Plaque de l’hôpital Tenon

Matricule « 46 143 » à Auschwitz

Adrien Thomas : né en 1908 à Paris 20è ; domicilié à Joinville-le-Pont (Seine / Val-de-Marne); métreur vérificateur en maçonnerie, employé à l’hôpital Tenon ; communiste ; arrêté le 5 octobre 1940 ; interné aux camps d’Aincourt, de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 19 septembre 1942.

Adrien Thomas est né le 5 novembre 1908 à Paris 20è.
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 7, rue de l’Egalité à Joinville-le-Pont (Seine / Val-de-Marne), un ensemble HBM de la cité Égalité (quartier de Palissy), qui compte alors 385 logements. Les appartements y sont très petits (une chambre, une cuisine et des toilettes). Cette adresse est celle communiquée par les Renseignements généraux au directeur du camp d’Aincourt en octobre 1940, mais à Auschwitz, le 8 juillet 1942, Adrien Thomas donne une autre adresse : 52, rue Galliéni, toujours à Joinville-le-Pont (il est possible qu’à cause de son arrestation, l’administration municipale mise en place par Vichy à Joinville ait récupéré son appartement des HBM). 

Adrien Thomas est le fils de Jeanine, Berthe Poupet, 19 ans, née le 4 décembre 1888 à Paris 20è, perleuse, puis ménagère et d’Etienne Thomas, 25 ans, né le 21 avril 1883 au Creusot, serrurier, son époux. Ils sont domiciliés au 25, rue du Borrégo à Paris 20è au moment de sa naissance.
La famille va habiter ensuite à partir de 1912 au 8, passage Pierre Roubo dans le 11è. Son père est mobilisé sur ses lieux de travail à l’usine électrique d’Issy en 1915, puis à Saint-Ouen à l’usine Farcot jusqu’en 1919.
Adrien Thomas a une sœur cadette, Andrée, née en 1917.
En 1926, il habite avec ses parents (jusqu’à son mariage), au 8, passage Saint-Pierre Amelot à Paris 11è. Il est métreur-vérificateur en maçonnerie à Paris, une profession très qualifiée.
Le 21 octobre 1929, il est appelé au service militaire, et incorpore le 155è régiment d’artillerie portée. Jugé inapte au service actif à cause de sa petite taille (1,51 m – son père mesure 1m 52), il est classé « Service auxiliaire ». Un an après, il est renvoyé dans ses foyers selon la formule consacrée, avec un « certificat de bonne conduite » accordé.

Adrien Thomas épouse Marie, Louise Quetglas le 25 juillet 1931, à Paris 19è arrondissement, où elle est domiciliée au 6, rue de la Solidarité. Employée de bureau, elle est née le 6 juin 1913, à Paris 14è. Le couple a trois enfants (dont Jeanne, née en 1934).
Adrien Thomas, métreur-vérificateur de profession (listes électorales de 1935 à Joinville), est agent hospitalier à l’hôpital Tenon (Paris 20è) au moment de son arrestation.
Il est membre du Parti communiste et connu comme tel par les services de Police « communiste notoire » (selon le vocabulaire policier, extrait de sa fiche des RG).
A l’hôpital Tenon, il côtoie Maria Alonso, infirmière, Victor Houlou et Henri Messager, agents hospitaliers qui mourront tous trois dans les camps de concentration nazis (1).
A la veille de la déclaration de guerre, il est « rappelé à l’activité » le 24 août 1939, mobilisé au 407è RADCA, puis passe au 40è Groupe d’Artillerie Mobile. Il est démobilisé le 23 novembre avec les appelés des classes les plus anciennes (conscrit de la classe 1928, il a été ramené à la classe 1922, en tant que père de 3 enfants vivants).

Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.  L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Pendant l’Occupation, dès octobre 1940, le gouvernement de Pétain décide de porter un coup au Parti communiste clandestin et il organise la rafle des principaux responsables communistes d’avant-guerre de la région parisienne : avec l’accord de l’occupant, plus de 300 militants communistes et syndicalistes sont arrêtés. Regroupés au Stade Jean Bouin, ils  sont emmenés par cars au camp d’Aincourt à partir du 5 octobre 1940.
Lire dans le site : Le camp d’Aincourt.
Dans le cadre de cette rafle, le domicile d’Adrien Thomas est perquisitionné. Des tracts sont trouvés à son domicile pendant son arrestation.

Aincourt, liste du 5 octobre (C 331/7)

Sur la liste « des militants communistes « concentrés » le 5 octobre 1940» reçue par le commissaire de Police Andrey, directeur du camp d’Aincourt, figurent des mentions caractérisant les motifs de leur internement (C 331/7).
Pour Adrien Thomas on lit : «Tracts saisis à son domicile, 32 ans. Employé à l’hôpital Tenon à Paris. Militant communiste notoire. Agent actif de la propagande clandestine ».
Le 9 janvier depuis Aincourt, Adrien Thomas écrit – comme beaucoup d’internés – au Préfet de la Seine, Charles Paul Magny. Il y sollicite un secours pour son épouse. Les internés administratifs n’ont pas été jugés : le commandant du camp doit examiner de possibles libérations s’ils se sont « amendés ».Le 6 mars le commissaire Audrey, émet un avis défavorable sur le formulaire trimestriel de révision du dossier des internés concernant « l’éventualité d’une mesure de libération », considérant qu’Adrien Thomas demeure un « communiste certain ». Marie Thomas écrit le 7 mai 1941 au Préfet de Seine-et-Oise, Marc Langeron pour obtenir une autorisation de visite (le commissaire Audrey, les refuse systématiquement, ce qui suscitera même une pétition des épouses des internés de la ville de Fresnes).
Le 6 septembre 1941, Adrien Thomas est transféré au CIA de Rouillé (2) au sein d’un groupe de 150 internés.
Lire dans ce site :  le camp de Rouillé ‎

Le 9 février 1942, il fait partie d’un groupe de 52 internés communistes qui sont remis aux autorités allemandes à leur demande, et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Fronstalag 122), via Poitiers. 36 d’entre eux seront déportés à Auschwitz avec lui.
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Adrien Thomas est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Adrien Thomasest enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46 143» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Adrien Thomas est affecté au Block 23 à Auschwitz I. Le 23 juillet, il est admis au Block 20 de l’infirmerie d’Auschwitz.
Il en sort le 1er août, très affaibli. Lire les témoignages de deux médecins polonais déportés, affectés au Block 20. Le Block 20 à Auschwitz : « L’Hôpital des maladies contagieuses ».

Dessin de Franz Reisz, 1946

Adrien Thomas meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 415 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates et lieux de naissance et de décès, et avec l’indication « Katolisch » (catholique).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Sur le document traduit de l’allemand par la mission néerlandaise de Recherche établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Liste Auch 1/7 on lit comme cause du décès : « weakness of heart muscle » (faiblesse du muscle cardiaque). L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz».
Il convient de souligner en outre que cent quarante-huit «45 000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18, 19, 20 ou 21 septembre 1942, ainsi qu’un nombre important d’autres détenus du camp qui ont été enregistrés à ces mêmes dates. D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste sélection interne des inaptes au travail, opérée dans les blocks d’infirmerie.
Lire dans le site : Des causes de décès fictives.

Adrien Thomas est déclaré « Mort pour la France » et homologué « Déporté politique ».
Un arrêté ministériel du 26 juin 2000 paru au Journal Officiel du 1er septembre 2000 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès d’Adrien Thomas, en reprenant la date de décès de l’état civil d’Auschwitz.
Son nom est honoré sur une plaque dans l’enceinte de l’hôpital Tenon et sur le monument aux morts du cimetière de Joinville.

  • Note 1 : Maria Alonso, Infirmière de 3è classe, membre du réseau des Postiers où elle devient « Josée ». Déportée dans le convoi parti de Compiègne le 24 janvier 1943 pour Auschwitz (convoi dit des 31 000). Elle y meurt le 27 février 1943.
  • Deux autres agents de l’hôpital Tenon : Victor Houllou, mort en déportation et Henri Messager, déporté par le convoi parti de Compiègne le 24 janvier 1943 pour Sachsenhausen, mort le 24 avril 1945.
  • Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. /In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Sources  

  • Archives en ligne de Paris (élections, état civil – naissance et mariage – recensement 1926, 1931). Registres matricules militaires (père en Saône-et-Loire et fils à Paris Ml 4521).
  • Archives en ligne du Val de Marne(recensement 1936).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
    Fiche individuelle consultée en juin et octobre 1992.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • CSS d’Aincourt, Archives départementales des Yvelines, Montigny-le-Bretonneux.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
  • Archives de la police / BA 2374
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et
    le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Internet MemorialGenWeb.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en 2003, mise en ligne en 2012, complétée en 2015, 2019, 2020, 2022 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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