Matricule « 45 223 » à Auschwitz

Léon Bellanger à Auschwitz, 8 juillet 1942
Léon Bellenger : né en 1907 à Tancarville (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; domicilié à Sainte-Adresse (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; chauffeur, docker ; militant CGT, communiste ; arrêté le 27 janvier 1941, condamné à 13 mois de prison ; écroué au Havre ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 18 septembre 1942.

Léon Bellenger est né le 7 juin 1907 à Tancarville (Seine-Inférieure / Seine-Maritime). Il habite au 5, rue
des Sapins (dite Sente des Hommes d’armes en 1936) à Sainte-Adresse (commune intégrée aujourd’hui à l’agglomération du Havre – Seine-Maritime).
Il est le fils de Marie, Clémence Trinquier, 37 ans, sans profession et de Séraphin, René, 37 ans, jardinier.
En 1931, chauffeur, il est domicilié chez ses parents au 16, rue Charles Blanchet à Montivilliers.
Le 11 avril 1931, à Montivilliers, il épouse Marie, Charlotte Recher (1910-1988). Il a 23 ans. Elle a 21 ans, née le 8 mars 1910 dans cette commune, sans profession, domiciliée chez ses parents au 13, rue Charles Blanchet.
Le couple a cinq enfants (âgés de 4, 5, 6, 10 et 11 ans en mai 1942). En 1936, la famille n’habite plus rue Charles Blanchet à Montivilliers et pas encore rue des Sapins à Sainte-Adresse.
Léon Bellenger est docker au port du Havre et adhérent à la CGT.

Les troupes allemandes entrent dans Le Havre le jeudi 13 juin 1940, et transforment la ville et le port en base navale (on comptera jusqu’à 40.000 hommes de troupe). Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, et Rouen. Une Kreiskommandantur est installée à L’Hôtel de ville du Havre. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état
civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

Fiche d’otage / 6 mai 1942

Sa fiche d’otage, datée du 6 mai 1942, rédigée à partir des renseignements fournis par la police française indique qu’il est un « communiste convaincu, de mauvaise réputation, condamné à une peine d’amende pour coups et bagarre…».
Léon Bellenger est arrêté le 27 janvier 1941 par la police française «pour distribution de tracts dans les queues pour le ravitaillement, avec Vernichon et Couillard» (in «30 ans de luttes au service des Travailleurs Normands et de la Paix»), le même jour que ses camarades, Couillard, Granjon (Maurice Vernichon est arrêté 3 jours après à Bordeaux  où son travail l’avait appelé et non au Havre).

L’historienne Marie-Paule Dhaille-Hervieu, dans son ouvrage « Communistes au Havre », fait mention des causes de ces arrestations : « Du côté des collaborationnistes, le RNP de Marcel Déat mais aussi le Francisme tentaient de rallier de nouveaux militants, en utilisant d’anciens communistes comme Jacques Torracinta, ancien secrétaire du syndicat des inscrits et de la section des marins communistes jusqu’en 1939. C’est donc à des fins idéologiques qu’un « engin explosif » fut placé devant la porte de la section havraise du RNP, le 29 octobre 1941. C’est plutôt pour des raisons politiques que le chef du personnel de la CEM, Guillier, fut menacé par écrit puis physiquement, et qu’un ouvrier communiste de l’usine, accusé de distribuer des tracts, Paul Badais, fut arrêté. C’est enfin à la suite de ces actions armées que quatre ouvriers communistes, âgés de 32 à 47 ans, le docker Léon Bellanger, l’ajusteur Marcel Couillard, l’ébéniste Maurice Granjon et le marin Maurice Vernichon, emprisonnés mais libérables, furent transférés en 1942 au camp allemand de Compiègne (avant d’être déportés le 6 juillet 1942 et de mourir à Auschwitz-Birkenau) ». Chap. IV. Les années troubles et les souvenirs de gloire : résistance et déportation.
On trouve sur le site internet « Beaucoudray » un récit romancé de ces arrestations, qui correspond peut-être à l’arrestation de Léon Bellanger et Marcel Couillard, (1)
Léon Bellanger est condamné, comme Maurice GranjonMaurice Vernichon et Marcel Couillard  à 13 mois de prison le 19 mars 1941 par le tribunal français du Havre pour distribution et possession de tracts communistes.
Le motif  d’arrestation qui figure sur la fiche d’otage de Léon Bellanger est «possession et distribution de tracts communistes dans la rue et à ses camarades de travail, en décembre 1940 et en janvier 1941».
Ils purgent leurs peines à la prison du Havre. A l’issue de celles-ci, libérables, ils sont néanmoins remis aux autorités allemandes, à la demande de celles-ci.
Léon Bellenger est transféré avec ses trois camarades le 28 février 1942 au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
La mention «Geiselliste» (liste d’otage) qui figurait sur sa fiche d’otage a été barrée et remplacée par «Sühneliste» (liste de répression), suivant l’ordre du 6 mars 1942.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire également dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Le 6 juillet 1942, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Léon Bellenger est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site :
Le KL Auschwitz-Birkenau.

Immatriculation, 8 juillet 1942

Léon Bellenger est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 223» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz

Les barbelés d’Auschwitz. © Claudine-Cardon-Hamet.

Si Georges Dudal a pensé qu’il avait été tué par un Kapo dans les tout premiers jours de leur arrivée à Auschwitz, on sait par les registres du camp que Léon Bellenger entre à l’infirmerie le 27 août 1942,
et qu’il est mort à Auschwitz le 18 septembre 1942, d’après le certificat de décès établi au camp et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 67). Le motif de son décès porté sur le registre d’infirmerie est «Enteritis und Gastritis» (entérite et gastrite). Il convient de souligner que cent quarante-huit «45 000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18, 19 ou 20 septembre 1942, et qu’un nombre important d’autres détenus du camp été enregistrés à ces mêmes dates. Les motifs de décès portés sur les registres sont répétitifs et
fictifs. D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste « sélection ».

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (parution au Journal Officiel du 30 août 2007 avec la date exacte de son décès). Son nom figure sur le monument aux morts et le monument commémoratif 1939 -1945 de Sainte-Adresse, ainsi que sur le monument commémoratif de la Résistance et de la Déportation, dans les jardins de l’Hôtel de ville du Havre : « Le 29 avril 1990, l’urne contenant des cendres de nos héros et de nos martyrs morts en déportation a été transférée dans ce monument« .

Mémorial PCF Rouen © Thierry Prunier / Mémorial Genweb

Son nom est également honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) qui accompagne les noms de 218 martyrs « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ». Mémorial du PCF à Rouen, Relevé Thierry Prunier.

  • Note 1 : On trouve sur le site internet « Beaucoudray » un récit romancé de leur arrestation, qui correspond peut-être à l’arrestation de Léon Bellanger et Marcel Couillard, mais certainement pas à celle de Maurice Vernichon qui est arrêté à Bordeaux trois jours après et non au Havre : «L’inspecteur F.., de la 3ème Brigade mobile de Rouen, signa les documents de la prise en charge, les remit au commissaire H… du commissariat central et, après avoir pris congé de ses collègues, dégringola l’escalier. En bas, le fourgon de police, moteur au ralenti, n’attendait plus que lui pour démarrer. Il sauta dans la cabine, près du chauffeur, qui embraya aussitôt. A l’intérieur, assis entre les gardiens impassibles, les trois hommes menottés s’interrogeaient sur leur destination. Bellenger, Vernichon et Couillard avaient été appréhendés, pris en flagrant délit de distribution de tracts dans les files de ménagères venues au ravitaillement. Alerté, Allie avait dépêché l’un de ses adjoints dans la cité havraise afin de lui ramener les coupables qu’il voulait confronter avec d’autres délinquants, et notamment avec Arthur Lefebvre. Toujours dans la perspective de démanteler l’organisation communiste de Seine-Inférieure, qui, il devait se rendre à l’évidence, s’était reconstituée, le policier rouennais ne négligeait aucune occasion pour parvenir à ses fins. Mais, une fois de plus, son initiative échoua. Malgré les longues séances d’interrogatoires, émaillées des habituels sévices, il ne tira aucun renseignement de ses prisonniers».
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en 1991.
  • Fiche d’otage du 6 mai 1942.
  • « 30 ans de luttes » p. 53 (brochure publiée par la fédération du Parti communiste de Seine Maritime en 1964).
  • Documents fournis par Madame Sylvie Barot, conservateur des Archives du Havre (18 juin 1992).
  • Liste de déportés de Seine-Maritime établies à son retour de déportation par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
  • « 30 ans de luttes au service des Travailleurs Normands et de la Paix« , page 53 (brochure édité par la Fédération de Seine Maritime du Parti communiste en 1964).
  • Récit de l’arrestation in La Résistance normande beaucoudray.free.fr/gestapo.htm. L’inspecteur de police Louis Allie cité, s’est mis au service des Allemands et par son zèle au sein des Brigades spéciales a causé la mort de nombreux résistants communistes. Il est fusillé le 27 février 1944.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Décédés du convoi de Compiègne en date du 6/7/1942. Classeur Ausch. 1/19,liste N°3(Bureau des archives des victimes des conflits
    contemporains (Ministère de la Défense, Caen).
  • Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC). « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Liste Auch 1/7. N°31512 et n° 24.
  • © Site Internet «Mémorial-GenWeb». Relevé Thierry Prunier (Le Havre), Fabrice Cavelier (Sainte Adresse).
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr»
  • Les barbelés d’Auschwitz. © Claudine-Cardon-Hamet.
  • AD 76. Recensement Saint Adresse et Montivilliers 1936.

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45 000” et “31 000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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