Matricule « 45 546 » à Auschwitz Rescapé
Adrien Fontaine : né en 1901 à Cany-Barville (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; domicilié au Grand-Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; soudeur électrique ; communiste ; arrêté le 21 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Gross Rosen, Flossenbürg, Dachau, libéré le 29 avril 1945 ; décédé le 4 février 1986 à Elbeuf Cany.
Adrien Fontaine est né le 21 novembre 1901 à Cany-Barville (Seine-Inférieure / Seine-Maritime).
Il habite 25, rue Boëldieu au Grand-Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) au moment de son arrestation).
Adrien Fontaine est le fils de Victorine, Maria Fontaine, âgée de 28 ans, cuisinière à Rouen, qui le reconnait le 14 janvier 1902.
Conscrit de la classe 19214, matricule « 2812 », Adrien Fontaine est appelé au service militaire le 7 avril 1921 et mis en disponibilité le 1er avril 1923.
Il est maintenu provisoirement sous les drapeaux par l’application de la loi du 21 mars 1905, maintien motivé par l’occupation de la Rhur et des pays rhénans (1). Le certificat de « bonne conduite » lui est refusé.
Il habite Corbeil après sa démobilisation, au 38, rue Spire. Puis en 1929 il déménage au Petit-Quevilly au 86, rue de la gare.
Adrien Fontaine est soudeur électrique (peut être dans un garage Citroën, selon Louis Eudier). Il travaille ensuite à la P.E.C à Grand-Couronne.
Adrien Fontaine épouse Alice, Anaïse, Lucienne Lormier le 3 avril 1926 à Bihorel (dans l’agglomération de Rouen).
Elle est née le 31 mai 1903 à Rouen (elle est décédée le 10 juin 1979 au Petit-Quevilly). Le couple a un garçon, Serge âgé de cinq ans en 1941 (il est né le 4 juin 1936 au Grand-Quevilly).
A partir du 9 mai 1931, ils sont domiciliés au 25, rue Boëldieu au Grand-Quevilly (selon son registre matricule militaire), mais en 1936, ils sont recensés au numéro 11 de la même rue.
Adrien Fontaine travaille à la Compagnie d’électricité de Normandie et son épouse est confectionneuse chez Dassez-B. Sa belle mère, qui travaille chez Boursier à Rouen vit avec eux. Ils reviennent par la suite habiter au n° 25.
Adrien Fontaine est adhérent au Parti Communiste et à la CGT.
Il est rappelé sous les drapeaux le 27 août 1939, jusqu’au 6 janvier 1940, date à laquelle il est « affecté spécial », comme soudeur aux établissement Pecquet et Compagnie (Pecquet-Tesson).
Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
Il est démobilisé sans doute le 5 septembre 1940 (le mois est peu lisible sur son registre militaire).
Adrien Fontaine est arrêté le 22 octobre 1941, à son domicile, par la police française par ordre de l’autorité allemande, en raison de son appartenance au Parti communiste – source dossier De Brinon (2).
Son arrestation est ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly) Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen.
Une centaine de militants communistes ou présumés tels de Seine-Inférieure sont ainsi raflés entre le 21 et 23 octobre.
Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941. La moitié d’entre eux d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Adrien Fontaine est incarcéré à la caserne Hatry puis transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Adrien Fontaine est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Adrien Fontaine est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 546« . Ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard.
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz
Compte tenu de sa profession, Adrien Fontaine revient à Auschwitz I.
En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, Adrien Fontaine, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943.
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi-totalité des Français survivants.
Lire l’article du site « les 45000 au block 11.
Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos. Le 3 août 1944, Adrien Fontaine est parmi les “45000” mis en «quarantaine», au Block 11.
Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz. Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945. Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Le 7 septembre 1944, il est transféré avec 29 autres «45 000» à Gross Rosen où il reçoit le matricule n° « 40 996 » voir document ci-contre. Après leur quarantaine, les « 45 000 » sont répartis dans divers kommandos dont une dizaine sont affectés aux usines Siemens.
Adrien Fontaine est évacué sur Hersbrück (kommando de Flossenbürg, constructions Dogger), entre le 8 et le 11 février 1945, avec dix-sept autres «45 000».
Le 8 avril 1945, les dix-sept « 45 000 » survivants partent à pied de Hersbrück pour Dachau où ils arrivent, le 24 avril 1945.
Ils y sont libérés le 29 avril 1945 par les troupes américaines.
Adrien Fontaine est rapatrié le 7 juin 1945 par Arras.
Adrien Fontaine reprend alors ses activités politiques : il est élu Conseiller municipal du Grand-Quevilly à la Libération, en témoigne ce rappel d’intervention à propos de l’entretien de la rue Boëldieu.
Il participe à des réunions publiques avec son camarade Louis Jouvin , maire sortant, rescapé d’Auschwitz comme lui.
Il est homologué comme «Déporté Politique» en 1953.
Adrien Fontaine, comme tous les rescapés, souffre d’affections diverses et bénéficiera de différents taux de pension, validés chaque année par des commissions de réforme de 1960 à 1966. Il lui manque 13 dents, il souffre de l’asthénie des déportés, d’arthrose cervicale, de bourdonnements d’oreilles, de surdité bilatérale partielle (50%), dystonie neuro-végétative avec dyspnée, bronchite chronique BKo (…).
Adrien Fontaine meurt le 4 février 1986 à Elbeuf Cany.
- Note 1 : Cet article stipule « Le rappel des hommes effectuant leur première année de service dans la réserve est autorisé » dans les cas où les circonstances paraîtraient l’exiger » (art. 33). De manière générale, le rappel est motivé par l’ « agression » ou la « menace d’agression caractérisée par le rassemblement de forces étrangères en armes » (art. 40).
- Note 2 : Fernand Brinon (dit marquis de Brinon) représente le gouvernement français auprès du Haut-Commandement allemand dans le Paris de l’Occupation. Il est nommé le 5 novembre 1940 ambassadeur de France auprès des Allemands, puis le 17 novembre suivant «Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés». Il a été le destinataire des démarches des familles de « 45000 » qui cherchent à obtenir des informations sur le sort de leur déporté. Alice Fontaine a donc fait une demande d’informations après le départ du convoi.
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Témoignage de Louis Eudier.
- Lucien Ducastel (45 491) le mentionne dans son questionnaire du 20 janvier 1988.
- Liste d’appel de Gross Rosen conservée par Johan Beckman.
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en novembre 1993.
- © Photo des barbelés d’Auschwitz : Claudine Cardon-Hamet.
- © Registre matricule militaire de Seine-Maritime.
Notice biographique rédigée en 2003 (complétée en 2012, 2016, 2017, 2020 et 2022, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées du site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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