Matricule « 45.240 » à Auschwitz Rescapé

Cette notice biographique reprend de large extraits du livre « Mille et neuf jours. René Besse, la force d’un résistant déporté ». Témoignages recueillis par Laurent Lavefve. Préface de Marie-Jo Chombart de Lauwe, Les Ardents éd. 2009.

René Besse est né le 14 juin 1923 à Créteil (Seine / Val-de-Marne). Il est domicilié au 42, bis rue Louise au moment de son arrestation. Il est le fils de Louise Madrange, 25 ans qui travaille chez un marchand de crayons « Marquise », et de Louis Besse, 26 ans, maçon. Ils se sont mariés en 1921. Son père a construit une maison, où la famille habite, au 42, bis rue Louise, au moment de son arrestation.
Son frère aîné est mort d’une maladie pulmonaire qu’il contracte à l’âge de trois ans. Son père rêve de voir René poursuivre des études. Celui-ci est inscrit au cours complémentaire à Créteil, mais l’abandonne au bout de six mois, sans passer le brevet : il veut entrer dans la vie active. Son père qui s’est mis à son compte comme artisan maçon, le prend avec lui comme compagnon. Ils font des travaux de maçonnerie à l’imprimerie Serge Beaune. Son père l’emmène aux réunions politiques du Parti communiste.
Il dit être « entré en solidarité à 13 ans » pendant le Front Populaire, ébloui par les manifestations des ouvriers qui occupent l’usine métallique Lancia, à 500 mètres de chez lui et qui obtiennent satisfaction quelques semaines plus tard.
Son cousin « Julot » (Jean Vial), de trois ans son aîné, est inscrit aux Jeunesses communistes et collecte des fonds pour les grévistes. René Besse
casse sa tirelire  pour verser « au drapeau ». Il accompagne Jean sur le marché de Créteil pour vendre « l’Avant-garde » et soutenir la République espagnole. Sur la place, qui porte après la guerre le nom de Paul Hervy, mort à Auschwitz, il l’accompagne au café « le poisson rouge » le bien nommé, qui est le lieu de rendez-vous des « JC », avant leurs affrontements avec les héritiers des « Camelots du Roy » de « l’Action Française » mouvement interdit en 1936.

René Besse dans le même atelier en 1946

René Besse est embauché en janvier 1937 à l’imprimerie Serge Beaune. Il n’a pas
encore 14 ans, et va gagner 2 francs de l’heure en apprenant le métier de graveur taille-doucier « sur le tas ». Il est « mordu » de football, inscrit au club de la Jeunesse Sportive Ouvrière de Créteil, affilié à la FSGT. Il passe tous ses étés aux « Crocs », la ferme de ses grands parents à Marcilloux (Corrèze) jusqu’en 1938. Il retrouvera cette terre en 1940, au moment de l’exode.

Le 2 juin 1940 il part de Créteil à vélo avec son père. Ils subissent un bombardement italien le 10 juin à Jargeau, sur la Loire, sont hébergés dans une ferme dans la Creuse
et arrivent dans la famille à Romevillage du Lonzac où sa mère est née.

Le 13 juin 1940 les troupes allemandes occupent Créteil. Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.  Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Ils retournent à Créteil en septembre 1940 dans des wagons à bestiaux. A Créteil, il reçoit la visite de Paul Hervy, de 8 ans son aîné, responsable de la Jeunesse Communiste de Créteil. Fin septembre, ils se retrouvent à six des JC « à vouloir continuer (…), poursuivre l’action désormais clandestine ».
Outre René Besse, il y a là Guy Camus, Raymond Le Bihan, Georges Mapataud et Roger Mènielle (ils seront tous déportés avec lui à Auschwitz), Marguerite Camus et Raymond Labadie (déporté au Struthof). Ils vont manifester par tracts et affiches leur opposition à l’occupation. Les tracts sont tapés par Marguerite Camus et imprimés sur une des deux ronéos entreposées dans la cave du pavillon de son cousin sur la ronéo cachée dans le pavillon du cousin de René Besse, Jean Vial, dit « Julot », en face de celui de ses parents. Raymond Labadie écrit que Les jeunes Résistants ne se méfient pas assez et diffusent leurs tracts à dates et heures fixes

L’US Créteil football. René Besse agenouillé au centre

René Besse joue toujours au football, mais cette fois-ci à l’US Créteil (1). Avec
Paul Hervy, ils transportent chacun à vélo 2000 tracts du Parti communiste
jusqu’à l’hôpital d’Avon (près de Fontainebleau).
Dans la nuit du 27 au 28 octobre, il remplace pour un collage à vélo son cousin Paul
Vial, lequel s’était aperçu qu’il avait été filé et avait réussi à s’échapper.
Le collage se fait avec Paul Hervy. Deux gendarmes les prennent en chasse rue de
Brie, vers quatre heures du matin. René Besse parvient à s’échapper, mais pas son
camarade, dont la chaîne de vélo a sauté.
Le 28 octobre 1940, René Besse se rend malgré tout à son travail. Et il est arrêté à 10 heures du matin à l’imprimerie Serge Beaune par des gendarmes français et emmené à la gendarmerie de Créteil où il retrouve Paul Hervy, en sang, le visage tuméfié, qui a fini par donner son nom, pensant qu’il avait choisi de se sauver.

Ils sont transférés au commissariat de Saint-Maur, puis à prison de La Santé. René Besse est écroué à Fresnes à la quatrième division, au quartier des mineurs jusqu’au 11 janvier 1941. A Fresnes il subit l’entassement à cinq dans des cellules pour deux, infestées de poux. « Quatre droits communs pour un politique, pas moyen de parler, je crains les mouchards ». Au cours d’une des rares « promenades », il côtoie le jeune Guy Môquet arrêté le 13 octobre. Sa mère est venue le voir à la Maison centrale, plusieurs fois, à vélo. René Besse passe en jugement le 9 janvier 1941. Il est mis en liberté surveillée étant mineur, alors que son camarade Paul Hervy est emprisonné à la Santé.
L’imprimerie Beaune ayant fermé, il se fait oublier en travaillant pendant plusieurs semaines avec son père qui travaille dans une entreprise de maçonnerie sur l’hippodrome de Vincennes. Puis il est embauché pendant un an à Bonneuil dans une entreprise fabriquant des poteaux en béton. En mai 1941, son cousin Jean Vial, replié en Touraine le recontacte à Créteil, tout en le mettant en garde sur les probabilités d’infiltration de leur groupe. Il reprend alors ses activités militantes (impression et distribution de tracts). Une camarade lui confie une vingtaine de photos de Guy Môquet, qu’il s’agit de vendre pour faire connaître son exécution le 22 octobre 1941. Un copain du foot, gaulliste, lui demande de coller des papillons annonçant
les passages de De Gaulle à la radio. Il héberge aussi des prisonniers évadés. Le dernier en date, un ancien légionnaire, rejoindra Londres (c’est d’ailleurs pour ces actions avec les gaullistes que René Besse obtiendra le titre de « Déporté Résistant » Lire dans le site « La carte de « Déporté-Résistant »).

Le 28 avril 1942, il est arrêté, cette fois par des Feldgendarmen, assistés de deux gendarmes français (2). Chargé dans un camion avec une quinzaine d’autres militants, ils sont rassemblés à la Mairie du 12ème, puis transférés dans un vélodrome (très probablement l’ancien vélodrome
olympique, La Cipale). <

Les Allemands les emmènent ensuite par cars vers la gare du Nord, puis par groupes de 50, les entassent dans des wagons à bestiaux en destination de Compiègne, au camp allemand de Royallieu (le Frontstalag 122). René Besse y fait l’expérience de la solidarité, avec des « anciens » comme Guy Camus, qui partagent leurs maigres colis. Il y suit les cours et assiste aux séances de théâtre, en particulier « Clochemerle ».
Il voit partir depuis la place d’appel des militants qui vont être fusillés comme otages et à cette occasion il relate, comme d’autres survivants, le courage de René Coquet.
Le 5 juillet 1942, la veille du départ, il prépare un petit mot sur un papier récupéré, facile à jeter car ficelé sur un caillou par un cordon. « Mes chers parents. Vous reverrais-je ? Nous partons pour une destination inconnue. Dès que je le pourrais vous aurez de mes nouvelles. Embrassez-pour moi ma petite sœur ». Lire dans le site : les Lettres jetées du train.

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, René Besse est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est immatriculé le 8 juillet 1942

René Besse est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45240».
Sa photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

René Besse est affecté à un Kommando qui transporte les pièces de charpente pour la construction des Blocks.

Le 13 juillet  ils sont interrogés sur leurs professions. « Les spécialistes dont ils ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et s’en retournent à Auschwitz I, ils sont approximativement la moitié de ceux qui restaient de notre convoi. Les autres nous restons à Birkenau où nous sommes employés pour le terrassement et pour monter des
baraques appelées Block
. » (Pierre Monjault).

René Besse est de ceux qui retournent au camp principal. Son premier Kommando dépend de la DAW (Deutsche Ausrüstungswerke) : Il y travaille au démontage des ferrures de ski pour en récupérer le métal. Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz. Puis, au bout d’un mois, René Besse est affecté au Kommando Menuiserie, qui dépend aussi de la DAW. Il y travaille de nuit avec Louis Brunet, dit « La Biche » et Maurice Courteaux. Grâce à leur soutien et à l’échange de pain contre de l’aspirine, ils parviennent à l’aider à endiguer une si forte fièvre que « sa
peau collait à la paillasse ».
Un soir vers 18 heures, c’est la dernière fois qu’il voit son camarade Paul Hervy : porteur de lunettes, celles-ci lui ont été enlevées à la désinfection. Il n’y voit rien et n’arrive pas à reprendre sa place exacte au moment de l’appel. Il tourne en rond. Un SS arrive par derrière et lui assène un grand coup de crosse sur la nuque. Il est laissé sur le sol. René Besse ne l’a plus revu. Paul Hervy est mort le 4 novembre 1942.

René Besse a raconté dans son livre, tout comme Raymond Montégut, les appels interminables dont il voit les préparatifs depuis le Block 15 et les exercices absurdes et épuisants du Mützen ab et du Mützen auf ! Lire dans le site des témoignages de « 45000 » sur les séances d’appel à Auschwitz, dont celui de René Besse : L’appel à Auschwitz, témoignages.

Il raconte aussi les départs pour l’infirmerie du camp, le « Revier ». « Jusqu’en 1943, personne n’était soigné et ne ressortait vivant de l’infirmerie. (…) Des camarades allaient malgré tout au Revier car ils ne supportaient plus leur condition et espéraient un miracle
ou, pire encore, cherchaient à en finir plus vite 
». René Besse voit ainsi partir au Revier ses camarades Camus et Guillou en octobre et novembre 1942. Il ne les reverra plus.
Guy Camus avait été secrétaire de cellule à Créteil. Il lui laisse sa portion de pain en le quittant après l’appel. « On lui voyait les os des épaules et des hanches sous les habits devenus trop amples. Il était atteint de dysenterie ». Il meurt le 7 octobre 1942. Alexandre Guillou avait été conseiller municipal communiste de Bonneuil : « Il est parti au Revier avec une grosse fièvre, en portant autour de lui et sur moi un regard indéfinissable. Celui d’un homme qui se sait perdu. Des yeux vides, comme s’il était déjà passé de l’autre côté (…). Pour moi, avant, c’étaient des « vieux », des militants chevronnés que j’admirais.». Alexandre Guillou meurt le 4 novembre 1942. De ces mois terribles René Besse écrit « nous n’étions plus des hommes, mais des ombres d’hommes ».

René Besse peut écrire à sa famille le 4 juillet 1943 comme les autres survivants politiques français d’Auschwitz. Cette disposition est l’application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus politiques français des camps de concentrations (KL) la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres. Les lettres doivent être rédigées au crayon, en allemand, et sont soumises à la censure.

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, René Besse est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des politiques français survivants. Lire l’article du site « les 45000 au block 11.  Au Block 11, il n’y a plus la crainte des
coups et des corvées harassantes. La ration alimentaire quotidienne, identique à celle des Kommandos, peut être améliorée par des colis : après les lettres, René Besse reçoit 3 colis : « du pain, du bœuf de Corrèze séché, un succédané de chocolat fourni en pharmacie, et des cigarettes (des Celtiques) ». Il se souvient aussi d’une journée où 110 d’entre eux sont volontaires pour une prétendue « battue de chasse ». Transportés par le train dans de vrais wagons, ils doivent en fait décharger des dizaines de wagons de betterave ! Mais ils en profitent – dès que les SS tournent le dos – « pour croquer des betteraves à sucre ». A quelques reprises, René Besse peut même jouer au football dans la cour qui sépare le Block 10 et le Block11 : « le plus étonnant était de jouer avec des allemands, dont un jeune SS ».

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite du nouveau commandant du camp, Arthur Liebehenschel, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leur Block et Kommando d’origine ou dans des Kommandos correspondant aux métiers qu’ils ont déclaré à leur arrivée à Auschwitz. René Besse est affecté auKommando Druckerei (imprimerie), où il imprime –
en six exemplaires – des fiches d’arrestation, des avis de décès « et un nombre incalculable d’imprimés  destinés aux SS et à leur administration ».
Même s’il y est souvent battu, il est au chaud. Il s’y retrouve avec 3 autres 45000 » imprimeurs de métier : Louis Faure, Clément Brioudes et Marcel
Claus
. Devenu des « vieux numéros », les Kapos les laissent tranquilles. Le 13 septembre 1944, date confirmée par les historiens, il est témoin du bombardement de Monowitz par les Alliés. Une bombe tombe sur un des bâtiments d’Auschwitz où travaillaient des tailleurs et des cordonniers Juifs. Tous sont tués, sauf l’un d’entre eux, qui a la jambe cassée et que René Besse met à l’abri après l’avoir sorti des décombres.
A cette période de 1944, le blessé  est soigné. Et quelques mois plus tard, celui-ci venait lui apporter en cachette une boule de pain pour le remercier. L’homme qui avait survécu à sa déportation, le reconnut à Paris lors d’un défilé en 1945.

Fin 1944, René Besse apprend que le Kommando imprimerie va être renouvelé. Sur les conseils de Raymond Saint-Lary, il rencontre le Kapo du Kommando garage en se faisant au culot, passer pour un spécialiste des moteurs : « je ne savais même pas ce qu’était une bougie ». « Tu vas dérouiller au départ, mais ensuite tu seras utilisé au lavage » lui avait dit son camarade. Il est effectivement copieusement rossé, mais on n’était plus en 1942. Il se retrouve finalement au lavage des camions, « un bon poste pour la solidarité » : il récupère les quignons de pain durs comme du bois, les patates égarés sous les sièges.

Le 17 janvier 1945, au moment de l’évacuation des camps d’Auschwitz devant l’avancée des armées soviétiques, André Faudry lui propose de qe cacher avec lui dans les soutes à charbon. Mais il refuse « Non, c’est trop dangereux, avec tout le méthanol déversé là-bas, et les bombardements, tout va exploser, on va y rester c’est sûr. Moi je pars, bonne chance » (André Faudry est libéré le 27 janvier). Dans la débandade, René Besse réussit à dérober aux cuisines « un vrai gros saucisson destiné aux Allemands et une boule de pain », qu’il va partager avec les quelques Français qu’il retrouve « 200
mètres plus loin tout était avalé
». Il a aussi dérobé une paire de bonnes chaussures, qui s’avèreront bien utiles pour marcher dans la neige.

René Besse est alors incorporé dans une colonne de 2000 détenus évacués à pied, sans vivres le long de la frontière Slovaque. A Wodzislaw (Loslau), après une terrible « Marche de la mort » de près de 65 km en deux jours, dans le froid et la neige, ils ne sont plus que quelques centaines, dont dix « 45000 » à monter dans un train à destination du camp de Gross-Rosen : Raymond Boudou, Henri Charlier, Maurice Courteaux, Pierre Felten, Georges Gallot, Adrien Humbert, Francis Joly, Lucien Marteaux, Pierre Monjault, Albert Rosse. Dans le camp, René Besse reste isolé, sans travailler, en bute aux violences de détenus polonais.

Carte du camp de Nordhausen (dépendant de Dora Mittelbau)

Le 9 février 1945, le camp de Gross-Rosen est évacué. René Besse est transféré  à Nordhausen « sur un train à wagons découverts, par moins 25 », durant cinq jours au milieu des cadavres qui augmentent
chaque jour. Ils ne seront qu’une dizaine sur cinquante à descendre du wagon. Les quatorze « 45 000 » de Gross-Rosen ont survécu et arrivent à Nordhausen, près de Dora-Mittelbau. Roger Abada, René Besse, Clément Coudert et Pierre Monjault sont affectés à Nordhausen. Il y reçoit le matricule « ‘116 083 »

René Besse échange ses chaussures contre du pain. « A Nordhausen, nous n’avions strictement rien à manger. Nous volions des betteraves et des rutabagas, nous fouinions partout pour trouver de la nourriture. Nous avions trouvé des épluchures de pommes de terre dans les poubelles. Nous en avions fait des boulettes pour les manger. Je me souviens qu’un vieil Allemand de la Wehrmacht nous donnait des allumettes pour que nous puissions faire cuire nos épluchures. (…) Un jour, je vois René Besse revenir avec une boule de pain. Nous l’avons partagée avec un petit Polonais qui se trouvait avec nous. Je demande à René : « Où as-tu eu ce pain ? » Il me répond : « J’ai vendu mes chaussures ». Je lui dis : « Comment vas-tu marcher maintenant ? » Nous nous sommes donc mis à la recherche de chaussures. Nous en avons trouvé deux du même pied qu’il enfila quand même. Dans ce camp, beaucoup de déportés mouraient, n’ayant même plus la force de se traîner pour chercher de la nourriture. Les SS obligeaient
les survivants à travailler. Les rescapés n’avaient pas d’autre alternative que de déchausser les morts
 » (Roger Abada).

A la faveur des importants bombardements alliés sur la ville, qui embrasent aussi le  camp, le 2 avril 1945, René Besse et Pierre Montjault décident de s’évader de Nordhausen. Mais avant de partir René Besse et Pierre Monjault se « ravitaillent » aux cuisines du camp de Nordhausen à la faveur des bombardements : « Lorsque sonne la fin de l’alerte, j’ai une idée. Les cuisines doivent être désertes. Je dis à René Besse : « Nous allons en profiter pour
(y) aller ». (…) Et, là, ô délices, le déjeuner des SS était prêt. Nous nous trouvons devant des marmites de lait. Nous en buvons. Ah, que c’est bon et, en plus, il est sucré ! Un peu plus loin, il y a des betteraves rouges. (…) Nous en mangeons à pleines mains 
» Pierre Monjault.
Le 3 avril, ils réussissent à passer au travers des éclats de bombes et des tirs des mitrailleuses. René Besse est blessé à la tête, il a perdu « Pierrot » (Monjault).  Il marche, entre dans une grange où des STO ont été massacrés. Il met les vêtements de l’un d’eux pour être moins reconnaissable. Au village de Bielen, il se réfugie dans une ancienne baraque de tir des jeunesses hitlériennes. Il y est bientôt rejoint par dix évadés : deux déportés et huit STO. La plupart sont blessés et trois d’entre eux meurent dans les heures suivantes. Après quatre ou cinq jours, le pain est épuisé. Avec un gars de Perpignan, il part déterrer des rangs de patates… Il s’aventure, à Bielen, trouve un œuf dans un landau abandonné. Avec son copain perpignanais ils errent dans le village. Ils sont insultés par des femmes. Ils sont épuisés. Le 13 avril, il voit une jeep américaine avec une mitrailleuse, conduite par un homme seul.
Il confectionne un drapeau blanc. « L’Américain » est en fait un lieutenant français, passé en Espagne, puis engagé à Dakar dans l’armée US. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre en pleurant. René Besse est soigné dans un hôpital de fortune « ils ne savaient pas comment faire avec des squelettes comme moi, ils me laissent trop manger », il dévore « viande et haricots ».
Il souffre de diarrhées. « Ils ont compris ce qu’il nous fallait. Du riz cuit à l’eau ». Il reste pendant trois jours. Il est conduit en camion américain au camp de Dora-Mittelbau, dans des baraques infestées de punaises au dessus de l’usine des V1 et V2. Il réussit à se faire inscrire sous le nom d’un prisonnier libéré et avec 25 autres Français, il est emmené sur le terrain d’aviation de Nordhausen épargné par les bombardements. Le 23 avril, 18 DC4 viennent chercher environ 400 Français qui seront parmi les premiers rapatriés.

Au Bourget, après la cohue à l’atterrissage, le passage à « la sulfateuse » (désinfection), il est interviewé par une journaliste du « New York Tribune » à laquelle il raconte sa déportation.
Puis ils sont emmenés en cars à travers la « ceinture rouge », arrêts, questions des épouses, colis. Il se retrouve à l’hôtel Lutétia, logé avec un Alsacien résistant, dans une vraie
chambre, avec une vraie douche. Le lendemain matin, il fait téléphoner au café-tabac de la N 19 où son père a l’habitude de faire une belotte. « Gravelle 25 36 ».
Son père, sa mère et « Julot » se font accompagner en auto par un garagiste.
Les familles arrivent à l’hôtel Lutétia. Il est aligné, avec une dizaines de PG. Sa mère passe devant lui sans le reconnaître, puis revient sur ses pas et
touche son menton, là où il a une cicatrice d’enfance : «çà,  c’est mon gars ! » dit-elle. Son père pleure devant lui pour la première fois. Les interrogatoires et les soins continuent à l’hôtel Lutétia : il pèse 33 kilos. Interrogé par les services secrets à la gare d’Orsay parce qu’il vient de Nordhausen, près de Dora où les nazis fabriquaient les V1 et V2, il leur dit vouloir s’engager dans l’armée pour combattre ce qui restait des troupes nazies, ce qui les fait rire, car il n’a que la peau sur les os.

Certificat pour la famille de Guy Camus

Quelques semaines après son retour à Créteil, au mois de mai, à l’occasion du deuxième tour des élections municipales, il est sollicité par les responsables du Parti communiste pour prendre la parole à un meeting d’union (des FFI, des communistes aux gaullistes). <

Une expérience traumatisante parce que devant cette salle comble où il décrit les horreurs vécues, il voit les pleurs des familles des disparus et comprend qu’il ne pourra pas leur répondre : « C’était vache ! »
Il préférera alors faire des témoignages certifiant la mort de ses camarades, pour accélérer les formalités de pension. Etre utile.

Il a la joie de retrouver Pierre Monjault et André Faudry. Vingt ans après, au mariage de sa sœur, il retrouve Louis Brunet, dit « La Biche ».
Il intègre le Comité local de Libération. Adhère à l’UJRF, puis prend des responsabilités à la FNDIRP.
Il essaie de rejouer au foot en 1946, mais doit se résoudre à jouer avec les vétérans tellement les efforts lui sont difficiles !
Il reprend son métier d’imprimeur « taille-doucier », qui le passionne. Il travaillera pour des entreprises de renom, comme celle de Périgueux où l’on confectionne des timbres postes, effectuera des déplacements professionnels en Italie.
Il se marie le 6 septembre 1947 à Créteil avec Blanche Philippe, dont il se séparera : « elle n’avait jamais entendu parler des camps » et, comme sa famille, considérait que « tout ce qui lui était arrivé était de sa faute ».
René Besse est homologué dans la Résistance Intérieure Française avec le grade de sergent, Combattant volontaire de la Résistance. Il est homologué « Déporté Résistant » le 7 septembre 1964.

Il habite à Bonneuil-sur-Marne, rue Guillou

Secrétaire de la FNDIRP de Créteil, puis de Bonneuil-sur-Marne où il habite rue Alexandre Guillou du nom de son camarade mort à Auschwitz, puis rue Montaigne après son divorce et son remariage le 18 juillet 1959 à Créteil avec Marie-Josèphe Bardo qui sait le comprendre et qui de plus est « un vrai cordon bleu ».

Il reçoit la Médaille militaire en 1968, et la Légion d’honneur (au grade de chevalier) des mains du général Billotte, en 1976. Dans les années 1970, avec l’évolution des technologies et la disparition de son métier, il « retourne
à l’école » et suit une formation se comptable, métier qu’il exercera quelques temps avant sa retraite.

Il appartient au bureau de la FNDIRP du Val-de-Marne de 1981 à 1983.
Il se retire à Peyrillac (Haute-Vienne), près d’Oradour-sur-Glane en 1983.
Il adhère à l’AFMD (Amis de la Fondation pour la Mémoire de la déportation) et multiplie avec l’association les interventions dans les établissements scolaires du département.

René Besse intervient dans les établissements scolaires

A la suite de l’une de ces interventions en 2004, le CA du lycée Maryse Bastié de Limoges décide de donner son nom à l’amphithéâtre de l’établissement.
Le 5 décembre 1989, il reçoit l’insigne d’officier de la légion d’honneur des
mains de l’abbé Jean-Baptiste Varnoux, déporté le 6 avril 1944 à Melk et
Ebensee.
Le centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane conserve un petit fonds « René
Besse ».

Il est décédé le 26 novembre 2013.

  • Note 1 : Le 7 octobre 1939 la direction parisienne de la fédération FSGT exige de ses clubs qu’ils répudient le pacte germano-soviétique. La plupart de ceux-ci se déclarent non compétents, et sont alors exclus de la FSGT.  Rares sont les
    clubs qui rejoignent la FSGT-USGT qui collabore avec les Allemands. Beaucoup de ces ex-clubs FSGT changent de nom. Et la plupart seront dissous par arrêtés préfectoraux en avril 1940. Certains adhéreront alors à une fédération officielle, le club devenant une couverture permettant à des militants clandestins de se réunir en toute légalité, comme à Levallois-Perret ou à Paris 14ème.
  • Note 2 : Ce 28 avril 1942, une rafle est effectuée par l’occupant dans tout le département de la Seine. Lire La politique allemande des otages (août 1941 -octobre 1942). Suivant cette politique des otages, les autorités d’occupation ordonnent l’exécution d’otages déjà internés et arrêtent 387 militants, généralement arrêtés une première fois par la police française pour activité communiste depuis l’interdiction du Parti
    communiste (26 septembre 1939) et libérés à l’expiration de leur peine. Il s’agit de représailles ordonnées à la suite d’une série d’attentats à Paris (le 20 avril un soldat de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats dans un autobus parisien, le 22 avril un militaire est blessé à Malakoff).

Sources

  • « Mille et neuf jours. René Besse, la force d’un résistant déporté ». Témoignages recueillis par Laurent Lavefve. Préface de Marie-Jo Chombart de Lauwe Les Ardents éd. 2009.
  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par René Besse.
  • Correspondance le 17 octobre 1987.
  • Raymond Labadie in « Creteil Se Raconte ».
  • Mairie de Bonneuil.
  • Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997, notice de Claude Pennetier.
  • Photo de René Besse âgé in http://blogs.crdp-limousin.fr/87-st-junien-college-langevin/files/2011/04/Ren%C3%A9-Besse1.pdf

Notice biographique mise en ligne en 2012, complétée en 2017, 2020 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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