Ernest Pignet : né en 1897 à Bezenet (Allier) ; domicilié à Albert (Somme) ; ajusteur, coiffeur ; présumé communiste ; passeur ; arrêté en mai 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt
Ernest Pignet est né le 16 décembre 1897 à Bezenet (Allier). Il est le fils de Léonie Rigal, cabaretière, et de François Pignet, ouvrier mineur, son époux.
Il habite au 1, rue Lamarck à Albert (Somme) au moment de son arrestation.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite Carvin (Pas-de-Calais) au moment du
conseil de révision et travaille comme mécanicien ajusteur. Il sera par la suite mineur, puis coiffeur. Il mesure 1m 76, a les cheveux châtains, les yeux bleus, le front et le nez rectilignes, le visage ovale. Conscrit de la classe 1916, il aurait du être mobilisé par anticipation en avril 1915, comme tous les jeunes hommes de sa classe.
Mais « resté en pays envahi » il n’est pas recruté « cas de force majeure ». Carvin libéré après l’armistice, Ernest Pignet est classé « service armé » par la commission de réforme de Saint-Paul de Termoise les 15 et 16 mai 1919.
Mécanicien ajusteur, il est incorporé à compter du 22 mai 1919 au 2è groupe d’aviation.
Il est démobilisé le 7 septembre 1919 par le dépôt démobilisateur aéronautique de Lille, « certificat de bonne conduite accordé ». La Médaille commémorative de la grande guerre lui est attribuée.
Il « se retire » rue de Lille à Carvin.
Ernest Pignet épouse Flora Célina Mercier, ménagère, le 2 octobre 1920 à Carvin (Pas-de-Calais). Elle est née le 2 juillet 1897 à Carvin (elle est décédée le 1er mars 1972 à Carvin).
Le couple a eu une fille Marie-Louise, décédée quelques mois après sa naissance, et un garçon, René, François qui naît le 18 mai 1922 à Carvin, et qui sera déporté avec son père à Auschwitz. PIGNET RENE, FRANCOIS
Ernest Pignet exerce alors le métier d’ajusteur électricien. Le 31 mai 1921, il est possible qu’il travaille à la mine de Wingles (Pas-de-Calais) : en effet le jeune couple habite rue du Marais à Wingles, un alignement de maisons de mineurs.
Le 11 janvier 1923, ils habitent toujours Carvin, mais ont déménagé au 107, rue Basse (aujourd’hui rue des Fusillés).
On ignore les raisons de ses changements de métier et de localités : on sait seulement que le couple va déménager à plusieurs reprises pour être domicilié à Albert en 1942 au moment de l’arrestation du père et de son fils.
En 1929, Ernest Pignet est domicilié en région parisienne, au 63, rue Barthélémy Danjou à Billancourt, rue voisine des usines Renault.
En février 1932, le couple a déménagé à Beaune (Côte d’Or) au 1, place Carnot. Il y demeure au moins jusqu’en janvier 1936 et y exerce le métier de « patron coiffeur » (registre du recensement de 1936).
Puis la famille vient habiter Albert au 1, rue Lamarck, juste au dessus d’un salon de coiffure où Ernest Pignet exerce le métier de coiffeur (son fils y travaillera également). Il y avait toujours un salon de coiffure à cette adresse en 2024.
Ernest Pignet est présumé communiste par les services de police.
La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940 avec l’attaque allemande aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Le 20 mai, les Allemands de la 1ere Panzerdivision occupent Albert. L’ancien aérodrome d’Albert-Bray est alors utilisé par la Luftwaffe. Les conditions d’occupation sont très dures. Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…
Dès 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures sont opérationnelles à l’automne 1940. En novembre 1941 des tracts communistes sont diffusés dans les rues d’Albert et le 30 décembre 1941, un contremaître allemand est tué. En mai 1942, les communistes d’Albert fabriquent et diffusent clandestinement un journal : « L’Exploité albertin ». Six Albertins seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 : Cavigioli Émile, Dessein Florimond, Fletcher John, Pignet Ernest, Pignet René et Villa Gerolamo.
Madame Françoise Tomemo, sa nièce, a retrouvé aux archives de Caen dans les dossiers de son grand oncle et de son cousin, quatre témoignages indiquant qu’Ernest et René Pignet ont aidé des prisonniers de guerre à s’évader, notamment du camp d’Amiens (le Frontstalag 204).
Témoignage d’André Galopier, en date du 05/12/1948, domicilié à Souvigny (Allier) “Messieurs Ernest et René Pignet m’ont aidé à m’évader du Frontstalag où j’étais interné et m’ont adressé à leur cousine à Moulins pour passage en zone libre”.
Témoignage de Jean-Claude Nicollet, courrier du 28/06/1949, en provenance d’Arnas (Rhône) “Messieurs Ernest et René Pignet ont aidé mon évasion du camp où j’étais prisonnier dans la Somme et m’ont envoyé à leur cousine, Juliette Pignet, à Moulins, 2, place de l’Ancien Palais, pour passer en zone libre”.
Témoignage d’Arthur Affret : “Messieurs Ernest et René Pignet m’ont aidé à m’évader du Frontstalag où j’étais interné et m’ont adressé chez leur cousine Juliette Pignet où je suis resté quelques jours en attendant de me faire passer en zone libre. J’étais prisonnier au camp d’Amiens (Somme), Frontstalag 204, et me suis évadé en 1941” (courrier du 13/07/1949, Vicq Exemplet (Indre).
Le témoignage certifié de Marie Bidault, sœur de Georges Bidault, confirme ces témoignages, tout en mentionnant comme date d’arrestation le 18 mai 1942…
“Je soussignée Marie Bidault, adjointe au Maire de Moulins, sœur de Georges Bidault, Président du CNR, a connu dans la clandestinité l’activité de Messieurs Ernest et René Pignet, domiciliés 1, rue Lamarck à Albert (Somme), qui ont fait évader de nombreux (manque le mot “prisonniers”) de guerre qu’ils envoyaient à Moulins, où nous leur faisions passer la ligne de démarcation. Messieurs Ernest et René Pignet ont été arrêtés le 18 Mai 1942 et déportés à Auschwitz d’où ils ne sont pas revenus (Moulins – Allier -, le 20 Novembre 1948, signé Marie Bidault).
Ernest Pignet est arrêté avec son fils René Pignet, le 20 mai 1942 (date sur sa fiche au DVACC) « le jour de ses vingt ans » disait-on dans la famille de sa nièce. Leur domicile est perquisitionné.
La famille pense qu’il s’agit d’une dénonciation où il est fait mention de l’usage d’une grenade (et effectivement, la mention « dénonciation » est portée sur sa fiche au DAVCC).
Le 23 mai 1942, le père et le fils sont internés sans jugement au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122, où ils reçoivent les numéros matricules « 5819″ pour Ernest et « 5820 » pour son fils René (Fletcher Jean, d’Albert arrêté à la même période reçoit le numéro matricule « 5821 »).
Depuis ce camp, René Pignet et son fils vont être déportés à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Ernest Pignet est déporté avec son fils à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro «45 988 ?» inscrit dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Il est certes plausible mais pas confirmé Cette reconstitution n’a pu aboutir en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. La photo d’immatriculation à Auschwitz de ce possible numéro n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Ernest Pignet meurt à Birkenau. Son acte de décès (ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre N°116/23/16.261) porte la date du 15 décembre 1942, mais il s’agit sans doute d’une date fictive, apposée afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz).
Car les témoignages de plusieurs survivants ne confirment pas celle-ci. Pour André Faudry, qui écrit à Flora Pignet le 12 juin 1945, Ernest Pignet est mort du typhus au Block 7 fin août 1942. Pour Henri Peiffer, qui écrit à Flora Pignet le 12 mars 1946, son mari est mort des suites de dysenterie vers la fin septembre 1942 et que son fils, très affaibli des suites d’une bronchopneumonie, était décédé fin octobre, début novembre 1942.
Georges Hanse, qui a partagé la même chambrée qu’Ernest et René Pignet à Compiègne, écrit à Flora Pignet le 4 mars 1946 qu’il rencontrait quelquefois Ernest Pignet à Auschwitz qui lui parlait de son fils entré à l’infirmerie en octobre 1942 et n’en est pas ressorti. Pour Marius Zanzi pour qui Ernest Pignet était son chef de chantier, il est mort du typhus et a été gazé au début 1943.
En tout état de cause, il est certain qu’il était à Birkenau avec son fils : malade, il est entré au block 7 où les SS entassent les prisonniers gravement malades du camp. Seul fait certain : sa mort survient avant mars 1943, puisqu’il ne fait pas partie des 17 survivants de Birkenau qui réintègrent le camp principal à cette date.
Ernest Pignet est homologué « Déporté politique« .
La mention « Mort pour la France » est portée sur son acte de décès (24 mars 1948).
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (JO du 14-12-1997).
Ernest Pignet est homologué (GR 16 P 477832) au titre de la Résistance intérieure française (RIF).
Sources
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en juillet 1992.
- M. Aubert, Maire adjoint délégué d’Albert (lettre du 14 juin 1991)
- Archives des ACVG (Fichier national).
- Acte de décès.
- M. Lalou, ADIRP d’Amiens (lettre du 26 mars 1991).
- Courriels de Madame Françoise Tomeno, sa petite nièce (20 au 29 janvier 2006). Photos famille, collection Madame Françoise Tomeno.
- © Sitewww.mortsdanslescamps.com
- Registres matricules militaires.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2007, complétée en 2011, 2018 et 2021. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Merci pour ce document très intéressant. Je suis Hélène Pignet,née un…18 mai…eh oui,un drôle d » heritage ».Mon père Claude avait pour cousin René François Pignet né et décédé le 18 mai…j ai eu le bonheur de connaître Flora Pignet lorsque j étais très jeune..
Je trouve votre message ce soir 13 février, Hélène!
Je suis retournée sur le site après avoir reçu votre message.
À très bientôt, nous avons beaucoup à échanger.
Bien à vous,
Françoise Tomeno, petite nièce d’Ernest Pignet