Matricule « 46 068 » à Auschwitz
Jean Romanet : né en 1905 à Paris 4è ; domicilié à Villiers-sur-Marne (Seine-et-Oise / Val-de-Marne) ; serrurier, chauffeur ; communiste, antifasciste ; volontaire des Brigades internationales en Espagne (blessé) ; soldat blessé le 11 juin 1940 ; arrêté le 30 décembre 1940 ; interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 11 février 1943.
Jean Romanet naît le 23 février 1905 à Paris 4è. Au moment de son arrestation, il habite au 11, avenue des Luats à Villiers-sur-Marne (Seine-et-Oise / Val-de-Marne), chez Eugénie Pelletier, veuve d’un militant décédé avant-guerre, ancien secrétaire de la cellule du quartier des Luats, avec laquelle il s’est mis en ménage.
Il est le fils de Marie-Louise Duprat, 27 ans, sans profession et de Léonard Romanet, 36 ans, facteur des Postes, son époux. ses parents habitent rue de Jouy à Paris 4è.
Conscrit de la classe 1925, il effectue son service militaire au 25è régiment du Train (transport automobile).
Jean Romanet est serrurier de formation.
Il habite au 4, rue Sauval à Paris 1er (ancienne rue des vieilles étuves), près du Louvre.
Membre du Parti communiste, militant antifasciste convaincu, Jean Romanet décide de partir combattre en Espagne pour défendre le Front populaire élu contre la rébellion des troupes du général Franco, soutenues militairement par Hitler et Mussolini.
Jean Romanet franchit seul la frontière le 29 novembre 1936.
Il est alors affecté à Villanueva de la Jarra, le centre d’instruction de la 14è brigade Internationale, la « Marseillaise », groupant les volontaires français et belges.
Jean Romanet participe aux combats et monte au Front avec les camions de la Centrale Sanitaire Internationale (C.S.I) (1) dont il est devenu l’un des chauffeurs. Celle-ci achemine la solidarité médicale internationale aux Républicains.
A la bataille du Jarama (6 au 27 février 1937) au cours de laquelle les Républicains réussirent à garder le contrôle de la route de Madrid à Valence, il est blessé le 20 février 1937, comme le sera également Pierre Rebière.
Il est hospitalisé en Espagne pendant près de deux ans.
Après la défaite des Républicains, il rentre en France : il est alors hébergé au 1, rue du chemin de fer à Villiers-sur-Marne, chez Eugène Baudoin, (celui-ci est peintre, né en 1910, il y vit avec son épouse Antoinette et leur petite fille Yolande).
Sans emploi, Jean Romanet survit grâce à la solidarité financière du Comité d’aide aux Anciens combattants d’Espagne.
Lors de la déclaration de guerre, Jean Romanet est mobilisé le 3 septembre 1939 à la 772è compagnie du Dépôt de guerre du train n° 19 (ou 19è Escadron du Train).
Au cours des combats de Sainte-Ménéhould, point de rassemblement de plusieurs colonnes françaises arrivées dans cette petite ville de 3000 habitants et qui se retrouvent sur la seule route (Verrières-Passavant-Commercy) sa compagnie se retrouve sous le feu des avions et des chars allemands. Au lieu-dit Verte-Voyes, il est blessé à la colonne vertébrale le 11 juin 1940.
Il est évacué avec sa compagnie (la ville et l’hôpital sont pris le lendemain).
Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent Ivry, Vitry et Villejuif les jours suivants. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Son régiment est dissous le 1er août 1940 après avoir échappé aux colonnes allemandes.
Après sa démobilisation, il habite au 11, avenue des Luats à Villiers-sur-Marne, chez Eugénie Pelletier, veuve d’un militant décédé avant-guerre, ancien secrétaire de la cellule du quartier des Luats, avec laquelle il s’est mis en ménage.
Compte tenu de son expérience de chauffeur, Jean Romanet s’est présenté aux autorités comme chauffeur au chômage.
Mais la Police surveille les anciens militants communistes de la ville. C’est ainsi qu’il est aussi surveillé, vivant avec une militante connue, même s’il ne semble pas que son passé de brigadiste ait été suspecté (les anciens des Brigades Internationales de la Seine ont été arrêtés un an après).
Devant la recrudescence de la propagande communiste dans le département, tous les anciens militants de la circonscription sont convoqués selon les consignes du nouveau préfet de Seine-et-Oise Marc Chevalier.
Eugénie Pelletier et Jean Romanet sont convoqués le 7 novembre 1940 au commissariat de Chennevières (nouvelle circonscription) : ils y sont menacés d’arrestation en cas de récidive d’une diffusion de matériel communiste sur le territoire de leur commune. Jean Romanet refuse de signer le PV. Le 12, il figure sur une liste de militants qui devront être arrêtés et internés au camp d’Aincourt en vertu de l’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940 (2). Le 24 novembre, il est assigné à résidence.
Le 30 décembre 1940 il est arrêté par des policiers du commissariat de Chennevières à la suite d’une nouvelle distribution de tracts dans son quartier (et non le 17 janvier 1941, comme indiqué sur le site de l’AJPN. Cette date correspond en effet à la date tardive d’envoi par la préfecture à la direction du camp d’Aincourt, où il est déjà interné depuis 17 jours).
Le 31 décembre 1940, Jean Romanet est interné administrativement – sans jugement – au camp d’Aincourt, en Seine-et-Oise. Lire dans le site : Le camp d’Aincourt.
Le 7 janvier, sa compagne fait une demande de libération auprès du Préfet Marc Chevalier, arguant de sa conduite exemplaire et reconnue pendant la guerre (il a été proposé pour la Croix de guerre avec citation en 1940 pour s’être porté au secours d’un officier, juste avant d’être lui-même blessé). Jean Romanet écrit de son côté le 14 janvier au commandant du camp, représentant son grand respect de la légalité et ses actes de service plus qu’honorables pendant la guerre.
Le commissaire Andrey, commandant le camp d’Aincourt, dont le zèle anticommuniste est bien connu, transmet le 21 juin 1941 au Préfet de Seine-et-Oise plusieurs rapports défavorables concernant notamment Jean Romanet et André Mortureux. Le courrier des détenus étant systématiquement lu et censuré, Andrey note que les lettres de Jean Romanet aux villierins sont significatives de ses opinions.
Le 27 juin 1941 Jean Romanet et 87 autres internés d’Aincourt sont transférés au camp de Royallieu de Compiègne, devenu camp allemand, le Frontstalag 122 (Mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin) via l’hôtel Matignon. Ils ont tous été désignés par le directeur du camp avec l’aval du Préfet de Seine-et-Oise.
Ils rejoignent à Compiègne les centaines de militants arrêtés dans le cadre de la grande rafle d’« Aktion Théodéric ».
A partir du le 22 juin 1941 en effet, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union
soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici l’Hôtel Matignon), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht destiné à l’internement des «ennemis actifs du Reich». Il devient ce jour-là le seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande. Les y rejoignent les 88 internés d’Aincourt, dont Jean Romanet.
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Sa compagne effectue des démarches auprès de la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés afin d’obtenir des nouvelles de son compagnon (mention au DAVCC d’un « dossier Brinon » : Fernand Brinon – dit marquis de Brinon – représente le gouvernement français auprès du Haut-Commandement allemand dans le Paris de l’Occupation).
Depuis le camp de Compiègne, Jean Romanet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Jean Romanet est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46 068» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Jean Romanet, serrurier de métier est ramené à Auschwitz 1, au Kommando Schlosserei, selon le témoignage de Raymond Montégut qui le nomme Romanès et cite avec lui Walter, Winger et Boyer « qui traînèrent jusqu’aux premiers froids leur squelettiques carcasses« .
Jean Romanet meurt à Auschwitz-Birkenau le 11 février 1943 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Sterbebücher von Auschwitz, Le Livre des morts d’Auschwitz, Tome 3 page 1013 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec il est mentionné avec sa date de naissance et de décès, et lieu de domicile et avec l’indication « glaubenslos » (athée).
Un arrêté ministériel du 13 septembre 2013 paru au Journal Officiel du 11 décembre 2013 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes de naissance et jugement déclaratif de décès et reprend la date de décès portée sur le certificat de l’état civil d’Auschwitz.
Son nom est honoré sur le monument aux morts de Villiers-sur-Marne.
- Note 1 : Dès l’insurrection des généraux contre la République espagnole en juillet 1936, des actions de soutien naissent spontanément dans le monde. La Centrale sanitaire internationale (CSI) est créée les 16 et 17 janvier 1937. Son siège parisien est au 38 rue de Châteaudun. à Paris
- Note 2 : les 19 et 20 octobre 1940, les Préfets de Seine et de Seine-et-Oise ont en effet publié un arrêté qui stipule que « toute découverte de tracts sur le territoire d’une commune entraînera l’internement immédiat d’un ou plusieurs militants communistes résidant sur son territoire »)
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- BDIC / Archives du Komintern, Fonds des Brigades Internationales (RGASPI), Mfm 880/9 – Dossiers des volontaires français. Bobine Mfm 880/31 et Mfm 880/48. 545.6.1375 à 545.6.1385 (Rif à Rous)
- Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
- Archives de la police / BA 2374
- Liste des 88 internés d Aincourt (tous de l’ancien département de Seine-et-Oise) remis le 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation
- Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- « Arbeit macht Frei »,Raymond Montégut, Éditions du Paroi, juin 1973. Page 232.
- Photo de l’ambulance de la CSI. Capture d’écran in ©Ciné Archives.
- Le 11 rue des Luats © Google Street view.
- © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
- Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon
- Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / © collection André Montagne.
Notice biographique rédigée en 2003, mise en ligne en 2008, complétée en 2015, 2019, 2020, 2022 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45 000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com