Pierre Monjault, années 1980  © Pauline Montagne
Pierre Monjault en 1982

Matricule « 45.909 » à Auschwitz   Rescapé

Toutes les citations en italique rouille sont tirées de Quatre années de souffrance pour rester Français, mémoire de 70 pages écrit par Lucie Kerjolon pour Pierre Monjault, qu’il a certifié conforme à la vérité le 23 juillet 1984.

En cliquant sur le lien suivant : MONJAULT Pierre par Lucie Kerjolon, on peut lire la courte biographie qui précède ce mémoire, qu’il ma semblé utile de mettre en ligne.

 

Pierre Monjault : né en 1902 à Civray (Vienne) ; domicilié à Maisons-Alfort (Seine / Val-de-Marne) ; chauffeur de machine à haute tension, maçon, ajusteur ; délégué syndical CGT, communiste ; arrêté au début de février 1941, tabassé, relâché ; arrêté le 9 juillet 1941, interné à la caserne des Tourrelles, interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Gross-Rosen, Mittelbau, Nordhausen, Sachsenhausen, Parchim ; Rescapé, mort le 4 août 1990 à Créteil.

Pierre Monjault est né à Civray dans la Vienne, le 24 Juillet 1902. Il habite au square Dufourmentelle, 228, rue Jean Jaurès à Maisons-Alfort au moment de son arrestation. Pierre Monjault  est le fils de Camille Caillaud, 27 ans, sans profession et de Jean Monjault, 27 ans, son mari, débitant, domiciliés 8, faubourg du Moulin neuf. Il est le deuxième d’une famille de quatre enfants (son aînée, Marcelle est née à Civray le 4 avril 1897).
Il est placé à l’âge de 9 ans comme garçon de courses et plongeur au restaurant « Au Moulin des Ages », à Civray pendant tout l’été. A dix ans, il est placé dans une ferme comme domestique. Il ne va à l’école que l’hiver. Jusqu’à l’âge de quinze à seize ans, il se loue ainsi comme domestique, particulièrement recherché par les fermiers, car il est fort et courageux.
De la classe 1922, il devance l’appel en 1920 et s’engage dans la Marine : à Rochefort, il est élève infirmier, mais tombe malade (une pneumonie qui dure six mois). Après sa guérison, il reprend son service et est breveté Maître d’Hôtel. Démobilisé, Pierre Monjault retourne à Civray.
Le 20 septembre 1923, à Civray, il épouse Armandine Margaud. Le couple aura deux fils  : Guy, né le 4 mai 1925 et Pierre. Sur les conseils de son oncle, Pierre Monjault quitte Civray et «monte à Paris». A Maisons-Alfort, il est maçon et travaille à la construction des premiers immeubles du quartier Charentonneau. En 1924 il adhère au Parti communiste.
Le 15 avril 1924 il est embauché à la Ville de Paris, au service des Eaux. En suivant des cours, il devient chauffeur de machines à haute tension, mais il est licencié le 5 mars 1926 pour son opposition déclarée à la guerre du Rif. Il ne sera réintégré que le 4 février 1930 : entre temps, il est de nouveau maçon, puis ajusteur et conducteur de tramway. C’est un syndicaliste actif.
Sa sœur aînée, Marcelle, mariée à Marcel Delhoume, décède le 11 février 1935.
Fin 1939, l’ancienne municipalité communiste de Maisons-Alfort, est gérée par Francis Léon Mauge, ancien fonctionnaire de la Préfecture de la Seine, président de la délégation spéciale après la suspension de son prédécesseur élu, Albert Vassard.

Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.  L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Avec tous les camarades de ma section, nous avons commencé la propagande anti-allemands en cachette par des tracts et petits journaux, diffusions de lecture d’espoir et d’encouragements. De 1940 à 1941, Pierre Monjault est responsable sur le plan local de la propagande anti-allemande. J’allais chercher du matériel à un endroit précis et à heure fixe. Mes premiers rendez-vous furent derrière le gymnase Japy. Je devais sans un regard, sans une parole, échanger un sac de toile à l’épaule gauche d’un ou d’une camarade qui arrivait à la même heure que moi ; l’échange se faisait automatiquement (…) Je déposais mon précieux sac dans une planque et je retournais le chercher à la nuit tombante, puis chez moi avec d’autres camarades, il fallait procéder au pliage. Cette tâche accomplie, je partais chez les responsables de Créteil, Chemin des Mèches, puis chez un camarade qui habitait dans la cour du restaurant « L’Escargot » à Charenton. J‘assurais la distribution des tracts dans les boîtes aux lettres de ma cité, et tout le quartier du Vert de Maisons, ainsi que sur les lieux de mon travail, l’usine des Eaux à Ivry sur Seine.

Reconstitution 1944. Robert Doisneau

Avec ses camarades, il fait des inscriptions avec du goudron et balance une banderole place Galliéni… Avec l’aide des camarades Rosenthal, Jardin, Rousseau et Marguerite Blangeot (1), nous avions fabriqué une banderole (« Nous Vaincrons ») à l’aide de manches à balais et de boulons. Nous avions attaché des grappins avec des ficelles pour pouvoir tirer la banderole puis nous avons balancé le tout par dessus les fils électriques, au milieu de la place Galliéni. Le lendemain, il y avait une grande animation, les allemands arrivaient en hurlant, il fallut attendre dix heure du matin pour que la police et les pompiers retirent notre banderole.

Commissariat d’Ivry

Il est surveillé par la police française (ci-contre un extrait du registre du commissariat d’Ivry agitateur militant, à se méfier, ex délégué, ex chef de cellule avec les deux croix rouges attribuées aux militants notoires et propagandisteset les deux traits bleus indiquant qu’il ne travaille plus à Ivry). Registres et fiche de police : lire l’article du site Le rôle de la police française dans les arrestations des 45000.
Il est arrêté au début de février 1941 par la police française sur son lieu de travail, à l’usine  des eaux d’Ivry-sur-Seine (Seine/Val de Marne). A 20 h, il est enfermé en cellule, et toutes les heures, ils viennent l’interroger avec les mêmes questions : Dis nous à quel groupe tu appartiens et tu seras libre ». «Je ne réponds toujours pas, ils deviennent menaçants, puis c’est le passage à tabac et à nouveau d’autres menaces : « Si tu t’entêtes, nous allons te faire interroger par la Gestapo… Pendant tout ce temps, je pense en moi même : « non, je ne parlerais pas ». Confronté à un mouchard, il le renifle et ne répond pas à ses questions. Vers 6 heures du matin deux inspecteurs continuent l’intimidation et l’intox… En vain. Les policiers me rendirent mes lacets ainsi que mes papiers et me dirent de partir. Je rentrais chez moi avec le visage tuméfié et toutes les dents cassées.
Pendant sa détention, son domicile a été perquisitionné plusieurs fois. Sa femme a été giflée, toutes ses médailles de sport emportées ainsi que des livres de sa bibliothèque… Il n’y aura plus de réunions chez lui.
Il demande alors à ses camarades de la direction clandestine à quitter Paris, mais il reçoit l’ordre de continuer les liaisons, qu’il reprend jusqu’au 9 juillet 1941, date de sa deuxième arrestationà Ivry, toujours sur les lieux de son travail. Mais cette fois-ci, il est arrêté avec trois autres militants de l’usine dela Compagniedes Eaux (Darnis, Boulet et Grégoire) par deux inspecteurs français.

L’entrée de la caserne des Tourelles © AJPN

Ils sont emmenés au commissariat d’Ivry, puis à la prison de la Santé jusqu’au soir, puis à la caserne des Tourelles (2). Nous sommes alors divisés en trois groupes : les communistes, les sympathisants, les Juifs, puis les femmes. Je ressens un immense regret d’être arrêté, car nous étions au courant de projets, nous attendions les ordres pour les exécuter.

Les premiers jours, ils couchent sur la paille, puis «la vie s’organise, nous avons des lits et la cuisine est faite par un cuisinier de Bicêtre». Ils ont droit à deux visites par semaine, le jeudi et le dimanche après-midi. Nos familles font l’impossible pour nous aider et apportent des colis mais aussi des lettres de réconfort. «Malgré tout, la dénutrition, notre séparation avec la famille, l’angoisse, tout cela fait des ravages sur la santé d’un grand nombre d’internés». Pierre Monjault fait fonction d’aide-infirmier avec une infirmière Mlle Renée, d’Alfortville et après son départ avec Madame Michaux, de Sceaux. «Le médecin de l’hôpital de Bicêtre, m’apporta des ampoules de fortifiant pour que je puisse faire des piqûres aux plus faibles…». A ce poste, informé de l’extérieur, il favorise l’évasion de François Guthier en confirmant le faux diagnostic du médecin, une maladie des yeux, nécessitant une visite à l’hôpital Tenon. François Guthier s’évade pendant une courte absence des inspecteurs chargés de le convoyer, rassurés par sa prétendue cécité. Dès que les inspecteurs ne furent plus en vue, Guthier sortit rapidement, une voiture qui les avait suivi depuis leur départ, l’attendait. L’évasion était réussie !.

Maurice Pourchasse

A son étonnement, Pierre Montjault n’est pas relevé de ses fonctions, mais l’inquiétude tenaille les internés. Nous vivions tous dans un climat d’inquiétude, sachant que notre séjour aux Tourelles n’était qu’une étape et que nous étions condamnés à être fusillés. Nous avions appris avec un profond chagrin que plusieurs de nos camarades avaient été fusillés à Châteaubriant. Il y avait parmi les patriotes, notre camarade de travail Maurice Pourchasse que l’on a fusillé le même jour que le jeune Guy Moquet avec tant d’autres (3). Il reçoit plusieurs visites de sa femme, qui profitant du statut d’aide-infirmier de son mari, distribue leur courrier aux femme des internés punis après qu’ils aient refusé, comme Pierre Monjault, de descendre dans les caves pendant les bombardements.

Il est transféré de la prison des Tourelles le 5 mai 1942 avec 23 autres internés : direction gare de l’Est, à pied et sous bonne garde, nous sommes montés dans un train pour Compiègne… Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122).

Du camp de Compiègne il raconte quelques événements marquants, comme le théâtre, l’évasion des 19 et le bombardement de représailles « de la part des Allemands, qui fit deux morts », les pressions pour leur faire signer un document visant à « reconnaître la politique du Maréchal Pétain » et ainsi obtenir leur libération. « Certains camarades ont signé et sont partis. Je ne les jugerais pas. Personnellement ce qui nous était demandé me révoltait. Je n’ai pas signé, je voulais rester Français avant tout ». Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Pierre Monjault est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Pierre Monjault est enregistré à son arrivée à Auschwitz I «Stammlager» (camp principal) le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45909« . Ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard. Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Il est témoin de l’horreur au quotidien, décrite minutieusement par René Maquenhen (lire dans le blog, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz).

Le 13 juillet : Nous sommes interrogés sur nos professions. Les spécialistes dont ils ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et s’en retournent à Auschwitz, ils sont approximativement la moitié de ceux qui restaient de notre convoi. Les autres, dont je suis nous restons à Birkenau où nous sommes employés pour le terrassement et pour monter des baraques appelées Block.

Il passe tout l’été 1942 à travailler très dur sur des chantiers sous une chaleur torride, le ventre vide. Je suçais des petits cailloux que j’avais ramassés, cela me faisait saliver un peu, j’en avais choisi de formes différentes, poire, pomme, cerise (…) Un jour, ils me donnèrent un emploi de maçon. Je devais faire un plafond en ciment, j’avais beaucoup de difficultés, et je fis tomber un peu de ciment sur la tête du Kapo. Je reçus une trempe et ils me dirent d’aller décharger les camions de sable, de ciment de sacs de chaux, enfin tous les gros matériaux. Un jour avec Victor Jardin, il est affecté au Kommando Kanal. Il y voit des SS noyer des Juifs. Il est témoin de l’arrivée de familles tziganes à Birkenau. 

Les barbelés d’Auschwitz © C. Cardon-Hamet

A Birkenau il est témoin d’une tentative d’évasion (sans doute celle d’Antoine Corgiatti) et de celle de soviétiques qui, réussissant à désarmer les SS qu’ils accompagnaient au cours d’un «ratissage» (recherche d’un déporté manquant), firent sauter les plombs des barbelés et s’enfuirent rejoindre les partisans.

Il est pris dans la terrible «corrida» du Noël 1942 à Birkenau, au cours de laquelle les détenus sont contraints de piocher la terre gelée et de la porter dans leurs capotes à l’endroit que les SS leur indiquent. Nous avons réussi à passer à travers les coups (il s’est caché dans une niche avec un détenu Juif) mais sur le sol il y avait sans exagérer une centaine de morts. Il se protège des coups systématiques : Je mettais ma gamelle dessous ma veste ou sous ma capote, suivant la saison, afin de me protéger un peu. Elle était toute cabossée ! Pierre Monjault échappe vraisemblablement à la mort par piqûre de phénol (4).  L’hygiène était inexistante : nous avons tous eu le typhus, la dysenterie, des plaies, des poux, des puces. Par deux fois, ils me firent des piqûres en dessous du sein gauche. Je ne sais pas à quoi ça servait, mais je gardais un sale goût de pétrole dans la bouche pendant longtemps.

Un soir (le 16 ou le 17 mars 1943), après l’appel, la plupart des « 45000 » survivants à Birkenau (vingt-cinq) sont rassemblés. Consignés dans un block, dix-huit d’entre eux sont conduits le lendemain sous escorte au camp principal, Auschwitz I. Là il voit une poutre dressée avec des cordes et pense qu’elles leur sont destinées. Mais ce sont des partisans, encadrés par des SS qui sont pendus sous ses yeux que de fois pendant mon sommeil, j’ai revu cette scène atroce. Il est affecté à des Kommandos de gros travaux, terrassements, bâtiments, construction de fours crématoires je revois encore ces montagnes de briques que nous devions remuer. Il a ensuite la chance d’être envoyé dans un petit Kommando le T.W.L (Truppenwirschaftslager), magasin qui recelait toutes les marchandises volées par l’occupant de tous les pays sous la botte d’Hitler. Dans ce Kommando, rien ne manquait et j’avais repris un peu de force. J’avais la joie de donner de la soupe aux camarades en passant devant leurs blocks. Il est dénoncé par un détenu polonais pour avoir volé des bonbons… Il est alors renvoyé du T.W.L. Grâce à ses camarades français, il est affecté au Kommando des couvreurs, avec Louis Jouvin.

Ce qui l’amène à travailler dans les différents camps d’Auschwitz : Là, je risquais ma vie tous les jours. (…) Je portais tous les matins un seau en fer d’environ dix litres qui possédait un double fond, très bien fabriqué par le Kapo, qui avait sa fiancée dans le camp des femmes déportées. Ce seau était une boîte aux lettres, ainsi nous étions au courant de ce qui se passait dans le camp des femmes. Je devais déposer le seau dans un endroit que l’on m’avait indiqué, puis la fiancée du Kapo venait le chercher. Le soir, avant de rentrer, je reprenais le seau pour le remettre au Kapo de notre Kommando, qui était un bon garçon polonais.

Page du carnet de Roger Abada

Ci-contre, la Page du carnet de Roger Abada note les éléments marquants de sa déportation, après sa libération, pendant son hospitalisation à l’ancien Kl de Mittelbau-Dora. Sur cette page figurent quelques uns des noms des membres du groupe français de Résistance à Auschwitz. Le nom de Pierre Monjault y figure tout en bas avec «installateur» et une flèche : femmes.

La Résistance française clandestine (lire dans le blog Décembre 1942 : création du premier groupe français de résistance à Auschwitz et les articles réunis sous l’intitulé «Résistance et solidarité») le charge de la liaison avec les déportées, en compagnie d’Eugène Garnier (Lire dans le site : L’aide des « 45 000 » aux femmes de Birkenau).

En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, Pierre Monjault, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, reçoit le 4 juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments.

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants (lire l’article du blog : « les 45000 au block 11).

Le 12 décembre 1943, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos. Nous reprenons notre vie de misère, le travail, la souffrance, les coups, la faim, la soif. (…) Dans le camp l’extermination continuait, les convois arrivaient sans arrêt et toujours avec le même spectacle. Les quatre fours crématoires ronflaient le jour et la nuit, bourrés de cadavres (…). Ils commercialisaient tous les biens de leurs victimes, bijoux vêtements etc. Il y avait même une équipe qui arrachait les dents en or ainsi que les bridges avant de brûler les corps des morts. Ils amoncelaient aussi des tonnes de cheveux pour les vendre. Dans son Block, il y a toujours des morts chaque matin. Un jour, déprimé, il décide d’en finir. Il rencontre le chef de Block hollandais lui donne un coup de pied aux fesses et lui ordonne de retourner au Block. Il tombe malade. Fiévreux, il est envoyé au Revier. Il a une tache au poumon qui semble intéresser les médecins (…) André Montagne qui fait fonction d’infirmier au Revier le retrouve. Il est envoyé chez les convalescents. Il est éjecté du Revier… se fait tabasser par deux Kapos (40 coups de matraque). Il est musulman (déporté au stade de la mort, squelettique et devenus inconscient) dit son chef de Block, qui lui donne du lait pendant une semaine, et doit le lui supprimer (sinon ils vont t’envoyer à la chambre à gaz). Il est à nouveau envoyé au Kommando des couvreurs. Dans ce Kommando j’avais repris un peu de forces que j’ai reperdu par la suite, mais je pense que pour la survie cela a été utile. Le froid est intense. En passant devant le Block météo, des Français nous disent qu’il fait 32 degrés en dessous de zéro.

Au cours des derniers mois de leur déportation les 134 derniers « 45 000 » sont dispersés dans l’ensemble du système concentrationnaire, à la suite d’une série de transferts vers d’autres camps (lire l’article du blog :Itinéraires des survivants du convoi à partir d’Auschwitz (1944-1945).
Quatre d’entre eux partent le 23 février 1944 pour Buchenwald. Puis, le 3 août 1944, les trois quarts des « 45 000 » demeurés à Auschwitz sont placés en quarantaine, au block 10. Le 28 août 1944, vingt-neuf « 45000 » sont appelés et embarqués pour Flossenbürg. Le 29 août, trente autres partent pour Sachsenhausen. Enfin, trente  autres quittent Auschwitz, le 7 septembre, pour Gross-Rosen. Seuls, trente-sept de leurs camarades restent à Auschwitz : Pierre Monjault est de ceux-là. Devant l’avancée des armées soviétiques, à la fin de l’année 1944 les Allemands commencent le déménagement des grosses machines. Il est témoin des essais de lance-flammes venus d’Italie, dont les pièces sont sabotées par les déportés dans les ateliers de réparation nous étions rassurés car nous craignions qu’ils ne les utilisent pour nous exterminer. Ensuite nous les avons vu brûler des papiers et des archives». «A partir du 16 janvier 1945, nous n’avons plus été au travail.

La potence à l’entrée du camp de Gross-Rosen

Le 18 janvier 1945, il est transféré avec 11 de ses camarades en direction de Gross-Rosen, à pied sous la neige (lire son témoignage dans Les évacuations : Les « 45000 » pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945, note 2). Il reste dans ce camp jusqu’au 9 février 1945.

Pierre Monjault est alors évacué vers le KL Mittelbau-Dora, près de Nordhausen en wagons découverts par moins 15°. Il reçoit le n° matricule 115 719 dans ce camp (lire son témoignage dansLes évacuations : Les « 45000 » pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945, note 2). Répartis en groupes de 50, il se retrouve isolé des autres Français, avec René Besse. Pas de ravitaillement : ils mangent des épluchures de pomme de terre, René Besse vend ses chaussures contre une boule de pain. Les bombardements commencent. A la faveur des importants bombardements alliés sur la ville, qui embrasent aussi le camp, le 2 avril 1945, Pierre Montjault et René Besse et décident de s’évader de Nordhausen. Mais avant de partir ils se « ravitaillent » aux cuisines du camp de Nordhausen à la faveur des bombardements. Ils se précipitent aux cuisines délaissées par les SS : festin de lait et de betteraves rouges : « Lorsque sonne la fin de l’alerte, j’ai une idée. Les cuisines doivent être désertes. Je dis à René Besse : « Nous allons en profiter pour (y) aller ». (…) Et, là, ô délices, le déjeuner des SS était prêt. Nous nous trouvons devant des marmites de lait. Nous en buvons. Ah, que c’est bon et, en plus, il est sucré ! Un peu plus loin, il y a des betteraves rouges. (…) Nous en mangeons à pleines mains » Pierre Monjault. Le 3 avril, ils réussissent à passer au travers des éclats de bombes et des tirs des mitrailleuses.  Le bombardement s’intensifie, c’est le chaos. Il pense que René Besse est mort (celui-ci pensera la même chose).

Le 4 et le 5 avril 1945, Mittelbau-Dora est évacué : Il s’évade et erre alors sur les routes avec un jeune Polonais, ne sachant où aller, ils rejoignent Rotteblerode en pleine évacuation, et se retrouvent dans une colonne évacuée à pied vers Lübeck, via Sachsenhausen un camp où les SS sont en pleine débandade, «certains emportant des vêtements de déportés pour les mettre en cas d’arrestation» (le camp a été évacué le 21 avril). Puis c’est Parchim (dans le Mecklembourg). Le 2 mai 1945 il n’y a plus de gardiens. Avec un Français et des Soviétiques, ils marchent encore pendant deux jours. Une fermière leur apprend que la guerre et finie, et leur donne du lait et un lapin. Ils rencontrent ensuite des soldats mongols, avec une jeep, qui leur donnent des cigarettes et des vivres et leur conseillent d’aller à Schwerin où se trouvent les autorités françaises. Après maints avatars pendant lesquels ils sont témoins de l’exode allemand, il est hospitalisé le 9 mai à l’hôpital de Schwerin. Dans ce camp se trouvaient 18 000 déportés, évacués de Sachsenhausen et Ravensbrück. Avec des marks trouvés dans une mallette sur la route, il achète des fleurs pour les infirmières allemandes, l’une d’elle fond en larmes : je n’avais pas de rancœur, le peuple allemand n’était pas responsable des cruautés nazies. Il est rapatrié le 12 juin 1945. Lire dans le blog : Le retour en France de Pierre Monjault, le 12 juin 1945.

Pierre Monjault © Pauline Montagne

Il retrouve son travail à la Ville de Paris, jusqu’à sa retraite en 1958, année au cours de laquelle il reçoit le diplôme et la médaille d’honneur du travail. Il a rencontré André montagne et son épouse Pauline (photo ci-après).

Pierre Monjault a été homologué Déporté politique. Il est Chevalier de la Légion d’Honneur, Médaillé Militaire, Croix de Guerre avec Palme, Croix du Combattant Volontaire 1939-1945, Croix du Combattant Volontaire de la Résistance, Croix du Combattant, Médaille de la Déportation et de l’Internement de la Résistance.

Pierre Monjault est mort le 4 août 1990 à Créteil.

  • Note 1Victor
    Jardin
     est déporté à Auschwitz dans le convoi des «45000», Marguerite Blangeot est arrêtée en 1943, déportée dans le convoi du 26 juillet 1943 à Ravensbrück. Elle meurt à Bergen Belsen en 1945).
  • Note 2: Ouvert d’abord aux Républicains espagnols, entassés par familles entières, aux combattants des Brigades internationales, interdits dans leurs propres pays. Les rejoignent de nombreux réfugiés d’Europe centrale fuyant la terreur nazie, des indésirables en tous genres, y compris, bien sûr, les indésirables français : communistes, gaullistes et autres patriotes (on ratissait large), juifs saisis dans les rafles, « droit commun » aux causes bien datées (marché noir) France Hamelin in Le Patriote Résistant N° 839 – février 2010. Ce Centre de séjour surveillé fonctionne dans l’ancienne caserne d’infanterie coloniale du boulevard Mortier à Paris. En 1942, deux bâtiments seulement étaient utilisés, un pour les hommes et un pour les femmes. Ils étaient entourés de fil de fer barbelé. Chaque bâtiment disposait de 3 WC à chasse d’eau, largement insuffisants. Des latrines à tinette mobile étaient en outre disposées dans l’étroit espace réservé à la promenade. La nuit, une tinette était placée dans chaque dortoir. C’est peu dire les conditions épouvantables imposées à des internés dont le nombre variera de 400 à 600 personnes. A cela s’ajoutait une sous-alimentation chronique entraînant bon nombre de maladies : entérites gastro-intestinales, affections cardiaques, tuberculose… (In site Internet Association Philatélique de Rouen et Agglomération).
  • Note 3 : Henri, Maurice Pourchasse, secrétaire de la cellule communiste de la Compagnie des Eaux à Ivry, militant syndicaliste, est arrêté à la fin août 1939, condamné à trois mois de prison puis mobilisé jusqu’en juillet 1940. Le 20 juin 1941, il est à nouveau arrêté pour reconstitution illégale d’un syndicat CGT à son lieu de travail, la Compagnie des Eaux. Incarcéré à la Santé puis interné au camp de Châteaubriant, il est fusillé avec vingt-sept autres otages le 22 octobre 1941 (Amicale Châteaubriant).
  • Note 4 :Les piqûres de phénol dans le cœur furent en nombre important utilisées à l’été 1942 pour exécuter des déportés au Revier. Des registres de la morgue, subtilisés par la Résistance du camp en font état : celui en date du 13 août 1942 porte plus de cinquante matricules hospitalisés au block 20, avec la mention szpila (piqûre en polonais) : le matricule de Paulin Coutelas, 45408 y figure. In Death books from Auschwitz, Tome 1, page 120).

Sources

  • Pierre Monjault « Quatre années de souffrance pour rester Français« .
  • Notes de Roger Arnould et Claudine Cardon.
  • Cahier et témoignages de Roger Abada.
  • Témoignage d’Eugène Garnier.
  • Mairie de Civray, 8 mars 1994. Acte d’état civil.
  • ©Archives en ligne de la Vienne.
  • © Généawiki Maisons Alfort.
  • © Photo d’Henri Pourchasse in site Internet Amicale Châteaubriant.
  • Photo couleur de Pierre Monjault :  © collection Pauline et André Montagne.
  • © Fiches et registre de police des commissariats d’Ivry et Vitry. Musée de la Résistance Nationale : mes remerciements à Céline Heytens.

Notice biographique rédigée en 2003, installé en 2012 mise à jour en 2015, 2020 et 2022, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées du site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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