui demandant de libérer quelques uns des otages).
Maurice Froment est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand (le Frontstalag 122) de Royallieu à Compiègne, administré par la Wehmarcht, le 2 mars 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Maurice Froment est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le matricule « 46237 » selon les registres du camp.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il meut à Auschwitz le 2 septembre 1942 selon les registres du camp.
Une rue « Maurice Froment » a été inaugurée en 1966 à Radebeul (arrondissement de Meissen, Saxe, Allemagne) ville jumelée avec Auboué en 1961.
Son jeune frère, René, né le 29 avril 1922 à Auboué, mineur, a été fusillé le 29 juillet 1942, à la Malpierre. Il est l’un des « voltigeurs d’Auboué » mentionné par les frères Magrinelli dans leur ouvrage.
Le nom de Maurice Froment est gravé sur la stèle en « Hommage aux Francs-tireurs Partisans Français d’Auboué, morts aux camps de déportation d’Auschwitz (Maurice Froment, Valère Henry, Charles Mary, Emile Tunési, René Favro, Joseph Schneider) et Oaranienbourg (Génaro Nanini, Wladislaw Koziol, Dario Mériggiola), située en bas à gauche du monument « Auboué à ses glorieux Fusillés Francs-Tireurs Partisans Français » – Square Jean Moulin près du vieux cimetière. Relevé Bernard Butet.
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Note 1 : Lors de l’immatriculation à Auschwitz, certains déportés ont conseillé aux nouveaux arrivants de se déclarer agriculteurs ou jardiniers, afin d’intégrer un des Kommandos extérieurs, réputés moins pénibles.
Sources
- Lettre de Madame Gisèle Do, fille de Charles Schneider à Roger Arnould (1973).
- « Antifascisme et Parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1929/1945 » (Jean-Claude et Yves Magrinelli). Imprimerie SNIC, Jarville / 1985.
- Section des Déporté, internés, familles de fusillés d’Auboué (M. Corziani) (mars 1991).
- Avis de décès (ACVG, avril 1992).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Mail de madame Monique Gissinger, née Lajoux, petite fille de Jeanne Léontine Froment, une des sœurs de René et Maurice Froment
Notice biographique rédigée en 1997 (modifiée en 2001, 2016, 2018 et 2021), pour la conférence organisée par la CGT et le PCF de la vallée de l’Orne, à Homécourt le 5 juillet 1997 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteure des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000.
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Un grand merci de cette article je suis la petite fille de Roger le frère de Maurice et je suis heureuse d’apprendre des choses sur ma famille
Je suis la petite fille de Jeanne (Léontine, née en 1904)(épouse Lajoux)une soeur de Maurice et René . C’est très émouvant de plonger dans ce passé.
Merci pour votre mail, j’ai ajouté le prénom de Jeanne, Léontine. Cordialement. Claudine Cardon-Hamet