Matricule « 45 207 » à Auschwitz     Rescapé

Alexandre Beaudoin à Auschwitz, 8 juillet 1942
Alexandre Beaudouin : né en 1907 à Port-Brillet (Mayenne) ; domicilié à Mondeville (Calvados) ; arrêté comme otage communiste le 21 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; rescapé ; décédé le 25 février 1963.

Alexandre (Eugène) Beaudouin est né le 10 septembre 1907 à Port-Brillet (Mayenne).
Il habite 9, rue du Nouveau Monde à Mondeville (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Adélaïde, Joséphine, Marie Foucher, 27 ans et de Léon, Joseph, Paul Beaudoin, 29 ans, forgeron, son époux.
Il travaille comme docker au port de Caen chez Savare (témoignage de Félix Bouillon) et habite au 44, rue Guilbert, une rue perpendiculaire aux quais du port.

Il épouse Marguerite Coïc, le 22 septembre 1926 à Caen.
Elle est ouvrière, née le 23 septembre 1904 à Lannion (Côtes du Nord / Côtes d’Armor) et habite non loin du domicile d’Alexandre Beaudoin, cours Cafarelli à Caen, le long de l’Orne.
Le couple a deux filles, Solange, Léone et Christiane, Marguerite, nées les 31 janvier 1927 et 22 février 1928 à Caen. Eugène Beaudoin travaille désormais comme terrassier à Houlgate.
En 1935, il est renversé par une voiture qui prend la fuite, mais il n’est que légèrement blessé (Ouest-éclair du 11 août 1935).
En 1936, il est terrassier au nouveau bassin à Mondeville.
Lors du recensement de 1936, il habite avec sa femme et ses deux filles au 9, rue du Nouveau Monde à Mondeville et il est indiqué qu’il exerce la profession de manœuvre. Son épouse est ouvrière à l’usine de Pyrotechnique militaire de Mondeville (armement), dite la « Pyro ».
Il semble avoir été membre du Parti communiste, mais il avait cessé toute activité militante en 1939 selon ses dires (mais il continue à fréquenter ses anciens camarades).

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. En août 8 divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

En juillet 1941, Alexandre Beaudoin purge une peine de 3 mois de prison pour « vol au préjudice de l’armée allemande« .
A peine libéré, il est de nouveau arrêté le 21 octobre de la même année. « C’est le 21 octobre 1941 que j’ai été arrêté par la Feldgendarmerie. A cette époque, je travaillais à Dives pour l’entreprise Mercier ; à la cessation du travail, j’ai été ramené à Caen par le camion de l’entreprise… Je suis allé chez moi, où ma femme m’a dit qu’elle avait reçu la visite dans l’après-midi de Feldgendarmes qui lui avaient dit de me présenter à la Feldgendarmerie dès que possible, mais avant le samedi suivant… Je me suis présenté le jour même à la Feldgendarmerie. Là, un Feldgendarme, après m’avoir demandé mon identité, et consulté son fichier, m’a dit que j’étais communiste, et qu’on allait m’envoyer en Allemagne. On m’a conduit aussitôt dans un baraquement situé en face la gare, où j’ai retrouvé une quinzaine de Français comme moi. Nous étions gardés par des Feldgendarmes, et le 22 octobre au matin, nous avons été conduits à Compiègne… C’est parce que j’étais considéré comme communiste que j’ai été arrêté ; d’ailleurs on me l’a dit à la Feldgendarmerie. A cette époque là, je n’étais plus militant communiste, mais je continuais à fréquenter mes anciens camarades du Parti. A Mondeville, on me considérait comme communiste ».

Considéré comme militant communiste par la police française, Alexandre Beaudouin est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu (le Frontstalag 122) à Compiègne, 10 jours plus tard. Ce camp est administré par la Wehrmacht et est devenu depuis le 27 juin 1941, un camp de détention des ennemis actifs du Reich. Royallieu est alors le seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande.
Le 24 octobre 1941, la Feldkommandantur 723 de Caen inscrit le nom d’Alexandre Beaudoin sur une liste d’otages détenus dans le Calvados.

Liste d’otages à fusiller. Beaudoin est le n° 9

Le 20 janvier 1942, la Feldkommandantur 723 demande des vérifications pour onze otages communistes du Calvados internés à Compiègne afin de procéder à leur exécution : le nom d’Alexandre Beaudoin est le neuvième.
Sur cette même liste figurent les noms de quatre autres internés du Calvados, déportés avec lui à Auschwitz : Jean BourgetCharles Lemay, Roger Goguet, Pierre Lelogeais (les noms des autres internés ont été barrés par respect de confidentialité).
Il se souvenait d’être passé devant une commission allemande à Compiègne en mai 1942.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La
politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) 
et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Eugène Beaudoin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.  

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

 

Alexandre Beaudouin est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 207 ».

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

En application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus français des KL la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il reçoit le 4 juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure –  et de recevoir des colis contenant des aliments  (lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des français survivants.
Lire l’article du site « les 45000 au block 11.

Le 12 décembre 1943, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".

Le 7 septembre 1944 Eugène Beaudoin est transféré depuis Auschwitz au camp de Gross Rosen (il y reçoit le matricule 40.972).
Lire le témoignage de Georges Dudal : D’Auschwitz à Gross-Rosen, Herzbruck, Dachau puis la France.
Il y est interné avec dix autres « 45 000 » : BEAUDOUIN Eugène, Alexandre, BRUMM Georges, Charles, DUDAL Georges, GAILLARD
Robert
, GAUTHIER Roger, HOUARD Germain, GILLOT Gérard, Lucien, EUDIER Louis, GORGUE Henri, BRUNET Louis, Fernand Devaux,  DUCASTEL Lucien.

Le 10 février 1945 il est transféré à Hersbrück, kommando de Flossenburg (il y arrive le 15 février et reçoit le n° matricule 84 341), qu’il quitte à pied pour Dachau (n° matricule 160 247).
« Hersbruck est évacué le 8 avril 1945 à pied en 5 colonnes, vers le camp de Dachau. Sur les 5 colonnes, certaines ont été libérées en cours de route par les Américains. Il est de ceux qui parviennent à Dachau ils ont été libérés le 29 avril avec l’ensemble du camp par les Américains». (in Association des Déportés et familles des disparus du camp de concentration de Flossenbürg et Kommandos).

Le 8 avril 1945 il est transféré à Dachau d’où il est libéré le 24 ou le 29 avril 1945. 

Il rentre en France via Strasbourg, le 16 mai 1945.
Lors de sa demande pour l’obtention de la carte officielle de Déporté politique, il se recommande de Maurice Mauduit ou Maudouit concernant un camarade de combat pouvant justifier de son activité avant son arrestation et de deux autres rescapés du Calvados, Charles Lelandais et Marcel Cimier pour le camp dAuschwitz.

Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué en 1955.
Alexandre Beaudouin est mort à Mondeville le 25 février 1963. Son épouse y décède le 18 septembre 1966.

André Montagne, un des huit rescapés caennais (sur 80) a évoqué ceux de ses camarades déportés caennais dont il se souvenait.
Pour Eugène Beaudoin, il écrivait en 2002 «  il avait été docker au port de Caen. Il habitait Mondeville. C’était le genre d’homme qu’on n’oublie pas : « grande gueule » et cœur d’or. Une force de la nature, pétri de bonté. Je ne l’ai revu malheureusement qu’une seule fois à Caen, après la guerre, en 1950, peut-être. Il se serait mis en quatre pour aider, pour faire plaisir. Je ne l’oublierai pas. Il est décédé le 25 février 1963, âgé de 56 ans ».

  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Notes de Roger Arnould, bibliothécaire à la FNDIRP à partir du témoignage de Robert Gaillard(janvier 1984).
  • ACVG novembre 1993.
  • Raymond Montégut :  » Arbeit macht frei « .
  • Liste du CDJC XL III – 79.
  • « De Caen à Auschwitz » ouvrage collectif réalisé par les professeurs et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, du lycée Malherbe de Caen et de l’association « Mémoire Vive », page 7.
  • Recherches généalogiques (état civil, recensement) effectuées par Pierre Cardon

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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