Matricule « 45.320 » à Auschwitz

Louis Buvat à Auschwitz, le 8 juillet 1942
Louis Buvat : né en 1892 à Bourges (Cher), où il habite ; tourneur sur métaux ; syndicaliste Cgtu, communiste ; arrêté en avril 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 18 septembre 1942.

Louis Buvat est né le 6 septembre 1892 rue Saint-Joseph à Bourges (Cher) où il habite au moment de son arrestation. Il est le fils de Julie Cocu, 32 ans, sans profession et d’Auguste Buvat, 26 ans, ajusteur, son époux.
Il a une sœur, Camille, Pauline, née en 1889 et deux frères, Albert, né en 1886 et Adrien Auguste né en 1888. Au recensement de 1906 à Bourges, leur père est ajusteur aux Etablissements militaires, Adrien y est apprenti-ajusteur et Camille est couturière.
Au moment du conseil de révision, Louis Buvat habite 6, rue Rouget de l’Isle à Puteaux (Seine). Il travaille comme tourneur sur métaux.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 70, a les cheveux châtain, les yeux bleu jaune, le front fuyant et le nez rectiligne, le menton arqué, visage ovale.
Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée). Conscrit de la classe 1912, Louis Buvat  est incorporé au 3èmedépôt des équipages de la Flotte à Lorient le 10 octobre 1913. Apprenti matelot, puis matelot de 3èmeclasse en septembre 1914, puis matelot canonnier de 2èmeclasse le 23 mars 1918. Il alterne de longues campagnes en mer avec des retours au port. Il est démobilisé le 25 août 1919.

Le 29 octobre 1921, Louis Buvat épouse Marie Chagnon à Bourges. Elle est née le 24 juillet 1897 à Chambon (Cher). Il est embauché comme ouvrier métallurgiste à la SNAC (Société Nationale de l’Aéronautique du Cher).
Louis Buvat est un des principaux dirigeants du syndicat des Etablissements militaires de Bourges entre les deux guerres.   

Les Etablissements militaires de Bourges

Membre du bureau du syndicat des Etablissements militaires de Bourges de 1920 à 1926, il en devient secrétaire-adjoint en 1922, puis secrétaire général en 1926-1927. Passé cette date, et sans en avoir le titre, il demeure le dirigeant écouté du syndicat unitaire (Le Maitron).
Vraisemblablement déjà adhérent au Parti socialiste, il adhère au Parti communiste dès le congrès de Tours (décembre 1920). Il devient membre suppléant de la Commission administrative fédérale en 1921, titulaire en 1922. En 1924, lors de la réorganisation sur la base des cellules, il est élu secrétaire du rayon de Bourges ; il appartient alors à la cellule numéro 1 (Le Maitron).
Louis Buvat, surtout militant syndicaliste, animait en 1926, la commission syndicale de la région communiste du Centre. En 1927, il n’est plus secrétaire du rayon, car il est devenu « agent militarisé » aux Etablissements militaires et appartient désormais à la cellule n° 2.  Au sein du Bureau régional du parti communiste, il est avec Gaston Cornavin, député du Cher et ancien ouvrier des EM, l’un des principaux artisans de l’exclusion de Maurice Boin, ancien membre du Comité directeur du Parti, et rédacteur en chef de l’Emancipateur (Le Maitron)

La SNAC, Société Nationale de l’Aéronautique du Cher

«Dans les années 1930-1931, le recul de l’implantation unitaire, l’influence naissante des confédérés au sein des Etablissements militaires (EM) l’inquiètent. Il en rend responsable la tactique syndicale du Parti. Ainsi à la réunion des cellules 1 et 2 des EM, le 23 septembre 1931, Buvat intervient avec Virmot en faveur de l’entrée en masse et sans conditions dans la CGT  » pour en avoir la direction par la suite « … « Virmot et Buvat ont maintenu leur point de vue, qui est l’entrée en masse à la CGT sans aucune espèce de réserve. Les protestations ayant accueilli cette manière de voir, Buvat est parti en claquant la porte « . « Louis Buvat fut l’un des six militants proposés aux cellules du Cher, qui devaient choisir quatre d’entre eux comme candidats aux élections législatives de 1932. Bon orateur, il prit souvent la parole dans les meetings syndicaux en 1933-1934, mais il n’appartenait plus à la direction politique régionale ». (Le Maitron).

Le 25 novembre 1938 il est classé « Affecté spécial » au titre de la réserve militaire en cas de mobilisation générale, en qualité de tourneur à l’Ecole Centrale de Pyrotechnie de Bourges. Comme la majorité des « Affectés spéciaux » connus comme communistes ou syndicalistes, il est rayé de l’Affectation spéciale (décision du général commandant la région militaire le 28 novembre 1939) et affecté le 19 mars 1940 au dépôt d’infanterie n°82, 22ème compagnie de passage où il arrive le 5 décembre 1939. Il est muté à la 2ème compagnie du guet du Creusot jusqu’au 13 décembre 1939, puis à la 1ère compagnie de mitrailleurs du Creusot. Le 11 mai 1940 il est « renvoyé dans ses foyers.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent Bourges dès le 19 juin 1940. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Avec un terrain d’aviation, une usine d’avions, des Etablissements militaires, Bourges ne suit pas la logique de la « zone de démarcation » – l’Yèvre prolongeant le Cher –  et reste en zone occupée.

Après sa démobilisation, Louis Buvat forme le premier « triangle » du Parti communiste clandestin dans le Cher, avec Marcel et Maurice Deligny.
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les anciens élus, candidats ou militants communistes « notoires », procédé à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.
La police française perquisitionne son domicile à Bourges (ainsi que ceux d’une dizaine d’autres militants) le 15 décembre 1940. La gendarmerie procède de même à Vierzon le même jour.
Louis Buvat est arrêté au début avril 1942. Son domicile est à nouveau  perquisitionné et les gendarmes y trouvent de la documentation communiste d’avant-guerre. Le tribunal de la Feldkommandantur 589 le condamne le 5 avril 1942 à trois mois de prison pour «non-remise de documentation communiste». Pour autant la Feldkommandantur ne le considère pas comme un « communiste actif ».

Il aurait dû être libéré le 5 juin 1942, mais il est transféré au camp allemand de Compiègne à la demande des autorités allemandes.
Nous savons désormais, grâce à un document allemand (in Musée de la Résistance de Bourges) que son internement à Compiègne fait partie des mesures de représailles allemandes à la suite de la fusillade contre deux Felgendarmen à Romorantin le 30 avril 1942 : Lire dans le site, l’article  : Romorantin le 1er mai 1942 : un Feldgendarme est tué, un autre blessé. Arrestations, exécutions et déportations. Dans ce document la Sicherheitspolizei (Police de sûreté) Kommando d’Orléans répond au Préfet de Bourges : « En réponse à votre lettre du 19 janvier (1943) nous vous faisons connaître que MM. Perrin Marcel et Rivet Roger arrêtés à la suite de l’attentat de Romorantin, ont été conduits le 6.7.42 dans un camp situé en Allemagne ».

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».


Depuis le camp de Compiègne, Louis Buvat est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Louis Buvat est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45320 »  selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Selon le témoignage d’un des rescapés du convoi, Aimé Oboeuf, Louis Buvat est affecté à Birkenau au Kommando Terrasse à Birkenau. Il y aurait été abattu en août 1942 « pour un geste de révolte« , selon deux rescapés du Cher, Georges Rousseau et Roger Gauthier, « après avoir fendu le crâne d’un SS d’un coup de pelle » (témoignage repris par le Maîtron).

Louis Buvat meurt le 18 septembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 154). Comme 148 « 45000 » ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18 et 19 septembre et que la mort d’un nombre important d’autres détenus du camp est enregistrée à ces mêmes dates, on peut penser qu’ils sont morts gazés à la suite d’une vaste « sélection » interne des « inaptes au travail », opérée sans doute dans les blocks d’infirmerie.

Certificat de la RIF
Plaque de rue à Bourges, allée Louis Buvat

Une rue de Bourges (allée Louis Buvat) honore sa mémoire.

Plaque à la SNAC

Son nom figure sur la plaque commémorative de la SNAC.

Le 8 juin 1945, le journal du Parti communiste du Cher, l’Emancipateur, rend hommage à ses camarades morts dans les camps. Sur cette liste figurent les noms de presque tous les militants déportés le 6 juillet 1942 à Auschwitz :
Buvat Louis, Germain Joseph, Kaiser Albert, Thiais Isidore, Faiteau Magloire, Jouffin Henri, Lanoue Moïse, Michel Lucien, Millérioux Joseph, Perrin Marcel, Rivet Roger, Trouvé Maurice. Les deux seuls chériens survivants du convoi sont le maire de Vierzon Gorges Rousseau et Roger Gauthier.

Son nom est à nouveau cité dans « L’Emancipateur » du 6 novembre 1947 sous le titre : 11 novembre 1947 : « Honneur à nos morts, qui sont tombés pour que vive la France ». La fédération du Cher du Parti communiste publie ainsi « la longue liste de ses martyrs, qui sont tombés dans les combats contre
l’envahisseur nazi et ses valets 
». Suivent 96 noms, dont ceux des douze « 45.000 » morts à Auschwitz

Louis Buvat est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) et des Déportés et Internés Résistants (DIR) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.

Sources

  • Recherches faites à Vierzon par Aimé Oboeuf, rescapé du convoi à partir des souvenirs de Georges Rousseau et Roger Gauthier, du Cher, également rescapés du convoi.
  • Combattants de la liberté. La Résistance dans le Cher. Cherrier Marcel et Pigenet Michel. Éditions Sociales, 1976. pages 30 et 47.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 20, Page 428. (Notice de Claude Pennetier).
  • © L’histoire de l’aéronautique dans le Cher (photo SNAC et plaque commémorative).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé pour l’essentiel sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Correspondance électronique avec Jean Pierre Besse, historien de la Résistance, enseignant-chercheur associé au CNRS et collaborateur du Maitron, et Claude Pennetier, chercheur au CNRS, directeur du Maitron (mars 2006).
  • © Photo établissements militaires, site « Notre commune ».
  • © Registres matricules militaires du Cher.

Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018, 2019 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à  deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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