Matricule « 46 264 » à Auschwitz   Rescapé

Gabriel Torralba
Gabriel Torralba : né en 1916 à Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; domicilié à Villenave d’Ornon (Gironde) : communiste ; ancien des Brigades internationales ; interné au camp de septfonds arrêté le 10 août 1941 ; interné à Compiègne en 1939; arrêté le 22 octobre 1940 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Flossenbürg, Dora ; rescapé ; décédé le 1er juin 1989 à Séville. 
Le récit de son arrestation à son retour d’Espagne et sa déportation (lettre à André Montagne)

Gabriel, Edgard Torralba est né à la maternité de Tarbes (Hautes-Pyrénées) le 2 janvier 1916.
Il habite au 13, rue Victor Hugo, quartier Chambéry – Pont de la Maye à Villenave d’Ornon (Gironde), faubourg de Bordeaux au moment de son arrestation.
Il est le fils de Joséphine Deriole (état civil de Tarbes) ou Dériol (mairie de Gisors) 30 ans et d’Amédée Torralba y Vendrelle, né en Espagne le 22 août 1883, âgé de 32 ans, fabricant de colliers puis, sellier son époux.
Le couple est domicilié à Gisors (Eure), au 20, rue du Faubourg de Paris, résidant à Tarbes. Il a deux frères, Ange son aîné et Marc, son cadet.
Gabriel Torralba est célibataire au moment de son arrestation, il travaille comme mosaïste.  

En 1936, il est appelé pour effectuer son service militaire au 14è régiment d’infanterie de Toulouse, mais à cette époque Gabriel Torralba travaille en Espagne. Et lorsque le général Franco se soulève contre le gouvernement de la République, il ne rentre pas en France. 

Il prend une part active à la lutte contre Franco. Il est un des responsables d’une des usines «que nous avions réquisitionnée». En 1938, « nous sommes partis volontaires au front, dans une brigade du syndicat UGT, qui a été par la suite englobée dans l’armée espagnole, républicaine bien entendu. A la débâcle, je suis rentré en France, avec une partie de l’armée».

Le camp de Septfonds

Après avoir rendu leurs armes aux gendarmes français à Bourg-Madame (Pyrénées-Orientales), il y séjourne pendant 3 semaines, puis avec ses camarades, il est dirigé sur le camp de Septfonds, dans le Lot-et-Garonne, un camp construit pour « accueillir » les 18 000 réfugiés de l’armée espagnole, sous la garde de soldats sénégalais.

Gabriel Torralba a 23 ans « Je me trouvais en situation irrégulière du fait que je n ’avais pas fait mon service militaire en France ! A la suite d’un décret d’amnistie, j’ai été libéré du camp et amené à Toulouse pour y faire mon service militaire. J’ai été démobilisé en 1940 et en juin j’ai rejoint Bordeaux ». 

Soldat allemand à Bordeaux

En mai et juin 1940 Bordeaux subit des bombardements quotidiens. Il y a plus d’un million de réfugiés en Gironde. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées.  Bordeaux est déclarée ville ouverte par le maréchal Pétain.Le 27 juin les premiers détachements allemands traversent la ville. Le 28, le général Von Faber du Faur installe l’administration allemande dans les grands hôtels du centre-ville et la Feldkommandantur à la cité universitaire. La ligne de démarcation coupe le département en deux.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Gabriel Torralba travaille dans une petite entreprise de carrelage, dans le quartier de la rue Ferbos à Bordeaux.

Il reprend ses activités professionnelles et militantes « Mon père était communiste, et avait convoyé des camions qui portaient la solidarité des Français pour l’Espagne républicaine. Bref à la maison, nous étions tous au Parti. La cellule a commencé à imprimer et distribuer des tracts. Connus comme nous étions, il ne fut pas difficile à la police française de savoir d’où venaient les tracts. Ils sont venus m’arrêter sur mon lieu de travail. Mes deux frères qui étaient cheminots à la gare, et mon père à son atelier. Tous les quatre nous avons été arrêtés le même jour, avec presque tous les militants de notre quartier et Jean Bonnardel, le secrétaire de la section (il sera fusillé au camp de Souge à l’âge de 38 ans, avec 49 autres militants les 23 et 24 octobre 1941) ».

Le 28 juin 1940, l’armée allemande entre dans Bordeaux déclarée ville ouverte par Pétain et le 29 le gouvernement français quitte Bordeaux et part s’installer à Vichy. La Gironde est occupée.

Gabriel Torralba est arrêté le 22 octobre 1940,
à son atelier par les policiers français de la tristement célèbre « Brigade Poinsot » (1), pour ses activités politiques connues. Dans la même période et jusqu’en décembre seront arrêtés 147 militants communistes, parmi lesquels trois d’entre eux seront déportés avec lui dans le convoi du 6 juillet 1942 : 
Jean Beudou, Gabriel Eustache et Jean Guenon.

Le même jour sont arrêtés le frère de Gabriel Eustache (Jean), le père Amédée Torralba (2) et les deux frères aînés de Gabriel Torralba, Ange et Marc, tous deux cheminots (3).
Gabriel Torralba commente ainsi « connus comme nous étions, il n’y eut pas de difficulté à la police française de savoir d’où venaient les tracts ».
Gabriel Torralba, est détenu quai des Chartrons à Bordeaux, puis pendant 2 mois au centre de séjour surveillé, 24 quai de Bacalan à Bordeaux. Il est ensuite transféré au camp de « Beau-Désert », à Mérignac où il est interné jusqu’en avril ou mai 1942.
Début 1942, les noms de trois Torralba figurent sur un état des internés à Mérignac « dont les sentiments et activité communistes ne font pas de doute ».

Gabriel Torralba est alors remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), en vue de sa déportation comme otage. Ils sont quatre de Bordeaux à être transférés le même jour, soient Jean BeudouGabriel Eustache et Jean Guenon et Gabriel Torralba.
A Compiègne il est affecté à la chambre N°3, bâtiment A1, avec Jean Beudou et Gabriel Eustache.
Le « menu » de Gabriel Torralba et les signatures de d’internés, futurs « 45.000 »

Il participe aux actions collectives organisées par la Résistance du camp pour maintenir le moral des internés et venir en aide aux plus démunis : en exemple, le menu d’un « repas fraternel » organisé le 5 mai 1942, et qui porte 34 signatures, parmi lesquelles on peut identifier celles de plusieurs « 45000 » (Eugène Clément (45374, de Paris), Armand Nicolazzo (45924, d’Argenteuil), Louis Guidon (45637, d’Ivry), Félix

 Néel (46252, de Romainville), André Doucet (45480, de Nanterre), Auguste Monjauvis (45887, de Paris), Jean Berthoud (45230 de Paris XXème), Louis Gouffé (45620 de Romainville), René Beaulieu (45213, de Rosny), et celles de ses camarades bordelais, Eustache (45522 de Pessac), Beudou (45243 de Talence), et d’André Tollet qui s’évadera par le tunnel, quelques jours après.

Depuis le camp de Compiègne, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Gabriel Torralba est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.  

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46 264 »Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
A Auschwitz I, il est affecté au Block 18 et aux kommandos Menuiserie (Holtzplatz), et DAW, (Deutsche Ausrüstungswerke) où il retrouve Maurice Rideau. 

Il est au block 11 pendant la quarantaine (lire le paragraphe du site intitulé 1943 : une année moins meurtrière. Résistance et solidarité, dans l’article du site : présentation du convoi : origines et histoire à Auschwitz).

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Fiche matricule de Flossenbürg (doc Arolsen)

Le 31 août 1944, Gabriel Torralba est transféré en wagon à bestiaux d’Auschwitz au camp de Flossenbürg (il y reçoit le matricule n° 19.900). Il y est employé comme  menuisier ou charpentier (Tischler)
Lire dans le site deux articles : Les 45000 pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945) et Itinéraires des survivants du convoi à partir d’Auschwitz (1944-1945)

Fiche matricule de Flossenbürg (doc Arolsen)

Le 15 avril 1945, c’est l’évacuation du camp : On ignorait les itinéraires suivis par Stanislas Slowinski, Jean Tarnus et Gabriel Torralba à partir de Flossenbürg.
Mais grâce au travail de l’Association des déportés et familles des disparus du camp de concentration de Flossenbürg et Kommandos, qui a fait des fiches sur 6679 déportés, dont Gabriel Torralba, on connait désormais leur itinéraire : Gabriel Torralba est transféré au Camp de Dora au moment de l’évacuation du camp de Flossenbürg.
Devant l’avancée des troupe alliées, il est à nouveau évacué, à pied : « sur la route, nous avons marché pendant 3 jours. Ceux qui ne pouvaient pas suivre étaient abattus sur place ».
Il est libéré près de la ville de Cham, en Bavière «
je pense dans les premiers jours de mai 1945 », par les troupes américaines.
Il regagne la France le 25 mai par l’hôtel Lutétia.
Gabriel Torralba est homologué « Déporté politique ». 

Le 30 mars 1946, il épouse Conception Ramirez Naranjo à Villenave d’Ornon.
Il est adhérent à la FNDIRP « depuis sa fondation » et a gardé contact avec ses compagnons de déportation, même après son installation en Espagne, à la fin de sa vie, à La Motilla Dos Hermanas à Séville.

Gabriel Torralba est mort le 1er juin 1989 à Séville
(Espagne).

  • Note 1 : Pierre Napoléon Poinsot, commissaire aux Andelys et à St Lô en 1936 où il se fait remarquer par un anticommunisme effréné. Muté à Bordeaux en 1938 dans la police spéciale de la préfecture, il est affecté au commissariat de la gare Saint-Jean (…) où il se lance dans la chasse aux communistes, qu’ils soient militants ou sympathisants. A l’Occupation, grâce à l’appui d’Olivier Reige, directeur de cabinet du préfet, Poinsot reste à Bordeaux, malgré un avis défavorable de sa hiérarchie. Il organise la S.A.P (section des activités politiques) : sa « brigade Poinsot » devient le numéro un des services allemands pour la chasse aux communistes, gaullistes et résistants. Extraits de l’ouvrage de René Terrisse.
  • Note 2 : Le nom d’Amédée Torralba figure sur le fichier des dossiers individuels du bureau Résistance du service de la défense, tout comme celui de son fils Ange Torralba, né à Gisors le 28 octobre 1909 (homologué FFI).
  • Son frère Ange Torralba in Rail et Mémoire
    • Note 3 : Ange Torralba est arrêté le 22 novembre 1940 par la brigade Poinsot. Emprisonné au camp de Bacalan, il est ensuite transféré à Mérignac-Beaudesert où il reste durant trois ans avant de s’évader en 1943. Il s’engage dans les FTPF du groupe Martel (Gironde) le 9 juillet 1943. Il est arrêté alors qu’il partait en mission pour Paris le 19/12/1943. Il disparait à cette date.
      Le plus jeune des frères de Gabriel Torralba, Marc, âgé de 18 ans, fut quant à lui envoyé à la prison du Fort du Hâ, ancienne forteresse située à Bordeaux qui fut utilisée lors de l’occupation nazie comme prison pour les opposants politiques et les membres de la Résistance.
      Voir la notice biographique d’Ange Torralba sur le site de Rail-et-Mémoire.

Sources

  • Témoignage de Maurice Rideau, qui le décrit « calme, lucide ».
  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par Gabriel Torralba le 8 décembre 1987.
  • Deux lettres de Gabriel Torralba à André Montagne (non datées).
  • Etat civil de Tarbes, acte de naissance de Gabriel Torralba.
  • Etat civil de Gisors, acte de naissance d’Ange, Victor Torralba
  • Extraits de « La Gironde sous l’Occupation. La répression française. Bordeaux 1940 – 1944 » de René Terrisse.
  • Site internet de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé.
  • Témoignage de l’épouse de Gabriel Torralba (Conception Ramirez Naranjo) dans l’affaire des victimes espagnoles des camps d’extermination du IIIe Reich (in site Equipo Nizor).
  • Fascicule Premier, 1940-1941 d’Henri Chassaing et Georges Durou, 1991.
  • Fiches matricules de Flossenbürg in Archives Arolsen, © International Center on Nazi Persecution, Bad Arolsen Deutschland

Notice biographique rédigée en décembre 2010, complétée en 2017, 2021 et 2024, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé).
Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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