Matricule « 45 917 » à Auschwitz
Jean Nageot : né en 1899 à Ludes-le-Coquet (Marne) ; domicilié à Verdun (Meuse) ; représentant ; présumé communiste ; prisonnier de guerre ; arrêté fin juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 22 août 1942.
Jean, Alfred Nageot est né le 8 mai 1899 à Ludes-le-Coquet (Marne) sous le nom de sa mère, Noélie, Régina, Petit, 27 ans, manouvrière.Le 7 décembre 1901 Joseph Eugène Nageot, 32 ans, « domestique de culture », reconnaît et légitime l’enfant en se mariant à la mairie de Ludes avec Noélie Petit, (cuisinière).
Jean Nageot a trois sœurs et un frère cadets : Marguerite, née en 1904, Alfred, né en 1905, Yolande, née en 1906 et Jeanne, née en 1910. Son registre militaire nous apprend qu’il mesure 1m52, a les cheveux châtains, les yeux marrons, le front moyen, le nez rectiligne, le visage plein. Au moment de l’établissement de la fiche, en 1920, il habite chez ses parents à Verzenay (canton de Verzy). Il exercera plusieurs métiers : vigneron, employé de commerce puis métallurgiste. Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1919, il est recensé dans le département de la Seine (matricule 2991). Il est mobilisé par anticipation (en vertu du décret de mobilisation générale) en avril 1918, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre. Il est affecté le 17 avril 1918 au 168ème Régiment d’infanterie. Nommé première classe le 16 janvier 1919. Le 26 février 1919, il est transféré au 68ème RI et se retrouve en occupation des Pays rhénans (1). Il est nommé caporal le 12 septembre 1919 et sergent le 8 mars 1920.
Il est libéré de ses obligations militaires le 23 mars 1921 et retourne à la vie civile à Ludes-le-Coquet.
Jean Nageot est voyageur de commerce (mais il se déclare jardinier au moment de son interrogatoire à Auschwitz, sans doute sur les conseils de déportés).
Il se marie le 24 juin 1922 à Bazancourt (Marne), avec Lucienne Renée Cousin. Elle est née en 1902 à Verzenay (Meuse).
En juin 1925, ils habitent à Verdun au 25, rue de Rû. Le couple a un garçon, Jean-Gilbert, qui naît en 1929 à Verdun (il est décédé en 1989).
En 1931, la famille habite au 21, avenue de la 42e Division à Verdun. Il travaille à cette date comme voyageur de commerce pour le compte de la société « Mondial Nouveautés ». puis employé commercial pour Le Bon Génie – Paris.
En 1936, il est employé commercial pour les « Classes Laborieuses ».
En 1938, Jean Nageot est un de
s lauréats d’un concours organisé par le « Bulletin meusien », organe du Groupement fraternel des réfugiés et évacués meusiens.
La famille habite alors au n° 31, de l’avenue de la 42e Division à Verdun. En 1938, lors de la crise des Sudètes, achevée par les accords de Munich (30 septembre) où les alliés – abandonnant les accords avec la Tchécoslovaquie – laissent Hitler s’emparer des Sudettes (3), il est « rappelé à l’activité militaire » au sein du 46ème Régiment d’infanterie de forteresse (arrivé au corps le 25 septembre 1938 et démobilisé le 2 octobre 1938).
En 1939, il semble avoir travaillé chez Renault à Billancourt. En effet, Jean Nageot est « rappelé à l’activité militaire » et mobilisé le 24 août 1939 à la veille de la mobilisation générale et rattaché au 21ème BJ. Mais il est mobilisé sur son poste de travail car classé « affecté spécial » pour la réserve de l’armée. En effet les usines Renault Billancourt où il travaille sont considérées par l’Armée comme relevant de la Défense nationale (tableau III). Il est radié 1er décembre 1939 de cette affectation spéciale, comme quasiment tous les syndicalistes et/ou communistes connus, et renvoyé à son dépôt de rattachement (dépôt d’infanterie 76).
Affecté alors dans unité combattante, il est fait prisonnier.
Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Fin juin 1940, La Meuse est occupée : elle est avec la Meurthe-et-Moselle et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté. La présence militaire, policière, administrative et judiciaire de l’occupant y est nettement plus importante que dans le reste de la zone occupée. La région est essentiellement agricole et le Parti communiste (3% des voix aux élections de 1936) y est presque inexistant. Son activité est pratiquement interrompue après l’arrestation, entre le 21 et le 23 juin 1941, de vingt communistes qui sont internés à Compiègne, antichambre de la déportation. Parmi eux : Jules Allaix, Lucien Bonhomme, Adrien Collas, Pierre Collas, Charles Dugny, Henri Fontaine, Antoine Laurent, Pierre Lavigne, Jean Nageot, Jean Tarnus, qui seront tous déportés à Auschwitz, le 6 juillet 1942.
On ignore la date de son retour en France. Mais il habite à Verdun (Meuse) au moment de son arrestation.
D’après la teneur de sa lettre du 24 avril 1942, il ressort qu’il a dû être membre du Parti communiste avant sa dissolution.
Dans cette lettre adressée (« en douce » écrit son neveu) à son frère et à sa sœur, il leur décrit son « odyssée depuis ma rentrée de prisonnier. Ce n’est guère réjouissant. Les premiers moments de cette vie nouvelle ont été très déprimants. Mais petit à petit j’ai remonté ce moment de dépression, car que peut-on me reprocher depuis août 1929, rien et rien avant 1939, nous étions tous des citoyens libres, et libres aussi de penser à notre guise ».
On ignore la date précise de son arrestation, mais il est vraisemblable qu’elle se situe comme celle des autres meusiens entre le 22 juin et le 23 juin 1941. Dans ce cas elle a lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands, avec l’aide de la police française, arrêtent plus de mille syndicalistes et/ou communistes dans la zone occupée.
D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par l’armée allemande, les meusiens sont envoyés, à la demande des autorités allemandes, le 27 juin 1941, au camp de Royallieu à Compiègne (Oise), le Frontstalag 122, administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
Selon Henri Pasdeloup(2), le groupe des meusiens est immatriculé à Compiègne le 28 juin 1941 entre les numéros 542 et 564.
Il mentionne la présence de Jean Nageot parmi eux. Selon Jean Éloi, son neveu, Jean Nageot réussit à faire passer à sa femme une lettre « passée en douce depuis Compiègne ou il attendait… il ne savait pas quoi« . Lire dans le blog « La solidarité au camp allemand de Compiègne« .
Cette lettre de trois pages, en date du 24 avril 1942, adressée à son frère et à sa sœur, relate des événements marquants à Compiègne : le départ des otages qui vont être fusillés au Mont Valérien et la Marseillaise unanime des internés qui accompagne leur calvaire.
Selon Henri Pasdeloup(2), le groupe des meusiens est immatriculé à Compiègne le 28 juin 1941 entre les numéros 542 et 564.
Il mentionne la présence de Jean Nageot parmi eux. Selon Jean Éloi, son neveu, Jean Nageot réussit à faire passer à sa femme une lettre « passée en douce depuis Compiègne ou il attendait… il ne savait pas quoi« . Lire dans le blog « La solidarité au camp allemand de Compiègne« .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Nageot est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45917 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Jean Nageot meurt à Auschwitz le 22 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 848). L’arrêté ministériel du 13 mars 1995 portant apposition de la mention « Mort en déportation » sur les actes de décès (J.O. du 6 avril 1995), reprend la date fictive portée, sans lieu de décès, sur son état civil à la Libération « décédé le 15 août 1942 (sans autre renseignement) ».
Le 3 juin 1945, son épouse, comme des dizaines d’autres épouses de déportés, fait paraître une demande d’informations dans « L’Est Républicain », à la rubrique « Recherche de déportés » destinée à recueillir des informations auprès des déportés rescapés.
Selon son neveu, Jean Eloi (de Dorval, Province de Québec, Canada), c’est par une lettre d’un survivant que sa tante apprit la mort de son mari à Auschwitz.
Son nom est inscrit sur le monument à la mémoire des « Enfants de Verdun morts pour la France », sur la murette de droite sont gravés les noms des prisonniers, déportés, F.F.I.
- Note 1 : En mai 1921, pour hâter l’application du traité de Versailles (versement des dommages de guerre, en particulier le charbon), le gouvernement français ordonne la première occupation militaire de la Ruhr par l’armée française. Les effectifs de l’armée du Rhin d’occupation passent alors de 100.000 à 210.000 hommes.
- Note 2 : Henri Pasdeloup, n° 59206 à Sachsenhausen, récit sur le départ des « 45000 », in « Sachso« ,page 36, par l’Amicale d’Oranienburg-Sachsenhausen. Il mentionne« Collas père », ainsi que Lavigne, Laurent, Dugny, Nageot, Bonhomme.
- Note 3 : Alors que l’Union soviétique mobilise, avant les « accords » de Munich, Churchill écrit : « j’ai l’impression que nous allons devoir choisir pendant les prochaines semaines entre la guerre et le déshonneur, et j’ai assez peu de doute sur l’issue de ce choix ». Léon Blum, bien qu’il vote pour les accords, est partagé entre « un lâche soulagement et la honte ». Seuls les communistes en tant que groupe votent contre la ratification des « accords » à la Chambre, ce qui provoque la fin officielle du Front populaire.
Sources
- En 1991, nous avions contacté sa veuve Madame Lucienne Nageot : mais très âgée, elle n’avait pu fournir de renseignements.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en avril 1992 (André Montagne).
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- © Sitewww.mortsdanslescamps.com
- © Site www.Mémorial-GenWeb ,relevé
- © Site Ludes « nos morts pour la France ». relevé initial effectué par Bernard Butet
- Lettre de Compiègne transmise par Jean Eloi, son neveu (Dorval, Québec, Canada) et Mme Françoise Eloi, épouse Borel (mai et août 2018).
- L’Est Républicain des 3 et 4 juin 1945, © montage Pierre Cardon
- Jean Nageot in © Histoire de Ludes https://www.ludeslecoquet.fr › Histoire chronologique › 1939 à 1945.
- « Bulletin meusien », organe du Groupement fraternel des réfugiés et évacués meusiens – 1938/01/08 (N1163,ED2).
- Recensement de la population de Verdun / 1931.
- Registres matricules militaires de la Marne.
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2007, complétée en 2010, 2015, 2018 et 2021 ; Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com