Matricule « 45 889 » à Auschwitz
René Pignet : né en 1922 à Carvin (Pas-de-Calais) ; domicilié à Albert (Somme) ; coiffeur ; passeur clandestin de prisonniers de guerre ; arrêté en mai 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt
René Pignet est né le 18 mai 1922 à Carvin (Pas-de-Calais). Il est le fils de Flora Mercier et d’Ernest Pignet son époux. Lire la norice biographique de son père, déporté à Auschwitz dans le même convoi.
Il habite chez ses parents au 1, rue Lamarck à Albert (Somme) au moment de son arrestation.
Par le registre matricule militaire de son père, on sait qu’il habite avec ses parents en janvier 1923, à Carvin au 107, rue Basse (aujourd’hui rue des Fusillés).
En 1929, la famille Pignet est domiciliée en région parisienne, au 63, rue Danjou à Billancourt, rue voisine des usines Renault.
En février 1932, ils ont déménagé à Beaune (Côte d’Or) au 1 place Carnot. Il y demeurent au moins jusqu’en janvier 1936. Son père y est patron coiffeur (recensement de 1936).
La famille va alors habiter Albert au 1, rue Lamarck, au premier étage d’un autre salon de coiffure. Il travaille dans le même salon de coiffure que son père (ce salon existait toujours à la même adresse en 2024).
La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940 avec l’attaque allemande aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Le 20 mai les chars de la 1ere Panzerdivision occupent Albert. L’ancien aérodrome d’Albert-Bray est alors utilisé par la Luftwaffe.
Les conditions d’occupation sont très dures. Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…
Dès 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures sont opérationnelles à l’automne 1940. En novembre 1941 des tracts communistes sont diffusés dans les rues d’Albert et le 30 décembre 1941, un contremaître allemand est tué. En mai 1942, les communistes d’Albert fabriquent et diffusent clandestinement un journal : « L’Exploité albertin ».
Six Albertins seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 : Cavigioli Émile, Dessein Florimond, Fletcher John, Pignet Ernest, Pignet René et Villa Gerolamo.
Madame Françoise Tomeno, la nièce d’Ernest Pignet, a recueilli aux archives du Service Historique de la Défense à Caen quatre témoignages indiquant que le père et le fils Pignet ont aidé des prisonniers de guerre à s’évader, notamment du camp d’Amiens (le Frontstalag 204).
* Témoignage d’André Galopier, en date du 05/12/1948, domicilié à Souvigny (Allier) “Messieurs Ernest et René Pignet m’ont aidé à m’évader du Frontstalag où j’étais interné et m’ont adressé à leur cousine à Moulins pour passage en zone libre”.
* Témoignage de Jean-Claude Nicollet, courrier du 28/06/1949, en provenance d’Arnas “Messieurs Ernest et René Pignet ont aidé mon évasion du camp où j’étais prisonnier dans la Somme et m’ont envoyé à leur cousine, Juliette Pignet, à Moulins, 2, place de l’Ancien Palais, pour passer en zone libre”.
* Témoignage d’Arthur Affret : “Messieurs Ernest et René Pignet m’ont aidé à m’évader du Frontstalag où j’étais interné et m’ont adressé chez leur cousine Juliette Pignet où je suis resté quelques jours en attendant de me faire passer en zone libre. J’étais prisonnier au camp d’Amiens (Somme), Frontstalag 204, et me suis évadé en 1941” (courrier du 13/07/1949, Vicq Exemplet (Indre).
* Le témoignage certifié de Marie Bidault, sœur de Georges Bidault, confirme ces témoignages, tout en mentionnant comme date d’arrestation le 18 mai 1942…
“Je soussignée Marie Bidault, adjointe au Maire de Moulins, sœur de Georges Bidault, Président du CNR, a connu dans la clandestinité l’activité de Messieurs Ernest et René Pignet, domiciliés 1 rue Lamarck à Albert (Somme), qui ont fait évader de nombreux (manque le mot “prisonniers”) de guerre qu’ils envoyaient à Moulins où nous leur faisions passer la ligne de démarcation. Messieurs Ernest et René Pignet ont été arrêtés le 18 Mai 1942 et déportés à Auschwitz d’où ils ne sont pas revenus (Moulins – Allier -, le 20 Novembre 1948, signé Marie Bidault).
René Pignet est arrêté avec son père le 20 mai 1942 (date portée sur sa fiche au SHD /DVACC), « le jour de ses vingt ans » disait-on dans la famille, anniversaire qu’il avait fêté deux jours auparavant). Leur domicile est perquisitionné. La famille pense qu’il s’agit d’une dénonciation où il est fait mention de l’usage d’une grenade (la mention « dénonciation » est effectivement portée sur la fiche de son père au DAVCC).
Ils sont internés sans jugement au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le 23 mai, où ils reçoivent les numéros matricules « 5819″ pour son père Ernest et « 5820 » pour René (Fletcher Jean, d’Albert, arrêté à la même période reçoit le numéro matricule « 5821 »).
Ils sont dans la même chambrée que Georges Hanse qui en témoignera à la Libération.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Pignet est déporté avec son père à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 989». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
René Pignet meurt à Birkenau. Son acte de décès (ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre N°116/23/16.261) porte la même date de décès que celle de son père « le 15 décembre 1942« , mais il s’agit sans doute d’une date fictive, apposée afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.
Car les témoignages de plusieurs survivants ne confirment pas celle-ci. Pour Henri Peiffer, qui écrit à Flora Pignet le 12 mars 1946, son fils était très affaibli des suites d’une bronchopneumonie, et serait décédé fin octobre, début novembre 1942. Pour André Faudry, qui écrit à Flora Pignet le 12 juin 1945, René Pignet est mort au mois de décembre 1942 au Block 7 « un block d’infirmerie où les malades n’avaient aucun soin« .
Georges Hanse, qui a partagé la même chambrée que René Pignet et son père à Compiègne, écrit à Flora Pignet le 4 mars 1946 qu’il rencontrait quelquefois Ernest Pignet à Auschwitz qui lui parlait de son fils entré à l’infirmerie en octobre 1942 et n’en est pas ressorti. Pour Marius Zanzi tous deux sont morts au début 1943. Seul fait certain : sa mort survient avant mars 1943, puisqu’il ne fait pas partie des 17 survivants de Birkenau qui réintègrent le camp principal à cette date.
La mention « Mort pour la France » est apposée sur son acte de décès (18 juin 1948).
René Pignet est homologué « Déporté politique » (dossier déporté N° 18748).
René Pignet est homologué (GR 16 P 477838) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O du 14 décembre 1997).
Sources
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, SHD/Caen. Fiche individuelle consultée en juillet 1992.
- M. Aubert, adjoint au Maire Délégué, mairie d’Albert.
- Acte de décès.
- M. Lallou, ADIRP d’Amiens (lettre du 26 mars 1991).
- Courriels de Mme Françoise Tomeno, la petite nièce d’Ernest Pignet (des 20 au 29 janvier 2006 et 26 juillet 2011, 19 août 2021). Photos : collection de Madame Françoise Tomeno, droits réservés.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- © Site Internet Mémorial-GenWeb
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2007, complétée en 2011, 2018, 2021 et 2024. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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