Adrien Delcros : né en 1892 à Paris 10ème ; domicilié à Villepinte (Seine-et-Oise / Seine-Saint-Denis) ; boucher, manœuvre ; communiste ; assigné à résidence en novembre 1940 ; arrêté le 2 mai 1941 ; interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 12 septembre 1942.

Adrien Delcros est né le 11 décembre 1892 au domicile de ses parents, au 5, rue de Lancry, à Paris 10ème. Adrien Delcros est domicilié au 35, avenue des Combattants à Villepinte au moment de son arrestation (Seine-et-Oise / Seine-Saint-Denis).
Il est le fils de Marie Louise Brifaut, 25 ans, journalière, et d’Eugène, Antoine Delcros, 23 ans, épicier. Il a une sœur, Suzanne (1894-1956) et un frère Louis (1869-1931).
Ayant été apprenti boucher, il sera homme d’équipe aux Chemins de fer de l’Etat, puis manœuvre dans la métallurgie.
Conscrit de la classe 1912, Adrien Delcros devance l’appel et signe un engagement de trois ans le 8 octobre 1913 au 8 Régiment de Hussards (1er bureau de Paris, n° matricule 266). Il est mobilisé dans son corps d’affectation (cavalerie) à la déclaration de guerre (matricule 2147) : caserné à Douai, son régiment de cuirassiers sera en appui de la 3ème division de cavalerie (de juin 1916 à janvier 1918). Il est engagé dans la bataille de Picardie. Adrien Delcros est blessé lors de l’offensive allemande (bataille du Matz), le 9 juin 1918. Il est cité à l’ordre du régiment le 11 août 1918 (ordre n° 286 du Colonel Calla, commandant le 9ème Régiment de cuirassiers à pied) « blessé à son poste de combat le 9 juin, alors qu’il contre-battait le feu de l’ennemi jusqu’à épuisement des munitions ». Il est nommé à l’emploi d’homme d’équipe aux Chemins de fer de l’Etat le 2 décembre 1918 (engagé volontaire, il bénéficie d’un emploi « réservé »). Il est libéré des obligations militaires le 29 août 1919. Il devient alors « affecté spécial » pour la réserve de l’armée comme « employé aux Chemins de fer de campagne du 8 août 1919 au 12 août 1921 ». Il est radié de cette affectation pour une condamnation à 6 mois de prison pour vol et recel.

Adrien Delcros épouse Marie, Marguerite Chavigny (1) le 28 février 1920 à Saint-Pellerin (Eure-et-Loir), où elle est née le 28 février 1899. Le couple qui va d’abord résider dans les Ardennes à Roizy, commune d’Asfeld dans les Ardennes, aura quatre enfants (Suzanne, née le 8 février 1921, Daniel, né le 6 août 1929, Claude, né le 24 avril 1933, et Monique, né le 18 janvier 1938, ces deux derniers nés à Villepinte).
La famille s’établit à Villepinte dans le quartier du « Vert-Galant » en 1931, au 110, boulevard circulaire.
Adrien Delcros est un militant communiste connu à Villepinte. Les services des Renseignements généraux le désignent sous le surnom de « la
Coterie », terme souvent employé dans les milieux ouvriers pour désigner des personnes se soutenant mutuellement, en cherchant par la lutte à faire prévaloir leurs intérêts communs.
Père de famille de quatre enfants, Adrien Delcros est ramené de ce fait de la classe 1912 à la classe 1902, et n’est donc pas mobilisé lors de la mobilisation générale de septembre 1939.

Le 13 juin 1940, les troupes allemandes de la 718e division arrivent à Villepinte et se heurtent à la vive résistance la 1ère Compagnie Gillot du 24e Bataillon de chasseurs alpins. Onze soldats allemands sont tués. Les chasseurs alpins ayant décroché dans la nuit du 13 au 14 juin, les soldats allemands fusillent le lendemain en représailles quinze civils au Vert-Galant dans le Bois Saint-Denis. Le 14 juin, l’armée allemande entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Avec l’Occupation allemande, le régime de Vichy accentue la répression à l’encontre des anciens communistes. Des distributions de tracts ont eu lieu dès le mois de juillet à Villepinte.
Fin novembre 1940, Adrien Delcros est assigné à résidence, comme des centaines d’anciens membres du Pc ou syndicalistes qui n’ont pas été arrêtés dans la grande rafle du 5 octobre (arrêté préfectoral du 24 novembre 1940, assignant à résidence sur le territoire de leur commune de Seine-et-Oise plus de mille « individus dangereux pour la Défense nationale et la sécurité publique » en application du décret du 18 novembre 1939 ».
Une nouvelle distribution de tracts communistes a lieu à Villepinte la veille du jeudi 1er mai 1941.
Le 2 mai 1941, Adrien Delcros est arrêté par des agents du commissariat de Tremblay-Lès-Gonesse en application des consignes de Vichy. Pour Adrien Delcros, il s’agit de simples soupçons, non recoupés par les services des RG, mais cela suffit au commissaire et au Préfet de Seine-et-Oise : « Ex-militant communiste notoire, est soupçonné de se livrer à une propagande larvée en faveur de l’ex-parti communiste et d’être l’un des auteurs des distributions de tracts faites sur le territoire de la commune de Villepinte ».

Le CSS d’Aincourt

Le 3 mai 1941, en application du décret du 3 septembre 1940, Adrien Delcros est interné administrativement (2) au Centre de « Séjour Surveillé » d’Aincourt, ouvert spécialement, le 5 octobre 1940, par le gouvernement de Vichy pour y enfermer les communistes arrêtés. Lire dans le site Le camp d’Aincourt.
Lors de la « révision trimestrielle » de son dossier,  le commissaire Andrey directeur du camp émet un avis négatif sur une éventuelle libération « se fait remarquer par l’ardeur à soutenir ses convictions politiques » écrit-il. Les « internés administratifs » à Aincourt de 1940 et début 1941 n’ont en effet pas été condamnés : la révision trimestrielle de leurs dossiers est censée pouvoir les remettre en liberté, s’ils se sont « amendés »… Andrey, dont l’anticommunisme est connu, a émis très peu d’avis favorables, même s’il reconnait la plupart du temps la bonne tenue de l’interné.

Le 27 juin 1941 (3), Adrien Delcros est remis aux autorités allemandes, à leur demande, avec quatre-vingt-sept internés d’Aincourt, qui sont transférés, via le Fort de Romainville, au camp allemand de Compiègne (Frontstalag 122) (mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin). Ils ont tous été désignés par le
directeur du camp, avec l’aval du Préfet de Seine-et-Oise(in mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin)
A Compiègne, Adrien Delcros reçoit le numéro matricule n° 993. Il est affecté au bâtiment C9.
Selon le témoignage de Charles Renaud dans une lettre à son épouse, Adrien Delcros collecte comme lui-même des fonds auprès de ses camarades internés pour la caisse de solidarité du camp, organisée par la Résistance du camp afin de  maintenir le moral des internés et venir en aide aux plus démunis. Sur la vie au camp de Royallieu lire dans ce site La solidarité au camp allemand de Compiègne.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Adrien Delcros est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Le numéro d’immatriculation d’Adrien Delcros lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu.  Le numéro « 45443 ? » figurant dans mon premier ouvrage (et sa réédition modifiée) sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par
matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon dernier livre Triangles rouges à Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Adrien Delcros meurt à Auschwitz le 12 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 2 page 218, et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec sa date et lieu de naissance, numéro matricule à Auschwitz et date de décès, avec l’indication
« Katolisch » (catholique).
Le certificat porte comme cause du décès la mention fictive d’« œdème cardiaque ». L’historienne polonaise Héléna Kubica a révélé comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». Lire dans le site : Des causes de décès fictives.

Il est regrettable que l’arrêté ministériel du 6 février 2008 portant apposition de la mention Mort en déportation sur les actes de décès d’Adrien Delcros, arrêté paru au Journal Officiel du 29 février 2008, porte encore la mention « décédé au cours de juillet 1942 en un lieu
indéterminé en Allemagne)
». Il conviendrait que le ministère prenne désormais en compte les archives du camp d’Auschwitz emportées par les Soviétiques en 1945, et qui sont accessibles depuis 1995 (certificats de décès de l’état civil d’Auschwitz, documents officiels allemands, établis par les médecins du camp d’Auschwitz, à la mort d’un détenu) et les informations consultables sur le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Adrien Delcros a été déclaré « Mort pour la France » et homologué comme « Déporté politique » le 21 septembre 1953. La carte a été attribuée à son
épouse, Mme Marie Delcros.
Adrien Delcros ( GR 16 P 169413) est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance. La demande d’homologation comme « Déporté Résistant » lui est refusée le même jour.
Par erreur – due à la méconnaissance de sa date d’arrestation – son nom a été inscrit sur la stèle commémorative qui commémore la Rafle du 26 octobre 1942 à Villepinte. Sur le site de l’AJPN concernant la rafle des familles juives à Villepinte le 26 octobre 1942, puis leur mort en déportation, on trouve néanmoins la phrase suivante « Adrien Delcros, Jean Grehier et Albertine Hubert ont été déportés pour leurs idées politiques ».

  • Note 1 : L’acte de naissance d’Adrien Delcros porte mention d’un mariage avec Marie, Marguerite Thouvigny. Il s’agit d’une erreur de transcription administrative de l’état civil parisien, car la date de naissance et l’acte de mariage de celle-ci avec Adrien Delcros font bien état du patronyme Chavigny.
  • Note 2 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
  • Note 3 : C’est à cette date que sont également internés à Compiègne un millier de syndicalistes et communistes raflés à partir du 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, par les Allemands avec l’aide de la police française (nom de code de l’opération : «Aktion
    Theoderich
    »). D’abord amenés à l’Hôtel Matignon (un lieu d’incarcération contrôlé par le régime de Vichy) ils sont envoyés au Fort de
    Romainville, où ils sont remis aux autorités allemandes. Ils passent la nuit dans des casemates du fort transformées en cachots. Et à partir du 27 juin ils sont transférés vers Compiègne, via la gare du Bourget dans des wagons gardés par des hommes en armes. Ils sont internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, camp destiné à l’internement des «ennemis actifs du Reich», alors seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande

Sources

  • Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche et dossier individuel consultés en juin 1992 et octobre 1993.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
  • Liste des 88 internés d’Aincourt (tous de l’ancien département de Seine-et-Oise) remis le 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation
  • Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • @ Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Office for Information about Former Prisoners, registres des Blocks.
  • © Site Internet Legifrance.
  • © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
  • Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par
    l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2014,  2019, 2020 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) .  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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