Matricule « 45 637 » à Auschwitz
Louis Guidou : né en 1890 à Brest (Finistère) ; domicilié à Ivry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne) ; plâtrier, ouvrier-voutier, contremaître ; chômeur, aide maçon à la régie municipale d'Ivry ; arrêté le 3 août 1940, condamné à 4 mois de prison ; maisons d’arrêt de la Santé, centrales de Clairvaux et de Gaillon ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 22 août 1942.
Louis, Paul Guidou est né le 10 janvier 1890 à Brest (Finistère). Il habite au 52, rue des Lilas à Ivry (Seine / Val-de-Marne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Yvonne Foll, âgée de 25 ans et de Louis, Yves Guidou, 29 ans, menuisier au port (Arsenal), son époux, mariés en 1885. Il est issu d’une fratrie d’au moins sept enfants (Hortense, née en
1885, Théophile, né en 1887, Louis, né en 1890, Marie, née en 1891, Sylvain, né en 1896, Eugénie, née en 1897 et Sylvain, né en 1906, tous à Brest. Recensement de 1906). A cette date, la famille habite au 6, rue à l’Egoût à Brest. Il est plâtrier et son frère Théophile est menuisier. Puis la famille déménage au 58, rue Neuve.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite Brest et qu’il est plâtrier puis ouvrier-voutier au moment du conseil de révision. Il mesure 1m 64, a les cheveux et les sourcils châtain foncés, les yeux bleus. Le front et le nez moyens, le menton rond et le visage ovale. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1910, il devance l’appel et s’engage volontairement le 28 août 1908 à la mairie de Brest. Il est incorporé au 2è régiment d’infanterie coloniale le même jour. Il passe au bataillon de la Nouvelle Calédonie le 8 février 1911. Il repasse au 2è RIC le 28 juillet 1913. A la fin de son engagement, il passe dans la réserve de l’armée active le 28 octobre 1913, « certificat de bonne conduite accordé ». Il se « retire » au 6, rue Saint-Sauveur à Brest.
Louis Guidou épouse Marie Herrou (1) à Brest le 1er décembre 1913. Le couple a un garçon, Yves, qui naît le 15 novembre 1914 à Brest. Louis Guidou ne le verra pas avant 1919. En effet, il a été rappelé aux « armées » par le décret de mobilisation générale du 1eraoût 1914. Il arrive au 2è RIC le lendemain. Détaché au 32è RIC à Pontazenen près de Brest il part « aux armées » le 7 août 1914.
Il est fait prisonnier à Maubeuge le 7 septembre 1914 lors de la capitulation de la place signée ce même jour. Toute la garnison est envoyée dans de très durs camps de prisonniers allemands. Louis Guidou est envoyé au camp de Minden. Il est rapatrié à Nantes le 1er janvier 1919 après les accords d’armistice. Il repasse au 2è RIC le 7 mars 1919 en vue de sa démobilisation qui a lieu le 4 avril 1919. Il « se retire » au 6, rue Saint-Sauveur à Brest.
Ni Louis Guidou, ni son frère Théophile, tous deux prisonniers, ni leur cadet Sylvain « au front », n’assisteront aux obsèques de leur père, retraité de l’Arsenal, dont le décès à 56 ans est survenu le 24 avril 1916.
Il reçoit la médaille de la Victoire et la médaille commémorative.
En janvier 1924, il a quitté le Finistère et habite à Valenciennes (Nord), au 11, rue des Moulineaux.
Louis Guidou travaille comme plâtrier. Il vient travailler en région parisienne.
Il épouse en secondes noces Alice Kilian le 21 septembre 1931 à Ueberstrass (Haut-Rhin). Née en 1909 à Ueberstrass, Elle a un enfant, Eric Kilian, né en 1928. Louis Guidou travaille alors comme contremaître.
En 1936, le couple habite au 15, impasse Chanvin à Ivry avec Eric. Louis Guidou indique lors du recensement qu’il est contremaître, mais au chômage. Il sera employé ensuite comme aide-maçon à la Régie municipale d’Ivry.
Le 7 septembre 1939, il est considéré comme libéré de ses obligations militaires (père de famille de deux enfants vivants, il a été replacé dans la classe 1903, non mobilisable).
Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Fin juin, le fort d’Ivry est occupé par l’armée allemande, la Maison de santé et de nombreux logements sont réquisitionnés. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Militant communiste connu, Louis Guidou est arrêté le 3 août 1940 par la police française pour «propagande, confection et distribution de tracts sur la voie publique» (deux croix rouges soulignées d’un trait rouge (signifiant «militants notoires et dangereux s’étant faits remarquer particulièrement»), en même temps qu’Albert Magot «agitateur notoire, fomenteur de grèves» et Jules Vanzuppe («ex conseiller municipal communiste») (Le Maitron). Marcel Boyer pris dans la même affaire est arrêté le 6 août 1940 (Registres et fiche de police d’Ivry) : lire l’article Le rôle de la police française dans les arrestations des «45 000».
Le 8 février 1941 Louis Guidou est jugé par la 15è chambre correctionnelle de Paris avec une cinquantaine de militants communistes (dont 17 seront déportés à Auschwitz).
Il est condamné à 4 mois de prison. Louis Guidou fait appel de la condamnation, comme ses camarades, le 28 février.
Le 8 avril il est transféré de Clairvaux à la prison de la Santé pour son jugement en appel. Le 9 avril sa peine est confirmée (comme celles de Marcel Boyer, Jules Vanzuppe, Robert Lambotte, René Perrottet). Leurs avocats, maîtres Antoine Hajje, Georges Pittard et Michel Rolnikas, seront arrêtés en juin 1941, internés à Compiègne et fusillés le 20 septembre 1941.
Lire dans ce site : La Maison centrale de Clairvaux
Le 11 avril 1941 les Renseignements généraux, adressent pour information aux services du nouveau Préfet de police de Paris – Camille Marchand – entré en fonction le 19 février 1941, une liste de 58 « individus » internés administrativement pour propagande communiste par arrêtés du Préfet de Police Roger Langeron, qui a cessé ses fonctions le 24 janvier 1941. 38 d’entre eux ont été condamnés pour infraction au décret du 26 septembre 1939 (reconstitution de ligue dissoute / dissolution du Parti communiste).
Les RG mentionnent pour Louis Guidou, outre ses dates et lieu de naissance : « condamné à 4 mois de prison par la 15è chambre, le 8 février 1941».
Lire dans le site: le rôle de La Brigade Spéciale des Renseignements généraux dans la répression des activités communistes clandestines.
Après son jugement, Louis Guidou est écroué à la Santé, puis transféré en septembre 1941 au camp de Gaillon dans l’Eure.
Lire dans ce site : la-Maison-centrale-de-Gaillon.
Il est transféré depuis Gaillon au Camp de Voves (Eure-et-Loir), le 4 mai 1942. Lire dans ce site : Le camp de Voves.
Il est remis aux autorités allemandes à leur demande, le 20 mai 1942 (2). Dans un courrier en date du 18 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans écrit au Préfet de Chartres «Le chef du M.P. Verw. Bez. A de St Germain a ordonné le transfert de 28 communistes du camp de Voves au camp d’internement de Compiègne. Je vous prie de faire conduire suffisamment escortés les détenus nommés sur les formulaires ci-contre le 20-05-42 à 10 heures à la gare de Voves pour les remettre à la gendarmerie allemande». Le bruit court dans le camp qu’il va y avoir des fusillés : aussi, le 20 mai 1942, lorsque des gendarmes viennent le chercher avec les 27 autres internés pour les transférer au camp de Royallieu à Compiègne, ils chantent la Marseillaise. Dix-neuf d’entre eux seront déportés à Auschwitz (Stéphane Fourmas).
Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122). On reconnaît sa signature sur le «menu de Gabriel Torralba» (3).
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Louis Guidou est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Louis Guidou est enregistré à Auschwitz sous le numéro « 45637» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (4) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Louis Guidou meurt à Auschwitz le 22 août 1942, d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 409). La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 7 octobre 1994 paru au Journal Officiel du 9 décembre 1994).
- Note 1 : Le registre d’état civil est difficilement lisible, mais il s’agit bien de Herrou Marie, née le 30 avril 1894 à Recouvrance (Brest).
- Note 2 : Le «menu» de Gabriel Torralba et les signatures de «45000» : Louis Guidou participe aux actions collectives organisées par la le « comité du camp » en fait la Résistance clandestine du camp pour maintenir le moral des internés et venir en aide aux plus démunis : en exemple, le menu d’un « repas fraternel » organisé le 5 mai 1942, et qui porte 34 signatures, parmi lesquelles on peut identifier celle de plusieurs « 45000 », Gabriel Torralba, Eugène Clément (45 374, de Paris), Armand Nicolazzo (45 924, d’Argenteuil), Louis Guidou (45 637, d’Ivry), Félix Néel (46 252, de Romainville), André Doucet (45 480, de Nanterre), Auguste Monjauvis (45 887, de Paris), Jean Berthoud (45 230 de Paris 20è), Louis Gouffé (4 5620 de Romainville), René Beaulieu (45 213, de Rosny), et celles de ses camarades bordelais, Eustache (45 522 de Pessac) et Beudou (45 243 de Talence), et d’André Tollet qui s’évadera par le tunnel, quelques jours après.
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- © Archives en ligne du Finistère, Brest.
- Archives de Caen du ministère de la Défense(Bureau des archives des victimes des conflits contemporains. Ministère de la Défense et des Anciens combattants et victimes de guerre (photocopie de la déclaration de son décès à l’état civil d’Auschwitz, octobre 1993).
- Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / collection André Montagne.
- Le «menu» de Gabriel Torralba, rescapé.(Fonds Roger-Arnoult / Claudine Cardon-Hamet).
- Stéphane Fourmas,Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
- Death Books from Auschwitz(Registres des décès d’Auschwitz), ouvrage publié par le Musée d’Etat (polonais) d’Auschwitz-Birkenau en 1995.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (archives des ACVG).
- Archives municipales d’Ivry (1988 et 1992).
- Archives départementale de Paris, archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, (14 janvier – 12 février 1941).
- © Fiches de police des commissariats d’Ivry et Vitry. Musée de la Résistance Nationale (merci à Xavier Aumage, Céline Heytens, Charles Riondet). Fichier Excel Ivry.
- Registres matricules militaires du Finistère © Fiches du CICR, camp de Minden 1915.
- Archives de la Préfecture de police de Paris. Renseignements généraux. 11 avril 1941, liste de « 58 individus internés pour propagande communiste clandestine ».
Notice biographique rédigée en 2007, mise en ligne en 2012, complétée en 2015, 2019, 2020, 2022 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com