Henri Mathiaud le 12 septembre 1940 Droits réservés Gautier Sudre

Matricule « 45.860 » à Auschwitz   Rescapé

Henri Mathiaud : né en 1909 à Clichy (Seine) où il habite ; ajusteur ; communiste ; arrêté le 14 octobre 1940, condamné à 6 mois de prison (Santé, Fresnes) ; interné aux camps d’Aincourt, Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Monowitz, Sachsenhausen, Schwerin ; Rescapé ; décédé le 21 juin 1960.

Henri Mathiaud est né le 6 août 1909 à Clichy-la-Garenne (ancien département de la Seine) où il habite 29, Passage du Puits Bertin au moment de son arrestation. Il est le fils de Marie Rose Béal, 34 ans, sans profession et de Henri, Michel Mathiaud, 29 ans, journalier, son époux. Ils habitent au 34, rue Petit à Clichy-la-Garenne.
Ses parents, tous deux originaires du même bourg auvergnat, se sont mariés le 18 août 1908, à Saint-Bonnet-Tronçais (Allier).Henri Mathiaud a un demi frère, Arthur Béal, né en 1897, et un frère cadet, Raymond, né en 1912, décédé en 1966.
Au recensement de 1911, la famille Mathiaud a déménagé à Clichy-la-Garenne, au 9, passage du Puits-Bertin (une rue située le long de la voie de chemin de fer St Lazare-St Germain, parallèle à la rue Petit).
Il s’est marié à Levallois le 29 octobre 1932  avec Simone, Marguerite, Lagrange. Il a 23 ans. Elle est brocheuse, vraisemblablement à l’imprimerie Paul Dupont à Clichy, toute proche du domicile de sa mère, veuve, qui habitait au 20, passage Gravel à Levallois-Perret de l’autre côté des voies de chemin de fer St Lazare-St Germain. Elle est âgée de 17 ans, née le 14 juins 1915 à Paris 14ème. Le couple a deux enfants (Andrée, née en 1933 et Michel, né en 1936). En 1935, il s’inscrit sur les listes électorales de Clichy. Au recensement de 1936, Henri Mathiaud est ajusteur-monteur chez Auto place à Levallois.  Il est adhérent du Parti communiste

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Un mois avant son arrestation

Henri Mathiaud connu comme communistes est arrêté à son domicile le 14 octobre 1940, avec son frère Raymond.  Ils sont inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, et sont condamnés 6 mois de prison (leurs peines seront confirmées en appel le 10 mars 1941). Il sont écroués à la Santé le 16 mars puis à Fresnes le 17 mars 1941.
A la date d’expiration normale de leur peine d’emprisonnement, et en application du décret du 18 novembre 1939 (1) le préfet de police de Paris, Camille Marchand, fait interner Henri et Raymond Mathiaud au camp de «Séjour surveillé» d’Aincourt, ouvert spécialement, en octobre 1940, pour y enfermer les communistes arrêtés dans la région parisienne par le gouvernement de Vichy (lire dans le site Le camp d’Aincourt).

Montage photo Pierre Cardon : liste des internés communistes du 18 mars 1941

La mention concernant les motifs de son internement communiquée par les Renseignements généraux au directeur du camp d’Aincourt dans une liste des militants communistes internés administrativement à Aincourt le 18 mars 1941 porte pour Henri Mathiaud : « meneur communiste actif, a été condamné le 10.3.41 par la Cour d’appel de Paris à six mois de prison pour infraction au décrret du 26.9.39« . La mention « idem » est portée pour son frère.

Il y est interné le 18 mars 1941 avec son frère et un camarade de Clichy, Eugène Guillaume. Ils vont y retrouver René Petitjean, interné depuis le 16 janvier. Eugène Guillaume, René Louis, Henri Mathiaud, Louis Preuilly et Edouard Dufour seront tous déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942 (seul le frère d’Henri Mathiaud, Raymond, ne le sera pas).

Henri Mathiaud et Raymond Mathiaud seront transférés au camp de « Séjour surveillé » de Rouillé le 6 septembre 1941.

Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au directeur du camp de Rouillé (2) une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (Frontstallag 122).
Le nom d’Henri Mathiaud (n°128) y figure, comme ceux de ses deux camarades clichois, d’Eugène Guillaume et René Petitjean.
C’est avec un groupe d’environ 160 internés (3) qu’il arrive à Compiègne le 22 mai 1942. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet. A Compiègne, Henri Mathiaud reçoit le n° matricule 5954.  Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Henri Mathiaud est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

l’entrée du camp d’Auschwitz

Henri Mathiaud est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45860 ».

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il est affecté au Block 15 (Post II, Stube 4) : il travaille dans plusieurs kommandos et notamment à celui de la serrurerie (Schlosserei), avec René
Petijean
,Georges Brumm, Adrien Fontaine, Auguste Monjauvis et Raymond Montégut.
En application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus français des KL, la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il reçoit le 4 juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des
aliments.
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du
site « les 45000 au block 11
.  Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Selon le témoignage de Robert Chazine, déporté à Auschwitz, il a été transféré à Monowitz (kommando Soznowitz) en avril 1944, puis ramené à Auschwitz deux mois plus tard.

Les itinéraires des rescapés © Claudine Cardon Hamet DR

Le 29 août 1944, Henri Mathiaud est évacué sur Sachsenhausen avec 29 autres « 45000 » et affecté au Kommando Siemens.

Le 21 avril 1945, le camp de Sachsenhausen est évacué en direction de la mer Baltique (vers Schwerin, Lübeck ou Hambourg).

L’évacuation de Sachsenhausen, le 21 avril, jette sur les routes des milliers de déportés. René Maquenhen, René Petitjean, Henri Mathiaud sont dirigés sur Schwerin. René Maquenhen raconte leur libération : Après avoir marché toute la journée, on s’aperçut qu’il y avait des manquants. Ceux qui ne pouvaient pas suivre s’écroulaient sur le bord de la route et le dernier SS de la colonne avait pour mission de les achever. Après leur avoir tiré une balle derrière la tête, il les poussait dans le fossé. (…) Le 2 mai, (…) arrivés à la
hauteur d’une plaine bordée de chaque côté de bois de sapins, on nous fit arrêter. (…) Quelques SS voulurent nous supprimer. Mais, après une âpre discussion, quelques-uns jetèrent leur mitraillette, se séparèrent et nous reprîmes la marche (…). Le commandant de notre colonne nous fit rentrer dans la cour d’un grand château et nous fit mettre dans un hangar. (…) La nuit du 2 au 3 mai, je fus réveillé par des coups de canon. (…) Je pris la tête de Petitjean et l’embrassai : « Je crois que cette fois ils sont passés » (…). Je sortis dehors et, à ma grande surprise, je ne vis plus de gardiens. (…) Les SS avaient pris la fuite. Nous étions libérés.
Au matin, René Maquenhen et Henri Mathiaud se rendent dans le village le plus proche où ils rencontrent un groupe de prisonniers de guerre français. Ceux-ci leur donnent des habits civils. Après une courte causerie, nous les quittâmes et vîmes, au bout de la route, un convoi. Nos sauveurs ! L’un des prisonniers fit flotter un
drapeau tricolore préparé pour cela. Le convoi approchait. L’un dit : « Ce sont les Américains », un autre : « Ce sont les Russes ». Oui, c’étaient les Russes. Nous leur sautâmes au cou. (…) Pas un Russe ne passa devant le drapeau sans saluer.
Un officier soviétique installe les anciens déportés dans le château où les SS les avaient abandonnés : Camarades, vous avez jusqu’à maintenant trop souffert. Vous avez besoin de repos. Vous avez besoin de manger. Ce château est à vous. Vous avez en face plus de cent bêtes à tuer, plus que vous ne pourrez
en manger. Mais ne gaspillez pas 
(in Mille otages pour Auschwitz p.455).
Le 2 mai 1945, les troupes soviétiques libèrent les déportés, puis les remettent aux Américains, qui les « enferment » dans la caserne Adolf Hitler de Schwerin. Son camarade René Petitjean est avec lui. Selon le témoignage de Guy Chataigné, un déporté de Sachsenhausen qui se retrouve lui aussi dans cette caserne « nous sommes cantonnés par les Américains qui voyaient d’un assez mauvais œil nos sorties, nos dérapées à l’extérieur, qu’on
continuait cependant de faire à leur barbe
».
Ils rentrent en France, via Valenciennes, en wagons à bestiaux le 23 mai 1945. Henri Mathiaud  arrive à Paris le 24 mai 1945.
Comme la plupart des rescapés, il donne à leurs familles des nouvelles de ses camarades morts à Auschwitz (en particulier ceux d’Ivry).
Son premier mariage est dissous par jugement de divorce le 10 juin 1948. Il épouse Louise, Alfredine, Riaux le 29 janvier 1949. Le couple aura deux filles, Marie-José née en 1947 et Vicky née en 1950.
Henri Mathiaud est homologué « Déporté politique ». Il est homologué (GR 16 P 403110) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.

Il meurt à Paris (13°) le 21 juin 1960. Plusieurs témoignages de rescapés du convoi, Gaston Aubert, Fernand Devaux et René Petitjean, le frère d’Henri Mathiaud (Raymond), a été lui aussi interné à Aincourt et à Rouillé. La reproduction ci-dessus de la liste des internés à Aincourt le 18 mars 1941 en apporte la preuve.

  • Note 1 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy en 1941. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Les premiers visés sont les communistes
  • Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. Il a été fermé en juin 1944. In site de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé.
  • Note 3 : Dix-neuf internés de cette liste de 187 noms ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps, ou sont hospitalisés. Trois se sont évadés. Cinq d’entre eux ont été fusillés.

Sources

  • Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense).
  • Archives municipales de Clichy (92).
  • Recensement de la population à Clichy, 1911.
  • Lettre de Robert Chazine du 7 janvier 1991.
  • Témoignages de René Maquenhen et de René Petitjean sur la vie à Traumark et la libération.
  • © Marche de la mort. Dessin au charbon de Guy Chataigné.
  • Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), page 455.
  • Mail de Vicky Thilvert, mai 2016.
  • Photo de 1940 transmise par son petit-fils Gautier Sudre. Droits réservés.

Notice biographique (complétée en 2016, 2019 et 2021), réalisée initialement pour l’exposition sur les «45000» de Gennevilliers 2005, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner les références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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