Matricule « 46 245 » à Auschwitz
Valère Henry : né en 1900 à Auboué (Meurthe-et-Moselle) où il réside ; délégué mineur ; communiste ; arrêté comme otage communiste le 7 février 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 28 juillet 1942
Valère Henry est né le 20 novembre 1900 au domicile de ses parents à Auboué (Meurthe-et-Moselle), où il réside au 35, rue Cités de Coinville au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Félicie Marchal, 30 ans, sans profession et de Joseph Henry, 35 ans, machiniste, son époux. Il a quatre frères et une sœur : Alexis (1893-1918, mort à l’hôpital militaire de Beauvais, « mort pour la France »), Mary (1894-1958), Moïse (1897), Emilien (1902-1996), Germain (1905).
Conscrit de la classe 1920, il est « non recensé en temps utiles par cause de force
majeure » (Auboué est en territoire occupé par les troupes allemandes jusqu’à l’Armistice), Valère Henry est « pris bon pour le service armé » par la commission de réforme de Nancy le 13 mars 1919. Son registre matricule indique qu’il est manœuvre, puis mineur en 1929. Il mesure 1m 64, a les yeux bleus, les cheveux blonds, le visage ovale et le nez rectiligne.
Il est incorporé le 15 mars 1920 au 61è régiment d’artillerie de campagne. Il est nommé soldat de 1è classe le 11 décembre 1921. Il est mis en disponibilité le 15 mars 1922 et « se retire » à Auboué « certificat de bonne conduite accordé ».
Amateur de tir sportif, il participe à des concours (il reçoit le premier prix du tir au révolver (modèle 1892) – « une montre de marque Unic » – lors d’un concours de tir en novembre 1923, à Villerupt).
Le 11 décembre 1926, il épouse à Auboué Christine, Marie Colson (1902-1970).
Elle née le 24 mai 1902 à Fleury-devant-Douaumont (Meuse). (Moselle). Le couple a trois filles : Georgette (1928), Gisèle (1929), Fernande (1934).
Embauché le 3 janvier 1929 comme mineur de fer à la mine du Paradis (Auboué), Valère Henry est secrétaire du syndicat des Métaux CGT dès sa fondation (le 1er août 1936) et membre de la Commission exécutive régionale des mineurs CGT.
Il est membre du Parti communiste et diffuse l’Humanité (il est issu d’une vieille famille de militants communistes (son oncle « Emilien, ouvrier mineur, collait des tracts au fond bien avant le Front populaire » et ses neveux Maurice et Roger sont membres des JC (d’après Magrinelli, Op cité P. 198).
En 1936, il habite au 61, rue de Coinville avec son épouse et leurs trois filles. Sur le registre de recensement, il est indiqué « délégué mineur à l’usine d’Auboué ». Au n° 70 habite une autre famille Henry (Gaston Henry , né en 1897 à Auboué).
Valère Henry est licencié après la grève du 30 novembre 1938 avec Charles Schneider et une grande partie du conseil syndical CGT.
Il effectue trois « périodes » militaires de quinze jours (en octobre 1928, septembre 1938 et avril 1939) au 406è RAC. Quoique père de trois enfants vivants et rattaché à ce titre à la classe 1914, Valère Henry est mobilisé à la déclaration de guerre et « rappelé à l’activité » le 21 août 1939. Affecté au 402è DCA-DAT le 22 août, il « passe » au 6è BOA à Chalons sur Marne le 12 avril 1940.
Le 17 juin l’armée allemande occupe Auboué. La Kommandantur est installée dans le logement de la directrice d’école, au dessus de la mairie. Puis elle sera installée à Briey. Le 22 juin, l’armistice est signé.
Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). L’Alsace Moselle est occupée.
Fin juin 1940, toute la Meurthe-et-Moselle est occupée : elle est avec la Meuse et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté, destinée au « peuplement allemand ». À l’est de la « ligne du Führer », tracée depuis la Somme jusqu’à la frontière suisse, les autorités nazies envisagent une germanisation des territoires suivant différentes orientations. C’est un autre sort que celui de la Moselle et de l’Alsace, annexées par le Reich, du Nord et du Pas-de-Calais, mis sous la tutelle du commandement militaire allemand de Bruxelles, qui attend les territoires situés le long de cette ligne dite du Nord-Est. En tout ou partie, ces départements, et parmi eux les francs-comtois, font l’objet d’une « zone réservée » des Allemands (« En direct », Université de Franche-Comté). Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Plus de 20 000 Allemands, soit l’équivalent de deux divisions, sont stationnés en permanence en Meurthe-et-Moselle. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle collabore sans état d’âme avec les autorités allemandes, il « ne voit aucun inconvénient à donner à la police allemande tous les renseignements sur les communistes, surtout s’ils sont étrangers » (Serge Bonnet in L’homme de fer p.174).
Valère Henry est démobilisé par le Centre de démobilisation d’Auboué le 5 octobre 1940.
La résistance communiste est particulièrement active dans le « Pays-Haut » (in Magrinelli, Op. cité pages 229 à 251).
« Outre une spectaculaire action la nuit du 13 au 14 juillet 1941 (un drapeau tricolore de 4 mètres sur 4 fixé sur un pylône installé non loin du viaduc traversant Auboué, inscriptions hostiles à Vichy, à l’Allemagne ou appelant à adhérer la Jeunesse Communiste…) la résistance communiste, délaissant les incendies de récoltes, impopulaires, effectue (entre 1940 et 1943) plusieurs actes de sabotages à Auboué recensés par la Préfecture : 3 sabotages de voie ferrée, 2 sabotages de lignes téléphoniques et 2 sabotages d’installations industrielles » (in Magrinelli P. 251). Les deux neveux de Valère Henry, membres des jeunesses communistes, sont les « voltigeurs d’Auboué » selon l’appellation de Camille Thouvenin (responsable régional du PC, arrêté le 23 juillet 1941).
Le sabotage du transformateur d’Auboué dans la nuit du 4 au 5 février 1942, entraîne une très lourde répression en Meurthe-et-Moselle. Lire dans le site : Meurthe et Moselle Le sabotage du transformateur électrique d’Auboué (février 1942). Hans Speidel, officier général à l’Etat major du MBF, annonce qu’il y aura 20 otages fusillés et 50 déportations. Les arrestations de militants commencent dès le lendemain dans plusieurs sites industriels de la région : par vagues successives, du 5 au 7 février, puis entre le 20 et le 22, et au début de mars. Elles touchent principalement des mineurs et des ouvriers de la métallurgie. 16 d’entre eux seront fusillés à la Malpierre.
Une importante prime à la délation est annoncée (20.000 F des autorités et 10.000 de la direction de l’usine) : pour comparaison, le salaire horaire moyen d’un ouvrier de l’industrie est à l’époque de 6 F, 30 (in R. Rivet « L’évolution des salaires et traitements depuis 1939 »).
Valère Henry est arrêté par des Feldgendarmen, le 7 février 1942, en même temps que Louis Bresolin, Arsène Dautréaux, Maurice Froment, Charles Mary, Jean Pérot, Primo Pasquini (1), Joseph Schneider, Serge Schneider et Emile Tunési.
Serge Schneider est le fils de Joseph Schneider. Jeune communiste, il raconte leur arrestation : « Le premier jour de mon nouvel emploi (c’est à l’usine d’Homécourt que j’ai pu commencer le 5 février 1942), en rentrant à 17 h 00 deux camarades (Maurice Froment et René Favro) m’interpellent pour m’annoncer qu’il y avait eu sabotage du transformateur à l’usine d’Auboué par un groupe de nos camarades. Nous avons discuté quelques minutes puis rapidement, la maison fut cernée par la gendarmerie française et la police secrète. Ils ont envahi notre café (Joseph Scheider, licencié en 1938 de l’usine d’Auboué a dû prendre la gérance d’un café), personne ne devait bouger, perquisition dans toutes les pièces. Malheureusement ils ont trouvé dans ma chambre un paquet de tracts, un camarade n’était pas venu chercher le paquet deux jours avant. Etant encore à table avec mes deux camarades, nous avons été emmenés tous les trois dans la prison de la gendarmerie d’Auboué, puis le lendemain avons été transférés à la prison de Briey ». » Le 7 février un car nous attendait à la porte de la prison de Briey avec 16 camarades, dont mon père qui avaient été arrêté le matin. Une douzaine de « feldgendarmes » nous entouraient pour nous conduire à la prison de Nancy. Mon père fut mis directement au secret, le reste de la troupe a été séparé en deux groupes pour occuper deux cellules« .
Valère Henry est incarcéré à la prison Charles III de Nancy, puis remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le 2 mars 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Valère Henry est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Valère Henry est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 245 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Valère Henry meurt à Auschwitz le 28 juillet 1942 selon les registres du camp (et non le 15 juin 1943 comme indiqué sur son registre militaire, repris malheureusement par Le Maitron).
Voir l’article : Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.. et lire également dans le présent site l’article : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-06-1994).
Il est homologué « Déporté politique » au titre des Forces Française de l’Intérieur (FFI) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance .
Son nom est gravé sur la stèle en « Hommage aux Francs-tireurs Partisans Français d’Auboué, morts aux camps de déportation d’Auschwitz (Maurice Froment, Valère Henry, Charles Mary, Emile Tunési, René Favro, Joseph Schneider) et Oranienbourg (Génaro Nanini, Wladislaw Koziol, Dario Mériggiola), située en bas à gauche du monument « Auboué à ses glorieux Fusillés Francs-Tireurs Partisans Français » – Square Jean Moulin près du vieux cimetière. Relevé Bernard Butet.
Sources
- Témoignage de sa fille, Mme Georgette Thomas (1990).
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, Tome 31, page 300.
- Arch. Départementales10 M103 – « Le Réveil ouvrier« .
- Section des déportés, internés, familles de fusillés d’Auboué : M. Corziani (mars 1991)
- » Antifascisme et Parti communiste en Meurthe-et-Moselle » (Jean Claude et Yves Magrinelli)
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres –
incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés). - ©Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Etat civil de Meurthe et Moselle et Registres matricules militaires du canton de Briey.
- L’Est Républicain du 21 novembre 1923, p. 4.
- Photo en militaire in « Résistance, engagement d’une cité ouvrière, Auboué 1939-1945 », Alfred Rossolini, page 43
Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018, 2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000.
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