Le convoi du 6 juillet 1942 était composé de près de 1100 "otages communistes", de cinquante "otages juifs" et d’une vingtaine de « otages asociaux » (auteurs de délits de droit commun) dont la déportation faisait partie, au nom de la lutte contre le «judéo-bolchevisme», des représailles décidées par Hitler pour porter la terreur parmi les communistes dont les groupes armés attaquaient des officiers et des soldats de la Wehrmacht afin de lancer la résistance armée sur le sol de France.
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A la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par gouvernement de Vichy.
Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile. Dans certains départements les préfets ont transmis à la commission nationale de révision des naturalisations des listes d’étrangers naturalisés (et parmi eux de nombreux Juifs). Cela n’a pas été le cas dans le Calvados pour les Juifs déportés le 6 juillet 1942. Seul Jacques Grynberg est dénaturalisé en mai 1944, mais directement au plan national, la commission n’ayant pas connu son parcours depuis le Bas-Rhin à Paris puis à Caen.
L’étoile jaune siglée « Juif » devient obligatoire en France le 8 juin 1942 pour tous les Juifs de plus de 6 ans en zone occupée, à la suite d’une ordonnance rédigée fin mai 1942 par Oberg, Major général de la police. Nous avons choisi à titre symbolique de reproduire l’étoile siglée « jude » sur fond du camp de Birkenau, qu’ont reçus à leur arrivée les 54 juifs du convoi du 6 juillet 1942.
Combien de Juifs ont-ils été déportés par le convoi du 6 juillet 1942 ?
On ignore le nombre exact d’otages communistes et juifs déportés le 6 juillet 1942 car la liste de départ au camp allemand de Compiègne, le Frontstalag 122, n’a pas été retrouvée. Plusieurs rescapés ont indiqué que leur convoi était composé de 1175 détenus au moment de leur départ du camp de Compiègne . Au cours du transport, trois d’entre eux (au moins) s’évadèrent. Selon un (seul) témoignage, un autre aurait été « liquidé comme mouton » par ses camarades qui le soupçonnaient de les avoir dénoncés.
Le 8 juillet 1942, le convoi arrive à Auschwitz et 1170 de ces déportés furent immatriculés au camp principal (Stammlager, Auschwitz I). Le chiffre le plus vraisemblable est celui de 1175 déportés au moment du départ du camp de Compiègne.
A Royallieu, le camp « C » composé de 8 barraques (en jaune sur le plan) est séparé par des barbelés du camp « A », le camp des politiques
Parmi eux, se trouvaient 50 « otages juifs » retirés le 5 juillet 1942 du « camp des Juifs » et inscrits sur une liste particulière (voir plus loin). On ignore le nom de 3 des 50 « otages juifs ». Par ailleurs, des communistes dont les origines juives n’avaient pas été décelées (7 au moins) par les services allemands ont été déportés comme « otages communistes » et leur nom figure sur les 3 autres sous-listes qui composaient la liste définitive de départ du convoi.
Les noms de ces 54 déportés Juifs ont été retrouvés grâce aux documents des archives du camp d’Auschwitz, du Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC, ministère de la Défense à Caen) et du Mémorial de la Shoah (Paris).
Quand les camps de concentration du Reich furent libérés, seuls deux de ces déportés Juifs avaient survécu à leur déportation
Les noms des Juifs déportés dans les listes allemandes
Leurs noms étaient présents de manière très inégale sur les quatre sous-listes alphabétiques successives qui composaient la liste de départ du convoi – liste que j’ai pu presque entièrement reconstituer. Sur la liste de départ, 5 noms manquent encore et beaucoup de matricules n’ont pas pu être certifiés.
La première et la deuxième sous-liste
Elles rassemblaientles internés du camp A, arrêtés comme communistes ou pour une petite minorité d’entre eux, soupçonnés à tort ou à raison de proximité avec ceux-ci ou avec les gaullistes. Des Juifs qui n’avaient pas été « identifiés » furent en conséquence déportés comme « otages communistes ». Au cours de leur enregistrement à Auschwitz, l’administration SS leur attribuèrent le même triangle que les « otages communistes » (vert, pendant quelques jours, puis rouge) jusqu’à ce que l’administration SS du camp décèle leurs origines juives et leur octroie l’étoile jaune.
La troisième sous-liste des « otages Juifs » du convoi
La plus grande partie de ces déporté (50) figuraient dans la troisième sous-liste du convoi et furent déportés en tant qu’ « otages juifs ». La plupart d’entre eux avaient été arrêtés en France parce que « Juifs » selon les critères du régime de Pétain et/ou des services du MBF (Commandant militaire en France occupée) – qu’ils aient été ou non des résistants – .Dans cette liste figuraient également des hommes arrêtés comme communistes notoires ou pour activité communiste (interdite depuis septembre 1939) ou pour faits de résistance. Placés dans un premier temps, dans le camp A des internés politiques de Compiègne (dit « camp des communistes »), ils avaient été transférés dans une section du camp C, appelée « camp des Juifs », après qu’ils aient été « identifiés comme Juif » par l’administration allemande de ce camp de détention de police dirigé par la Wehrmacht.
Lors de leur arrivée au camp principal d’Auschwitz, ces 50 Juifs furent appelés et séparés de leurs compagnons et reçurent au cours de leur enregistrement, l’étoile jaune réservés aux détenus juifs d’Auschwitz arrêtés dans l’ensemble des pays occupés par l’Allemagne.
David Badache
Il faut mentionner ici un cas exceptionnel qui est à l’inverse de cette procédure et dont allait bénéficier BADASSAS DAVYDAS (David Badache), résistant gaulliste de Caen, originaire de Lituanie, dont la mère était juive et le père de religion orthodoxe. En France, il avait été « défini » comme Juif à partir des critères de la législation du régime de Pétain et avait dû se faire recenser comme tel. Son nom figurait en tête de la liste des « otages juifs » du convoi.
Cependant, selon la législation nazie, il était mischling (= de « sang mêlé »). Il n’était donc, à leurs yeux ni juif, ni aryen car son ascendance aryenne – pourtant censée être « dominante » pour les nazis – avait été « abâtardie » par le sang juif de sa mère. Grâce à ses relations avec des détenus d’un réseau de résistants autrichiens, son cas fut réexaminé par l’administration du camp au printemps 1943. Il reçut alors le triangle rouge des détenus politiques. Ce qui, a-t-il estimé, lui avait sauvé la vie.
La quatrième sous-liste
Elle a été très vraisemblablement établie au dernier moment pour atteindre le nombre d’otages à déporter préalablement fixé et donc de compenser l’absence des otages qui n’avaient pu être déportés pour une raison ou pour une autre.
Les numéros suivis d’un point d’interrogation (?) sont les plus probables, mais n’ont pu être certifiés, faute d’avoir été attestés par des documents ou des témoignages fiables.
« Les victimes les plus menacées par [les] actions criminelles [des SS et des Kapos] sont en premier lieu les Juifs. Sur les cinquante et un "45 000" morts au cours du premier mois (entre le 8 juillet et le 8 août), 21 étaient des Juifs. Le 18 août au matin, 40 jours après l'arrivée, 34 d'entre eux avaient perdu la vie (soit 68 % de leur nombre total) ; dans le même temps, 142 "45 000", appartenant aux autres catégories d'otages, avaient disparu, soit 13 % d'entre eux. La froide éloquence de ces statistiques est confirmée par les récits des «45000» rescapés ». (Claudine Cardon-Hamet dans Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, pages 145-146).
Le convoi « 451 »
Dans le cadre de son considérable travail mémoriel, Serge Klarsfeld a numéroté tous les convois raciaux partis de France à direction d’Auschwitz, en reprenant les numéros attribués par les Nazis. Les convois n° 1 et 2 sont partis les 27 mars et 5 juin 1942 de Compiègne. 67 autres partiront de Drancy, 5 de Pithiviers, 2 de Beaune la Rolande et 1 de Lyon. Mais on trouve dans les listes du Mémorial de la Shoah, un numéro – le n° 451 sans précision de sa date de départ – qui correspond au convoi du 6 juillet 1942.
S’il s’agit d’un convoi composé pour l’essentiel d’otages politiques, leur déportation s’inscrit dans le cadre de la politique allemande des otages contre le « judéo-bolchevisme » qui s’applique directement aux convois n° 1 et 2. Il comprend plus de 50 otages Juifs déportés comme tels, et sa terrible mortalité (89 %) est proche de celle des convois raciaux.
On remarquera que le numéro 451 introduit une confusion dans la chronologie : le convoi du 6 juillet 1942 est en effet historiquement le 3ème convoi parti de Compiègne pour Auschwitz, et le 6ème des convois partis de France pour Auschwitz.
Claudine Cardon-Hamet, docteur en histoire, auteure de deux ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » (éd. Graphein, Paris, 1997 et 2000, épuisé) avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD) – et Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 (éd. Autrement, collection Mémoires, Paris, 2005, mis à jour en 2015) édité avec le soutien de la Direction du Patrimoine et de l’Histoire et de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.