François Daoudal : né en 1922 à Guérande (Loire-Atlantique) ; domicilié à Villejuif (Seine/Val-de-Marne) ; ouvrier du bâtiment, peintre ; jeune communiste ; arrêté le 17 septembre 1940, condamné à 8 mois de prison (Santé); interné aux camps d’Aincourt, de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 15 décembre 1942
François Daoudal est né le 16 février 1922 à Guérande (Loire-Atlantique).
Il habite au 27, rue Paul Bert à Villejuif (Seine/Val-de-Marne) au moment de son arrestation (1).
Il est le fils de Louise Le Moal, née en 1896, qui sera employée communale aux écoles de Villejuif et de Jean Daoudal, né en 1895 dans le Finistère, employé des chemins de fer, terrassier, son époux.
François Daoudal est célibataire. Il est membre d’une fratrie de six enfants (Odette, née en 1920, Denise, née en 1924, Robert, né en 1926, Marcel né en 1930, et Jeanine née en 1935). La famille vient s’installer en région parisienne, à Villejuif, vers 1923.
Marcelino Gaton et Carlos Escoda (2) ont raconté son enfance et sa jeunesse à Villejuif : « François Daoudal fréquenta l’école annexe de garçons, rue d’Amont (rue René Hamon), avant de pratiquer divers métiers liés au bâtiment. En dernier lieu, il était peintre en bâtiment, employé chez Georges Labarre (…) ancien élu en 1925, sur la liste du Bloc ouvrier et paysan conduite par Xavier Guillemin) dont l’entreprise se situait à l’angle des rues du Moutier (rue Georges-Le Bigot) et Paul-Bert. Dès son départ du patronage, il entra dans les Jeunesses communistes, le cercle de Villejuif comprenant entre autres René Plaud, Eugène Candon (responsable des JC sur l’ensemble de Villejuif), Francis Née, Jean Richard, Hernigout : presque tous allaient connaître la déportation ou tués (être fusillés). Voilà François Daoudal secrétaire du cercle. Lorsque la guerre éclata en 1939, le cercle se dispersa. François accompagna sa mère dans la Nièvre, où séjournaient plus d’une centaine d’enfants évacués des écoles de Villejuif : sa disponibilité et son esprit d’initiative lors de l’exode qui entraîna ces enfants sur les routes de la Nièvre et du Cher (juin-juillet 1939) sont mentionnés dans le rapport que le responsable, Pierre Lavigne, fit parvenir à l’inspecteur d’académie dès son retour à Villejuif » (2).
En 1936, la famille Daoudal habite au n° 9, rue du docteur Quéry à Villejuif. Son père est terrassier et sa mère est employée municipale aux écoles de Villejuif. Odette, Denise, Robert, Marcel et Jeanine habitent avec François et leurs parents.
Au n° 11 habitent le couple Le Breton, qui héberge deux de leurs frères et neveux, Guillaume et Christophe Le Meur (Christophe Le Meur sera déporté dans le même convoi que François Daoudal) et un certain nombre de « pays » finistériens, tous terrassiers, dont l’un d’eux partira combattre en Espagne avec Christophe Le Meur.
Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
« Dès lors les membres du cercle agirent dans la clandestinité, François Daoudal faisant équipe avec Francis Née (qui habitait Vitry, à la limite de Villejuif, mais militait à Villejuif) et Paul Guillaume, dit Paulo (confection et distribution de tracts). Tous les trois furent arrêtés, rue Jean-Baptiste-Baudin, lors d’une distribution de tracts, le 17 septembre 1940, par la police française, et eurent affaire à Gimelli, un brigadier de police du commissariat de Gentilly, très connu dès avant la guerre par sa violence à l’égard des militants et des élus communistes de sa circonscription. François Daoudal passa en jugement : à noter que ses deux avocats, Hadje et Picard, furent fusillés par la suite. Sa famille, qui allait pourtant chaque dimanche lui apporter du linge, ne put jamais plus le revoir » (2).
François Daoudal est arrêté à Villejuif par la police française pendant une distribution de tracts communistes dans la nuit du 16 au 17 septembre 1940, en même temps que Francis Née de Vitry.
Inculpé d’infraction au décret du 26 novembre 1939, considéré comme « meneur communiste actif« , François Daoudal est condamné par la 15è chambre correctionnelle à 8 mois de prison. Il est incarcéré à la Santé.
« sa mère, Louise Daoudal, employée municipale, eut à subir les vexations de Legros, maire nommé par le préfet de police de Vichy » in Mémoire pour demain p. 39.
A l’expiration normale de sa peine, il n’est pas libéré et il est interné sur décision du Préfet, le 19 mars 1941 au camp de «séjour surveillé» d’Aincourt, dans le département de la Seine-et-Oise (aujourd’hui dans le Val d’Oise), près de Mantes, ouvert spécialement, en octobre 1940, pour y enfermer les communistes arrêtés dans la région parisienne par le gouvernement de Vichy.
Lire dans ce site : Le camp d’Aincourt
Georges Dudal (3) a évoqué cette période : «François était mon ami, mon frère de souffrance. Nous étions du même âge et avions suivi le même parcours. Pendant un an nous couchions l’un à côté de l’autre à Aincourt, dans cette « DJ », dortoir des jeunes, où nous étions une soixantaine de moins de vingt ans. Nombre de nos camarades sont morts fusillés, déportés. François était un gai luron, toujours souriant. Nous l’avions nommé «le mec à maman» pour le petit texte qu’il nous disait souvent le soir après le couvre feu. Il est parti pour Rouillé, moi pour Voves, et nous nous sommes retrouvés à Compiègne, avant notre départ pour Auschwitz» (2).
Le 6 septembre 1941, François Daoudal est transféré au camp de Rouillé pour l’ouverture de celui-ci, au sein d’un groupe de 150 internés. Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne (106), c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres militants viennent de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé).
Lire dans ce site : le camp de Rouillé
Le 14 octobre, le directeur du camp demande au préfet de la Seine les dossiers des internés arrivés à Rouillé un mois auparavant, dont celui de François Daoudal. Ces dossiers lui sont envoyés par les Renseignements généraux le 28 octobre.
Pour François Daoudal, les renseignement généraux ont repris mot à mot les précédents attendus : « meneur communiste très actif – condamné le 8-2-41 p 8 mois de prison pour infraction au décret du 26.9.1939″.
François Daoudal est remis aux autorités allemandes à leur demande le 22 mai 1942. Celles-ci l’internent au « Frontstalag 122″, camp allemand de Royallieu à Compiègne, en vue de sa déportation comme otage.
Depuis Compiègne, il envoie une dernière lettre à sa mère, frères et sœurs, dans laquelle il laisse très clairement entendre qu’il compte bien s’évader avant le passage de la frontière. Compte tenu du contenu de cette lettre, si elle a bien été écrite à Compiègne, elle a été jetée depuis le wagon qui les emporte vers Auschwitz le 6 juillet. Elle n’aurait pas franchi la censure du camp. Elle a été tapée à la machine en 1948 par la Mairie de Villejuif, copie certifiée conforme.
Transcription
« Compiègne le 5.7.1942. Ma petite maman chérie, frères et sœurs
J’espère que tu recevras ce petit mot et que tu seras très heureuse d’avoir de mes nouvelles. Je suis en excellent santé, ainsi qu’un bon moral. J’espère que chez nous c’est de même. A l’heure où je t’écris je suis dans une baraque spéciale pour être déporté demain matin en Allemagne; mais tu sais il ne faut pas avoir peur parce que je pars en déportation car j’espère ne pas passer la frontière. Si par malheur je la passe j’aurai fait mon possible pour ne pas la passer. Enfin ma petite maman, ils n’ont jamais cassé trois pattes à un canard alors je suis certain que très bientôt je serais parmi vous. Les autorités allemandes doivent t’envoyer un colis car il fallait avoir que 2 chemises, 2 caleçons et les effets de nettoyage alors tu dois recevoir ce que j’avais de trop. Tu as du aussi recevoir le gros colis que tu m’avais envoyé, il a été refusé car il était trop lourd, aussi il nous fallait presque rien de vivres. Le principal c’est qu’il t’arrive entièrement et qu’il n’y a eu rien de volé. Ma petite maman je vais partir pour aller en Allemagne avec un bon moral. Je sais que tu seras très malheureuse quand tu l’apprendras ce n’est rien, bientôt je serais de retour. Ecoutes moi bien : aussitôt que tu recevras une lettre de moi réponds aussitôt et je te dirais si j’ai droit au colis et si j’ai le droit, envoies-le aussitôt. Francis part aussi, alors préviens sa mère. Embrasse bien fort Marcel et Odette et je leur souhaite bonne chance pour leur ménage. Embrasse aussi pour moi la petite Jacqueline et tu lui diras que je regrette de partir sans sa photo.
Je finis ce petit mot en vous embrassant de tout mon cœur. François, ton fils qui t’adore et à bientôt ».
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, François Daoudal est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 . Le numéro «45 422 ?» figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz. De plus, la photo du déporté portant ce numéro matricule prise à Auschwitz lors de la séance d’immatriculation le 8 juillet 1942, n’a pas été retrouvée, aucune comparaison avec sa photo d’avant-guerre n’est possible.
François Daoudal est affecté à Birkenau à l’assèchement des marais (Kommando Terrasse).
Il meurt le 15 décembre 1942 selon les registres de l’état civil de la ville d’Auschwitz.
Georges Dudal pour qui c’était « vers Noël 42 », parle de cette mort dans la première lettre qu’il écrit à ses parents et camarades le 8 mai 1945 depuis le camp de Dachau libéré : « où est Daoudal, qui est mort fou en criant : Maman, ma pauvre maman« .
Bien des années après, il l’a réécrit.
« Marqués comme des bêtes partant vers l’abattoir, tatoués sur le bras gauche enlevant toute personnalité, nous n’étions plus que des numéros. Sur 600 restés à Birkenau dont faisait partie François Daoudal le 8 juillet 1942, 20 seulement restaient vivants le 17 mars 1943.
A Birkenau, nous étions restés ensemble. Il avait terriblement maigri, aux alentours de 35 kilos. Après une crise de folie où il implorait sa pauvre maman, le chef de Block l’a tué à coups de bâton. François était un type formidable, nous le regrettons, mais nous ne sommes plus que trois à l’avoir connu, Fernand Devaux, Mario Ripa et moi Dudal Georges. Jojo 45494 » (3)
François Daoudal est homologué « Déporté politique » : la demande d’homologation comme Déporté résistant a été refusée par 2 fois (décembre 1956 et février 1960), malgré la nature des tracts et l’attestation du Front National « le Parti communiste n’étant pas retenu, en tant que tel, comme formation résistante » (document au dossier).
Sylvette Le Moal, cousine germaine de François Daoudal écrit (23 mars 2010) à propos d’une de ses sœurs qui lui a transmis de précieux documents « Odette était très proche de François, ils avaient 2 ans d’écart et avaient pour beaucoup participé à l’éducation des plus jeunes pendant que ma tante travaillait. Elle a actuellement 90 ans et est veuve depuis peu. C’est par elle que j’ai eu ces documents. Je lui avais demandé par écrit parce que je n’avais jamais osé en parler de vive voix. Je savais qu’aborder le sujet de la déportation lui faisait toujours venir les larmes aux yeux. Elle a attendu son frère longtemps avant que ses camarades d’infortune l’informent de sa mort. Elle n’a jamais pu regarder un film sur la déportation parce qu’elle le cherche parmi les pauvres figures des morts vivants des camps ! » (4).
Le nom de François Daoudal est inscrit sur le monument aux morts dans le Parc Pablo-Neruda devant la de la mairie de Villejuif, juste au dessus de celui de son camarade de déportation, André Darondeau.
Une cellule du PCF, la cellule « Daoudal-Semard » honorait son nom en 2000 (in Mémoire pour demain page 38). Elle rayonnait sur une partie des Monts-Cuchets, à l’ouest du boulevard de Chastenet-de-Géry.
Lire également dans le site l’article : Les fusillés, internés et déportés de Villejuif
Une plaque honorant son nom a été apposée au 27, rue Paul Bert (Le Maitron).
Notes et Sources
- (1) Le Maitron mentionne comme adresse le 3, rue de la Liberté. Toutefois, si cette rue existe aujourd’hui, elle n’existait pas lors du recensement de 1936. Et l’adresse portée sur les documents des renseignements généraux au moment de son arrestation porte bien celle du 27, rue Paul Bert qui semble être un bâtiment communal (sa mère est employée municipale). C’est également cette adresse du 27, rue Paul Bert qui est indiquée par sa sœur Denise Hébrard en 1987, lorsqu’elle a rempli le questionnaire . Il est donc vraisemblable que le 3, rue de la Liberté soit l’adresse de sa mère après-guerre.
- (2) Marcelino Gaton et Carlos Escoda, Mémoire pour demain. Graphein, 2000.
- (3) Témoignages et lettres de Georges Dudal.
- (4) Courriel et documents scannés, transmis le 23 mars 2010 par la cousine germaine de François Daoudal, Sylvette Le Moal (fille de Sylvestre Daoudal, frère de Louise Le Moal-Daoudal, la mère de François).
-
« Villejuif à ses Martyrs de la barbarie fasciste« , brochure éditée par « Lavie nouvelle » sous l’égide de la municipalité et de la section communiste (29 septembre 1945).
- Photo d’avant guerre : © Madame Jeanine Barré, in Ouest-France.
- Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli le 25 octobre 1987 par une des sœurs de François Daoudal, Madame Denise Hébrard.
- Témoignages de Fernand Devaux.
- Mémoire présenté par sa mère (in Le Patriote Résistant).
- Liste d’otages de Rouillé XLI42, n°56.
- Archives municipales de Villejuif.
- Villejuif à ses martyrs de la barbarie fasciste, brochure éditée en 1949 (transmise à Roger Arnould, 1973).
Eléments biographiques rassemblés depuis janvier 2001 (derniers compléments en 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 » », éditions Autrement, Paris 2005) et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour compléter ou corriger cette notice, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Merci pour votre travail sur mon grand-oncle que je n’ai pas connu.
Merci beaucoup également! Mon grand-père Marcel, décédé depuis, son petit frère, nous a parlé de François. Mais assez tardivement et avec beaucoup d’émotion. Comme pour ses soeurs, en parler était très difficile pendant longtemps. C’est vraiment important d’avoir ce travail historique et de mémoire!
Merci beaucoup pour votre commentaire. Nous nous souvenons souvent de l’émotion de Georges Dudal, notre cher « Jojo », nous parlant de son copain, son frère, François Daoudal.