Poissy, Dépôt, Voves, Compiègne : lettres et récit de René Aondetto

Rescapé d’Auschwitz, René Aondetto, a rassemblé dans un cahier de souvenirs adressé à Roger Arnould (cahier que celui-ci m'a transmis), et de la façon la plus précise, des témoignages sur son incarcération à la Centrale de Poissy, au Dépôt de la Préfecture, puis aux camps de Voves et Compiègne. Il a pour ce faire retranscrit des passages des lettres qu’il avait envoyées depuis ces camps à sa mère, à son épouse de l’époque, ainsi que des lettres de veuves de camarades d’Auschwitz. Il évoque les camarades qu’il y a rencontrés et reconstitue les dates des arrivées et départs des camps.

Claudine Cardon-Hamet et Pierre Cardon

En cas d’utilisation ou publication de cet article, prière de citer : « article publié dans « Déportés politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000 » https://deportes-politiques-auschwitz.fr. Adresse électronique : deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Dans un autre carnet, René Aondetto a raconté son arrestation : René Aondetto : l’arrestation à la S.N.A.C. Billancourt. Poissy, Voves.

Poissy

René Solard

Je n’ai pas pu récupérer les lettres de la prison de la Santé ni celles de la prison de Poissy, pour l’époque où j’étais considéré comme condamné (atelier 18, puis Imo-secco 2). Par contre j’ai retrouvé quatre lettres sur formules de Poissy adressées à mes parents. Durant cette période à Poissy qui aurait dû se terminer le 6 février 1942, j’avais connu dans l’atelier 18, René Solard, qui sortira de la prison en décembre 1941 (il est transféré au CSS de Rouillé) et que je retrouverai à Compiègne en mai 1942. Il mourra à Auschwitz au début 1943. J’ai récupéré les lettres , sur papier libre, écrites à Poissy durant la semaine où j’eus droit au régime de « détenu administratif » : toujours en tenue de bure, avec les sabots à l’atelier Ino-Secco 2 (l’atelier Seccotine comporte une douzaine de détenus politiques. Ils y fabriquent de la colle de poisson, la fameuse colle Seccotine, qui existe au moins depuis 1923) en compagnie d’une quinzaine de camarades (je suis le seul survivant de ceux de cette époque qui sont allés à Auschwitz).

Dépôt

Nous sommes tous emmenés le 13 février 1942 à la grande salle du Dépôt à Paris. Après être allés à Voves et à Compiègne. Dans cette grande salle du Dépôt, nous étions environ une centaine, parmi lesquels une vingtaine de « droit communs » que nous retrouverons avec étonnement à Compiègne en mai 1942, sans être allés à Voves, et qui firent eux aussi partie du convoi du 6 juillet 1942. Je crois que trois ou quatre d’entre eux sont revenus en 1945 (René Aondetto cite Jean Quadri, et un « surnommé Napoléon » (Jean Antoine Corticchiato) et sa tentative d’évasion durant le transport en gare de Metz, le 6 juillet).

Voves

Dans une lettre du 17 avril, j’écrivais à ma femme depuis Voves « Nous sommes partis hier par le train de 6 h 45 pour Voves, où nous sommes arrivés vers 9 h 15 » et j’indiquais ma nouvelle adresse « Centre de Séjour surveillé, Baraquement n°3, Voves, Eure et Loir. Le 26 avril 1942, j’écrivais : « lorsque nous sommes partis à 60 du Dépôt le 16 avril, il y avait déjà 50 internés qui travaillaient à l’aménagement du camp. Depuis, il est encore arrivé 150 nouveaux ». En fait nous n’étions pas 80 comme l’affirmais précédemment, mais seulement 60. Le 28 avril 18942, j’écrivais « demain, il arrive encore une centaine d’internés ». Le 1er mai, ma mère, ma femme et mon petit garçon de 4 ans, viennent à Voves ; ils passeront toute la journée du 2 mai 19472 avec moi das un baraquement spécialement réservé pour les visites (à cette époque). Le 6 mai 1942, j’écrivais « nous sommes de plus en plus nombreux et nous allons aménager des terrains pour le volley et le basket ». Et dans ma dernière lettre de Voves, le 9 mai 19425 « Parmi les nouveaux arrivants qui viennent d’un autre camp, j’ai vu un ancien ouvrier qui travaillait avec moi dans le temps passé, Frédéric, mais cela ne te dira peut-être rien. Je t’en avais parlé lorsqu’il avait eu un petit garçon au début de l’année 1940. Il demeurait à la Porte d’Orléans. La santé des siens est bonne ».

France Bloch et Frédo Sérazin

Il s’agissait de l’arrivée de « ceux de Châteaubriant » et de Frédéric Sérazin, qui s’était marié avec France Block lorsque nous travaillions et militions ensemble dans le 14ème arrondissement de Paris, Chez Hispano-Brune. Je ne pouvais le désigner ouvertement à ma femme, mais étant allés ensemble chez eux fin 1939 et début 1940, je voulais lui donner des nouvelles. Donc j’aurais revu mon ami Frédo 2 jours et non 1 comme je m’entétais à le croire. France serai décapitée par les nazis à Hambourg et Frédéric assassiné par la milice de Pétain. (lire dans le Maitron France Bloch : https://maitron.fr/spip.php?article16924 et Frédéric Serazin : https://maitron.fr/spip.php?article75474. Le 21 mai 1942, ma femme écrit à mes parents « J’ai appris par la femme d’un camarade de René, qui est resté à Voves, que René est parti le 10 mai au matin, sans avoir pu envoyer un petit mot ». Il s’agit de madame Bonnieux, qui tenait un petit café boulevard Diderot entre la rue de Charenton et la rue Crozatier. J’ai revu Bonnieux au mois de décembre 1945. Il n’avait pas été déporté (il était avant la guerre, je crois, responsable syndical des débitants de boisson. J’avais fait sa connaissance à Voves). Donc voici déterminée la date exacte du départ des 80 de Voves pour Compiègne et qui sont destinés à être déportés vers Auschwitz : c’était le 10 mai 1942 de grand matin. Parmi eux, il y avait, venant du Dépôt : La quinzaine (à deux ou trois près) qui avaient été détenus administratifs à Poissy jusqu’au 13 février 1942 (et dont je faisais partie). Environ une vingtaine de camarades qui travaillaient dans la même entreprise à Montrouge et dont un seul est revenu : Joly (Francis Joly), qui devait se suicider quelque temps après son retour des camps : je ne me souviens pas du nom des autres , ni de la raison sociale de l’entreprise dans laquelle ils avaient eu le courage de déclencher une grève durant l’Occupation (lire l’article du blog : La grève de l’usine Sanders de Gentilly, 9 février 1942). Ensuite Charles Désirat, Henri Kesterman qui s’évaderont tous les deux de Compiègne le 22 juin 11942 avec 17 autres camarades, parmi lesquels Georges Cogniot et le frère de Maurice Thorez. Désirat sera repris plus tard et déporté à Sachsenhausen, et Kesterman ne sera pas repris, il est membre de l’ANACR. Sur l’évasion de Compiègne, lire les trois articles du blog : 22 juin 1942 : évasion de 19 internés. Le bombardement du camp de Compiègne dans la nuit du 23 au 24 juin 1942. Avis de recherche des évadés du 22 juin 1942 par le tunnel du camp de Compiègne. Puis Guilbert (Guilbert Marcel), de Boulogne Billancourt qui sera le « 45640 » et demeure maintenant en Eure-et-Loir. Dudal Georges (Georges Dudal) qui est revenu.

Marcel Lamboley

Lamboley (surnommé Kid Marcel) qui mourra à Birkenau (sur le surnom de boxeur qui lui est donné, voir dans sa notice biographique la note 1 : Lamboley Adrien, dit Marcel). Je n’arrive pas à me souvenir d’autres noms et je ne suis pas certain que les deux derniers nommés venaient de la grande salle du Dépôt (Marcel Lamboley est bien passé par le dépôt après son incarcération à Poissy avant d’être interné à Voves, mais Georges Dudal, s’il est bien interné à Voves, y a été transféré depuis Aincourt le 26 avril 1942). Le matin du 10 mai à Voves (1) nous avions tous eu une certaine émotion à l’occasion de notre prise en charge par les allemands. Nous avions évidemment fait un rapprochement avec Châteaubriant, d’autant plus que l’on nous avait retiré nos bagages. Ils nous furent remis plusieurs jours après notre arrivée à Compiègne où nous étions arrivés le 11 mai 1942, après avoir passé la nuit du 10 au 11 mai sur une voie de garage, du côté du Bourget-La Courneuve.

Compiègne

François Le Bihan
Le récit manuscrit de René Aondetto concernant Compiègne

« Nous étions arrivés le 11 mai 1942 à Compiègne, après avoir passé la nuit sur une voie de garage, du côté du Bourget-La Courneuve. Nous étions dans des wagons de voyageurs, gardés par le Feldgendarmerie. Ils étaient avec nous dans les compartiments. A Compiègne, ma femme réussira à correspondre avec moi par l’intermédiaire de camarades qui travaillaient avec elle à « Arts et bois » à Houilles et par une liaison qui était faite avec l’extérieur du camp par le camarade Le Bihan (le père de madame Rol-Tanguy), qui devait mourir à Auschwitz (François Le Bihan) ».

Depuis Auschwitz, René Aondetto annonce la mort de François Le Bihan : il écrit Mme Vve Lebihan » pour tourner la censure

Je savais que ma femme voyait madame Le Bihan et c’est pourquoi, plus tard, en mars 1944, je me déciderai – en utilisant un artifice (il la prie de transmettre son amitié à madame « Vve Le Bihan », pensant avec raison que le SS qui contrôlait les lettres écrites en allemand ne connaîtrait pas la signification de cette abréviation) d’essayer de l’informer de la mort de son mari. Madame Le Bihan a en effet été avertie et je l’ai vue quelquefois depuis mon retour. Je n’ai pas réussi à faire des photocopies de ces lettres écrites au crayon sur les formulaires du camp. Peut-être est-ce possible avec un appareil plus perfectionné avec réglages particuliers.

Lettre du train, le 6 juillet 1942

Lettre de son épouse aux parents de René le 9 juillet après qu’elle ait reçu ses lettres jetées du train

Tu écrivais dans le Patriote résistant n° 389 de mars 1972 « … beaucoup de nos camarades jetèrent sur les voies des papiers, des lettres hâtivement écrites au crayon…». Le 9 juillet 1942, ma femme écrivait à mes parents « Depuis ma dernière lettre, il y a du nouveau en ce qui concerne René. J’ai reçu de lui deux cartes de prisonnier me disant qu’il était en possession de mon colis et du vôtre, mais il n’a pas reçu l’argent que je lui avais envoyé le 10 mai à Voves : cela m’ennuierait beaucoup de perdre 200F. Je vais donc faire une réclamation. D’autre part, il a reçu l’argent que je lui avais fait remettre par ailleurs (par l’intermédiaire de madame Le Bihan). Mardi, j’ai eu deux lettres de René émanant de Châlons-sur-Marne. Vous pensez, si j’étais surprise. Eh bien, il est parti avec 1200 autres vers une destination inconnue, probablement en Allemagne pour travailler et son voyage devrait durer trois jours. Il m’écrit du wagon à bestiaux où ils sont entassés. Que d’épreuves et toujours de pire en pire ». Je joins cette lettre, mais je n’ai pu récupérer celles que j’avais jetées du wagon.

  • Note 1 : Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Raymond Delorme figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite «afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique également «ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises». Les 10 et 20 mai 1942, 109 internés de Voves sont transférés sur réquisition des autorités allemandes au camp allemand (le Frontstalag 122) de Compiègne (Oise). 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi dit des « 45000 » du 6 juillet 1942.

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