Carte-lettre de Compiègne adressée à son épouse Lydie
Georges Poiret : né en 1905 à Neslette (Somme) ; domicilié à Amiens (Somme) ; ajusteur, cheminot, conducteur d'autorail ; syndiqué CGT, communiste ; arrêté comme otage le 3 mai 1942 ; maison d'arrêt d'Amiens ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 27 septembre 1942.

Georges, Eugène, Paul, Poiret est né le 31 mai 1905 à Neslette (Somme). Au moment de son arrestation, il habite au 74, rue sire Bernard à Amiens (Somme), à quelques numéros de son camarade cheminot Fernand Charlot domicilié au n°52.
Il est le fils de Pauline Coin et d’Eugène Poiret son époux.

Le 1er mars 1924 à Nesles Normandeuse
(Seine-Inférieure / Seine-Maritime), il épouse Lydie, Eugénie, Stella Dumont.
Elle est née le 28 mars 1902 à Ercourt (Somme).
Le couple a deux enfants (Gabriel, né en 1904 à Nesles Normandeuse / décédé à Amiens en 1995 et Christiane, née le 22 octobre 1927 à Hodeng-au-Bosc, Seine-Maritime / décédée en 2005 à Amiens).
Conscrit de la classe 1925, Georges Poiret est réserviste à la 5è compagnie des chemins de fer de campagne (c’est à dire qu’en tant qu’« affecté spécial » il sera mobilisé à son poste de travail en cas de conflit armé).
Le 8 octobre 1928, il est embauché par la Compagnie des chemins de fer du Nord. Il est conducteur d’autorail au dépôt SNCF d’Amiens.
Il est membre du Parti communiste et syndicaliste.
En 1936, la famille habite au 74, rue Sire Bernard à Amiens : le registre de recensement indique que Georges Poiret est ajusteur à la Compagnie des chemins de fer du Nord.

Amiens : chars allemands sur la route de Paris

Après la percée allemande à Sedan, les troupes allemandes se ruent vers Amiens. Située sur la Somme elle est le dernier obstacle naturel avant la Seine et Paris : la ville est un nœud ferroviaire et routier de première importance. Le 19 mai 1940, les Allemands sont aux portes d’Amiens. Malgré une résistance acharnée des armées françaises, Amiens est prise le 20 mai. La prise d’Amiens ouvre à la Wehrmacht la route de Paris et lui permet de poursuivre son offensive vers le sud. Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…

Les conditions d’occupation sont très dures. Dès l’été 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures de résistance sont opérationnelles à l’automne 1940.
Georges Poiret rejoint le Front national dès sa création (il s’agit du « Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France » créé en mai 1941). Selon sa fille, il est membre des FTPF, et il participe à la préparation du sabotage qui immobilise la grue de relevage de 32 tonnes au dépôt d’Amiens.

Une grue de « relevage du matériel accidenté », octobre 1939, RGCF, site Retronews

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1942, une grue de relevage de 32 tonnes est sabotée au dépôt d’Amiens. La plaque tournante du dépôt d’Amiens saute le 11 mai 1942, ce qui paralyse pour longtemps le trafic. (Témoignage de Noël Baheu, membre de l’OS, responsable des FUJP, fils d’un des déportés). A titre de représailles, les Allemands arrêteront au total 37 cheminots du dépôt d’Amiens pour ces deux sabotages.

«Camarades livrés par les traîtres, 1er mai 1942, disparus au camp d’Auschwitz, Poyens, Poiret, Baheu, Dehorter, Charlot, Boulanger, Morin, Allou»).

Des policiers allemands (Gestapo) arrêtent Georges Poiret le 3 mai 1942 (huit autres cheminots du dépôt d’Amiens-Longueau sont arrêtés entre le 3 et le 20 mai et seront également déportés à Auschwitz avec lui : Roger Allou, Fernand Charlot, Clovis Dehorter, Paul Baheu, Fernand Boulanger, Albert Morin, Emile Poyen, Francois Viaud.
Lire l’article du site : Des cheminots d’Amiens-Longueau dans la Résistance.

Georges Poiret est transféré sans jugement fin mai 1942 de la maison d’arrêt d’Amiens au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).

Avis du FT 122 annonçant son transfert « vers un autre camp, destination à ce jour inconnue »

Il écrit quelques lettres à sa famille depuis ce camp. Son épouse reçoit, comme toutes les familles des déportés du convoi un avis du camp daté du 16 juillet 1942, qui indique le transfert de son mari « vers un autre camp, destination à ce jour inconnue« .

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Gearges Poiret est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : 
Le KL Auschwitz-Birkenau.

On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro « 45 995 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Georges Poiret meurt à Auschwitz le 27 septembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 3 page 948). 

François Viaud, cheminot d’Amiens rescapé du convoi, avait à la Libération témoigné de sa mort «en septembre 1942».
Son acte de décès transcrit à l’Etat-civil d’Amiens le 16/09/1946 portait en 2022 cependant toujours la mention «décédé le 30 décembre 1942 à Birkenau (Pologne)». Il est regrettable que le ministère n’ait pas corrigé cette date à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 27 janvier 1998). Ceci était pourtant rendu possible depuis la parution de l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.

© Geneanet

Georges Poiret a été déclaré «Mort pour la France» et homologué «Déporté politique».

Il est homologué (GR 16 P 483422) au titre des Forces Française de l’Intérieur (FFI) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Son nom est inscrit sur la stèle commémorative située dans l’enceinte de l’Etablissement de Maintenance et Traction Haute Picardie au 39, rue Riolan à Amiens, ainsi qu’au cimetière Saint Acheul d’Amiens.

Sources

  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par Mme Christiane Vasseur, sa fille (10 octobre 1990), qui m’a envoyé une photocopie de l’avis du Frontstalag 122 (Compiègne), daté du 16 juillet 1942.
  • Mme Jacqueline Jovelin, la fille de Clovis Dehorter qui m’a envoyé en octobre 1990 la photocopie d’une carte postale (manifestation du souvenir, après la guerre : sur la pancarte «Camarades livrés par les traîtres, 1er mai 1942, disparus au camp d’Auschwitz, Poyens, Poiret, Baheu, Dehorter, Charlot, Boulanger, Morin, Allou»). «Death Books from Auschwitz», Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Paris 1995 (basés essentiellement sur les certificats de décès, datés du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, relatifs aux détenus immatriculés au camp d’Auschwitz. Ces registres sont malheureusement fragmentaires.
  • M. Griffon, adjoint délégué, Mairie d’Amiens (22 août 1990).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en juillet 1992.
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des
    déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2017 et 2022, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger  vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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