Matricule « 45 370 » à Auschwitz
Roger Chopin : né en 1923 à Plailly (Oise) ; domicilié à Vitry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne) ; mouleur en fonderie ; jeune communiste ; arrêté le 2 mars 1941 ; condamné à 6 mois de prison avec sursis ; écroué à Fresnes, relâché le 21 mai 1941 ; arrêté le 28 avril 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt.
Roger, Eugène, Désiré Chopin est né le 15 août 1923 à Plailly, situé dans l’arrondissement de Senlis (Oise).
Il habite au 15, voie Monsigny à Vitry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne) au moment de son arrestation. Il est le fils de Jeanne Désirée, Pauline Mesnil, née le 23 mai 1902 à Thiers (Oise), 21 ans, et de Marcel, Henri Chopin, né le 15 juillet 1900 à Plailly, 23 ans, son époux, cordonnier.
Ses parents se sont mariés à Plailly le 28 octobre 1922.
Il va à l’école à Plailly et la famille habite au 200, rue François Goyer. En 1926 son père est toujours cordonnier et sa mère ménagère. Son frère, Pierre, naît à Plailly en 1928.
Leur père décède le 6 février 1931 à Plailly.
Au recensement de 1931, le registre du recensement de Plailly mentionne la mère et ses deux fils à la même adresse.
Sa mère, se remarie le 7 mai 1932 avec Lucien Lasne, 32 ans, né en 1900 dans le Loiret, enquêteur à la ville de Vitry.
Roger Chopin a un demi-frère, Jacques, né en 1933. Sa mère est militante des Amis de l’Union soviétique depuis 1933. En 1936, elle est sans emploi. Ils habitent au 15, voie Monsigny à Vitry-sur-Seine.
Son beau-père est lui aussi un militant.
Le commissariat d’Ivry présente ainsi Lucien Lasne en 1941 : « Militant fervent. Beau-père du nommé Chopin Roger (objet perq. 19/10/41 pour Chopin) nous avons au cours perquisition acquis que Lasne qui est actuellement prisonnier en Allemagne était un ex-militant fervent (ci-joint sa photo au cours d’une manifestation communiste. cette manifestation était précédée par un énorme poing tendu ».
Roger Chopin est célibataire.
Il est mouleur à la Fonderie Technique de Vitry, où travaille également Daniel Germa (« 45 594 »).
Il habite au 15, voie Monsigny à Vitry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne) au moment de son arrestation.
Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent Ivry, Vitry et Villejuif les jours suivants. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Roger Chopin est un sportif passionné de vélo. Licencié amateur, il effectue sa première année de course en tant que débutant en 1941 au Vélo Club Arcueil-Cachan (club affilié à l’Union Vélocipédique de France), couleurs du club : mi rouge, mi noir. Lire dans le site : 63 déportés sportifs, joueurs, animateurs et dirigeants de clubs avant-guerre.
Fidèle à ses convictions, Roger Chopin est membre des Jeunesses communistes clandestines.
Il est arrêté par la police française le 2 mars 1941 après une distribution de tracts et un collage d’affichettes dans le quartier du plateau à Vitry. Il est condamné à 6 mois de prison avec sursis en raison de sa jeunesse (il n’a pas 18 ans). Ecroué à Fresnes, il est relaxé le 21 mai 1941.
Il poursuit ses activités clandestines, en distribuant des tracts appelant à la lutte contre l’Occupant (attestation de Marcel Mugnier, liquidateur national du Front national de lutte pour la Libération et l’indépendance de la France, 12 novembre 1954, Chevalier de la Légion d’honneur, Croix de guerre avec palme, rosette de la Résistance).
Le 28 avril 1942, il est arrêté à son domicile avec un groupe de 14 militants de Vitry (1), et interné à Compiègne le jour même. Il s’agit d’une rafle organisée par l’occupant dans tout le département de la Seine, en répression à l’attentat de Paris du 20 avril (2). Les autorités d’occupation ordonnent l’exécution d’otages. Cette rafle (387 militants), outre les jeunes de Vitry, touche un grand nombre de militants arrêtés une première fois par la police française pour activité communiste depuis l’interdiction du Parti communiste (26 septembre 1939) et libérés à l’expiration de leur peine.
Au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), Roger Chopin est affecté au bâtiment C1, avec le numéro matricule « 4038 ».
Roger Chopin écrit plusieurs lettres et cartes-lettres à sa mère (21 mai, 4, 11, 16 et 18 juin), remplies de courage et d’humour, demandant toujours des nouvelles des «petiots» ou « petits frères« , espérant aussi qu’elle aura reçu des nouvelles de son beau-père, fait prisonnier en 1940 (il est détenu au Stalag III B de Fürstenberg am Oder). »La prochaine lettre que tu écriras à papa, embrasses-le bien fort de ma part, mais ne lui dis pas où je suis. Ce n’est pas la peine de lui faire avoir le cafard« .
Compiègne, 4 juin 1942. « Chère maman. Je suis en bonne santé. Je pense que toi aussi, ainsi que les petits frères… Je ne peux pas mettre long, car la lettre n’est pas grande. Si tu peux envoyer des colis, çà améliorerait l’ordinaire…». Comme tous les internés dont nous avons lu les courriers, il détaille ses souhaits en vivres et vêtements ». Le 18 juin, il écrit : « si tu peux m’envoyer un petit mandat pour pouvoir toucher mon tabac, car je n’ai plus un sou. J’ai trouvé les cerises que tu m’as envoyée bien bonnes. Rien dans le colis n’était avarié. Je pense que dans le jardin tout pousse bien, car le jour où je rentrerais, tu auras affaire à un crevard ». Il souhaite aussi donner des nouvelles à son amie Jacqueline « Si quelquefois tu vois Jacqueline tu lui souhaiteras bien le bonjour de ma part« . « Ma prochaine carte, je l’écrirais à Pépère et à mémère Chopin ».
Les photostats de ces lettres et cartes-lettres datant de 1973 sont hélas devenus très peu lisibles au fil des années.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à la déportation de 14 vitriots, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire également dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Roger Chopin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Roger Chopin est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Il n’existe pas de document permettant de connaître son numéro matricule. Cependant, les similitudes entre les photos d’avant-guerre de Roger Chopin et la photo d’immatriculation correspondant au numéro «45370» (3), sont parlantes et permettent de confirmer le numéro que je lui avait attribué de manière hypothétique en tenant compte de l’ordre alphabétique de plusieurs listes composant ce convoi.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date de la mort de Roger Chopin à Auschwitz.
Le ministère des Anciens combattants a fixé de manière fictive son décès à la date du départ du convoi, le 6 juillet 1942.
Il est déclaré Mort pour la France le 16 janvier 1956.
Grâce à l’attestation de Roger Mugnier, il est homologué à titre posthume au grade d’Adjudant le 9 novembre 1948 (n° 5648) au titre du Front national.
La municipalité de Vitry remet aux cyclo-crossmen de Vitry une coupe à la mémoire de Roger Chopin le 11 juin 1953.
Selon Le Maitron, sa mère devint directrice technique du patronage municipal de Vitry, puis secrétaire administrative de France-URSS. Son mari, Lucien Lasne, était employé communal à Vitry-sur-Seine.
Le nom de Roger Chopin est honoré sur la plaque située place des Martyrs de la Déportation à Vitry, inaugurée à l’occasion du 50è anniversaire de la déportation : 6 juillet 1942, premier convoi de déportés résistants pour Auschwitz – 1175 déportés dont 1000 otages communistes – Parmi eux 14 Vitriots. Son nom est également gravé sur le monument situé place des Martyrs de la Déportation à Vitry : A la mémoire des Vitriotes et des Vitriots exterminés dans les camps nazis.
Il est également honoré sur le monument aux morts de Plailly.
- Note 1 : Ils sont tous arrêtés le 27 ou le 28 avril 1941 à partir des fiches établies en octobre 1940 par le commissariat de Vitry (lire l’article du blog Le rôle de la police française dans les arrestations des «45000» de Vitry) : il s’agit majoritairement d’ouvriers communistes ou militant aux «Amis de l’URSS», deux sont conseillers municipaux communistes : Bonnefoix Lucien, Bournigal Georges XX, Brahim Georges X, Bretonneau Louis XX, Brice XX, Calavia Félix XX, Crespo José XX, Darras Louis XX, Delbos Julien, Tarquis Gabriel X, Tavert Antoine XX, Talout Robert X, Tortel Maurice XX, Tremblay Edouard XX. Voir dans l’article précité la signification des croix X, XX, XX. et Fiches et registres de la police française dans la répression anticommuniste et la «politique des otages» : l’exemple d’Ivry et Vitry« ,
- Note 2 : Le 20 avril 1941, un soldat de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats dans un autobus parisien, et le 22 avril un militaire est blessé à Malakoff).
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- © Fiches de police du commissariat de police de Vitry. Musée de la Résistance Nationale (mes remerciements à Céline Heytens).
- Lettre de sa mère (8 mai 1973) à José Martin.
- Photographies confiés à José Martin, frère d’Angel Martin, par la mère de Roger Chopin (1973), et remis à Roger Arnould.
- Lettre annonçant la création de la Coupe cycliste : 8 juin 1953
- Documents : Cartes et attestations du Front National, Livret de famille.
- Certificat du camp de Compiègne.
- Lettres de Compiègne, quasi illisibles (mauvaise qualité du photostat.
- Avis de transfert daté du 16 juillet 42.
- Attestation signée le 12 novembre 1954 par Marcel Mugnier, liquidateur national du Front de Lutte pour la Libération et l’indépendance de la France, chevalier de la Légion d’honneur, Croix de guerre avec palme, rosette de la Résistance.
- Brochure : La Résistance à Vitry, sans date.
- De l’occupation à la Libération, témoignages et documents, brochure éditée par la Ville de Vitry, pour le 50ème anniversaire de la Libération, Paillard éd. 1994.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès destinés à l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- © Site Internet «Mémorial-GenWeb».
- © Fiches de police des commissariats d’Ivry et Vitry. Musée de la Résistance Nationale : mes remerciements à Céline Heytens.
- Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / collection André Montagne.
- © Archives en ligne de Vitry, recensement 1936.
Notice biographique rédigée en 2003, mise en ligne en 2008, complétée en 2015, 2019, 2020, 2022 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45 000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com