Matricule « 46 137 » à Auschwitz
Isidore Thiais : né en 1889 à Paris 1er ; domicilié à Bourges (Cher) ; tôlier ; communiste ; arrêté le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 23 août 1942.
Isidore Thiais est né le 16 mai 1889 à Paris dans le 1er arrondissement. Il habite 26, rue de Mazières à Bourges (Cher) au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Amélie Thiais, 30 ans, domestique, domiciliée 60, rue de Turbigo à Paris.
En 1906, il est tôlier, et habite chez sa sœur au 26, rue de Mazière, faubourg d’Auroy à Bourges. Née en 1880 à Bourges, elle a épousé Jean Bret, journalier aux établissements militaires et a une fille Lucienne, née en 1903.
Selon sa fiche matricule militaire Isidore Thiais mesure 1m 60, a les cheveux et sourcils bruns, les yeux marron, le front ordinaire, nez et bouche moyens. Il a un tatouage au poignet droit. Au moment du conseil de révision, il travaille comme manœuvre à Bourges, où il habite.
Conscrit de la classe 1909, Isidore Thiais devance l’appel et signe un engagement volontaire de 5 ans, le 8 juillet 1909, à la Mairie
de Bourges. Il est incorporé au 6è Régiment de Chasseurs d’Afrique le 13 juillet.
Il est envoyé en Algérie du 25 juillet 1909 au 20 mai 1911. Il est engagé dans les combats aux confins algéro-marocains du 21 mai au 17 juin 1911. Puis en Algérie (Mascara) jusqu’au 2 août 1914.
Après la mobilisation générale, le 1er août, le régiment débarque à Cette le 8 (Sète) et est engagé à Rocroy le 15 août. Combats de la Sambre, Dinant, bataille de la Marne. Isidore Thiais est transféré le 15 août 1915 au 7è Régiment de marche de chasseurs d’Afrique nouvellement créé.
Il participe aux combats menés dans l’Oise à Offremont et dans les Vosges. Le régiment est dissous le 15 janvier 1916 et ses éléments sont reversés à la 1è Brigade de Chasseurs d’Afrique. Jusqu’en avril 1916, il cantonne dans la région d’Aversdoing (Pas-de-Calais) et prend le service dans les tranchées, puis retrouve son rôle de cavalerie l’année suivante.
Isidore Thiais est blessé à la jambe droite par un coup de pied de cheval le 17 mai 1918. Evacué, il retourne « aux armées » le 17 juillet 1918 après être passé aux hôpitaux de Marseille et de Grasse.
Isidore Thiais est cité à l’ordre du régiment (O/J n° 35 du 2 février 1919) « Très bon soldat, au front depuis le début, a fait partie de nombreuses reconnaissance, où il s’est distingué par sa belle attitude et son sang froid ». Il est décoré de la Croix de guerre, étoile de bronze, de la médaille commémorative du Maroc, avec agrafe « Maroc ». Il est démobilisé le 26 juillet 1919, « certificat de bonne conduite accordé ».Il « se retire » chez sa mère au 85 bis, rue de Wagram à Paris, puis au 60 bis, rue de Mazières à Bourges, jusqu’en 1933.
En 1921, il est embauché comme employé civil au service des subsistances de Bourges (relevant du ministère des Armées).
Pour l’armée, cet emploi le fait alors « passer » théoriquement dans la réserve de l’armée active, au 8è COA en 1922, en tant qu’« affecté spécial » (il serait mobilisé à son poste de travail en cas de conflit).
En 1924, ne travaillant plus au service des subsistances, il est réaffecté pour la réserve de l’armée active au 8è Chasseur, puis à l’Ecole centrale de Pyrotechnie de Bourges en 1933.
Il déménage en 1937 pour le 26, rue de Mazières à Bourges.
En juillet de cette année, il est définitivement libéré de ses obligations militaires.
Isidore Thiais est membre du Parti communiste.
« Isidore Thiais a travaillé un temps à l’Atelier de Construction de Bourges (ABS). France Camuzat (ancien secrétaire de la section communiste des EM-Bourges).
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent Bourges dès le 19 juin 1940 et Vierzon le 20. L’armistice est signé le 22 juin.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Avec un terrain d’aviation, une usine d’avions, des Etablissements militaires, Bourges ne suit pas la logique de la « zone de démarcation » – l’Yèvre prolongeant le Cher – et reste en zone occupée.
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy surveille les anciens élus, candidats ou militants communistes « notoires », procédé à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.
Isidore Thiais est arrêté à Bourges le 22 juin 1941, par des soldats allemands accompagnés de policiers français.
Le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (prison de Bourges), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”. Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne.
Le nom d’Isidore Thiais figure avec celui de 43 autres militants sur une liste de communistes de la région militaire susceptibles d’être choisis comme otages.
Parmi ces militants six d’entre eux seront déportés à Auschwitz avec lui : Faiteau Magloire, Germain Joseph, Michel Lucien, Millerioux Louis, Rousseau Georges, Thiais Isidore, Kaiser (Keyser) Albert et son fils Jacques (condamné à un an de prison). Cette liste a été établie après un attentat « auf der Frontbuchland in Chartres » (contre une librairie militaire de Chartres). Elle est datée du 24 octobre 1941 à Bourges (In document XLIV- 66, document du 22 avril 1942. Source CDJC. Echange de correspondances, datées du 04/09/1941 au 29/12/1941, entre la Feldkommandantur 668 de Bourges et l’état-major du chef du district militaire A à Saint-Germain-en-Laye, sur la finalisation (compléter par informations…) de la liste de 44 otages (tampon « Militärverwaltungsbezirk A » (district A de l’administration militaire allemande en France) tampon « Geheim » (confidentiel).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Isidore Thiais est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On ignorait son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro « 46137 ? » inscrit dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Cette reconstitution n’avait pu aboutir en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules.
Elle est désormais confirmée par Monsieur France Camuzat (ancien secrétaire de la section communiste des EM-Bourges) qui a répondu à ma demande d’identification (ci-contre) du visage de déporté dont nous pensions qu’il pouvait s’agir d’Isidore Thiais. Ces deux photos ont été données à M. France Camusat en décembre 1987 par un ami syndicaliste et communiste Jean Berthé.
Jean Berthé considérait Isidore Thiais comme son oncle (mari en secondes noces de sa grand-mère). « Jean Berthé et moi-même avons travaillé et milité aux Etablissements Militaires de Bourges. Ce que je peux affirmer c’est qu’Isidore Thiais a travaillé un temps à l’Atelier de Construction de Bourges (ABS).
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Isidore Thiais meurt à Auschwitz le 23 août 1942 d’après le registre d’état civil d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 3 page 1245).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Acte de disparition du 29 août 1946 (15-306).
La carte de « Déporté politique » est remis à sa sœur, Marie-Louise Bret.
Une cellule communiste de l’EFAB (aux Pyramides) a porté son nom. (L’EFAB est l’établissement de fabrication de l’armement de Bourges qui a pris la suite de l’ABS en regroupant artillerie et pyrotechnie), France Camuzat (ancien secrétaire de la section communiste des EM-Bourges).
Le 8 juin 1945, le journal du Parti communiste du Cher, l’Emancipateur, rend hommage à ses camarades morts dans les camps. Sur cette liste figurent les noms de presque tous les militants déportés le 6 juillet 1942 à Auschwitz :
Buvat Louis, Germain Joseph, Kaiser Albert, Thiais Isidore, Faiteau Magloire, Jouffin Henri, Lanoue Moïse, Michel Lucien, Millérioux Joseph, Perrin Marcel, Rivet Roger, Trouvé Maurice. Les deux seuls chériens survivants du convoi sont le maire de Vierzon Gorges Rousseau et Roger Gauthier.
Son nom est à nouveau cité dans « L’Emancipateur » du 6 novembre 1947 sous le titre : « 11 novembre 1947 : Honneur à nos morts, qui sont tombés pour que vive la France ». La fédération du Cher du Parti communiste publie ainsi « la longue liste de ses martyrs, qui sont tombés dans les combats contre l’envahisseur nazi et ses valets ». Suivent 96 noms, dont ceux de ses douze camarades « 45.000 » du Cher morts à Auschwitz.
Son nom est honoré sur la plaque commémorative apposée dans la section du PCF à Bourges, 45, rue Théophile Lamy. « Honneur à nos morts tombés pour que vive la France » (relevé Memorial Genweb / Claude Richard).
Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Combattants de la liberté. La Résistance dans le Cher. Cherrier Marcel et Pigenet Michel. Éditions Sociales, 1976.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté en 1992).
- Registres matricules militaires.
- Courriel de Mr France Camuzat que je remercie vivement (ancien secrétaire de la section communiste des EM-Bourges) juin 2019.
Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018, 2019, 2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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